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Témoignages Face à la flambée des prix, cinq familles ouvrent leur frigo et dévoilent leurs nouvelles habitudes alimentaires

En un an, les prix de l'alimentation ont bondi de plus de 13%, relève l'Insee. Franceinfo a interrogé cinq ménages, aux profils très variés, sur la manière dont ils ont changé, ou non, leur manière de s'alimenter pour faire face à cette hausse.
Article rédigé par Mathilde Goupil, Alice Galopin
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
En janvier et février 2023, franceinfo a interrogé cinq foyers sur l'évolution de leurs habitudes alimentaires face à l'inflation. (PAULINE GAUER / FRANCEINFO)

Des choux à la crème, un gâteau au chocolat, du café… Ces derniers mois, franceinfo s'est mis à table chez plusieurs Français, dont beaucoup avaient répondu à notre appel à témoignages. Autour du repas, ils nous ont souvent confié que le coût de l'alimentation était devenu un sujet de préoccupation quotidien. Et pour cause : les prix des produits alimentaires ont bondi de 13,2% sur un an, selon une estimation de l'Insee fin janvier. La viande, la volaille, les pâtes et l'huile figurent parmi ceux ayant subi la plus forte inflation, note une étude de l'institut Nielson IQ pour Challenges.

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Face à cette hausse, certains de nos témoins ont revu de fond en comble leur façon de s'alimenter. Tandis que d'autres ont cherché à préserver au maximum leur mode de vie. Une étudiante, un couple de seniors, une famille nombreuse, une mère célibataire et un couple avec un enfant nous ont ouvert leur frigo, juste après avoir fait leurs courses. Ils racontent comment ils ont, ou non, modifié leurs habitudes alimentaires. 

Stéphanie, agent administratif : "Il m'arrive de me sentir pauvre"

Stéphanie et son fils Martin, chez eux, à Rouen (Seine-Maritime), le 23 janvier 2023. A droite, le contenu de leur frigo le même jour. (PAULINE GAUER / FRANCEINFO)

Son profil. Stéphanie, mère célibataire de 51 ans, vit avec son fils Martin, 13 ans, à Rouen (Seine-Maritime). Elle gagne 1 400 euros net par mois et bénéficie d'une pension alimentaire de 450 euros mensuels. Près de la moitié de ses revenus servent à financer le loyer de son appartement, et ses courses alimentaires se chiffrent à 350 euros par mois.

Son témoignage. "Depuis un an, je vois bien que les prix augmentent. Alors, pour ne pas dépenser plus, je m'adapte. On a arrêté de commander de temps en temps sur Uber Eats, car c'était très cher. Je fais plus attention aux promotions. L'an dernier, j'ai acheté 10 bidons de lessive car 90% du montant était crédité sur la carte fidélité de l'enseigne. Le midi, il m'arrive de sauter le repas : je n'ai jamais été une grosse mangeuse, mais maintenant je me dis qu'en plus, ça me fera des économies. Passer à la cigarette électronique a aussi bien soulagé mon budget, car je dépensais 10 euros par jour pour mes clopes !

En revanche, j'achète toujours des marques de qualité, du bio. Je préfère manger moins, mais manger mieux. Je ne suis pas prête à me convertir aux premiers prix ou à faire mes courses dans des enseignes discount. J'ai conscience que ça rend service à plein de gens, et j'y serai peut-être contrainte un jour. Mais j'ai l'impression que ça serait la dégringolade, l'étape avant les Restos du cœur. J'ai aussi beaucoup de chance d'avoir ma mère, qui me fait des courses : des produits laitiers et de la viande de la ferme, des fruits du marché, etc. Mon frère, qui vit en Savoie, nous envoie aussi de la viande séchée et des bons fromages.

Malgré un salaire que j'estime minable, on ne manque de rien. On n'a pas beaucoup de marge de manœuvre, je ne m'achète plus autant de vêtements, j'espace au maximum mes rendez-vous chez le coiffeur, et on planifie nos sorties en amont pour pouvoir faire des économies la semaine précédente. Je ne me suis jamais sentie aisée, mais ces derniers mois, pour la première fois, il m'est arrivé de me sentir pauvre."

Alain, manutentionnaire, et Véronique, mère au foyer : "On s'est mis à faire les courses avec une calculette"

Alain, Véronique et leurs six enfants, chez eux, à Châtenois (Bas-Rhin), le 28 janvier 2023. A droite, le contenu de leur frigo le même jour. (PAULINE GAUER / FRANCEINFO)

Leur profil. Alain, 48 ans, est préparateur de commandes et manutentionnaire. Véronique, 40 ans, est ex-agente d'entretien. En 2020, elle a arrêté de travailler pour s'occuper de leurs cinq enfants. Ils en ont désormais six, âgés de 1 an à 14 ans. Elle réfléchit aujourd'hui à reprendre un emploi le week-end car leur budget est "trop serré". Entre le salaire d'Alain et les allocations familiales, le couple, installé à Châtenois (Bas-Rhin), touche 2 524 euros par mois. Alain et Véronique peuvent citer de tête le prix au kilo de dizaines d'ingrédients et le détail de leur budget. Les deux postes principaux de la famille, qui vit dans la maison du père d'Alain, dont ils ont héritée, sont les courses alimentaires (700 euros mensuels) et le crédit pour leurs deux voitures (650 euros).

Leur témoignage. "Ces derniers mois, on a l'impression que les prix ont doublé. Avant de faire les courses, on compare les prospectus de promotions. On multiplie les enseignes pour trouver la moins chère sur tel ou tel produit, et on achète en lots et avec le prix au kilo le moins cher. Même nos deux chiens sont passés aux croquettes de marque Cora ! De temps en temps, on fait des courses en Allemagne, car certaines choses sont moins chères : café, Nutella, couches… Avant le Covid, on avait acheté près de 60 kg de farine de l'autre côté de la frontière ! Pour les fruits et légumes, c'est systématiquement Lidl, avec le panier anti-gaspi à un euro. On en prend plusieurs et on congèle. C'est très rare qu'on achète de la viande. Et quand on le fait, c'est avec les tickets resto. Le bio, n'en parlons même pas, c'est hors de prix. On a aussi beaucoup réduit les gâteaux, les glaces, les céréales… On essaie de tout faire nous-mêmes.

Pour être sûrs de ne pas dépasser notre budget, on s'est mis à faire les courses avec une calculette. Et on a demandé conseil à notre banquière, qui nous a proposé de retirer de l'argent en liquide et de ne plus amener la carte bleue au supermarché. On essaiera peut-être… Ce qui est usant, c'est de ne plus pouvoir se fier aux prix, car ils augmentent d'une fois à l'autre. Il faudrait que ça s'arrête : nous, derrière, on ne peut plus suivre ! On nous dit que c'est à cause de la guerre en Ukraine mais bon… c'est sûrement en partie une excuse pour monter les prix."

Eric, retraité, et Valérie, demandeuse d'emploi : "En zone rurale, l'essence augmente le budget des courses"

Eric et Valérie, chez eux à Sazos (Hautes-Pyrénées), le 17 janvier 2023. A droite, le contenu de leur frigo le même jour. (PAULINE GAUER / FRANCEINFO)

Leur profil. Eric, 60 ans, ancien directeur commercial, est à la retraite depuis juillet 2022 après "une carrière longue". Son épouse, Valérie, 60 ans également, a perdu son travail d'assistante de direction en 2017. Malgré quelques contrats depuis, elle ne touchera plus d'allocation chômage en septembre. Avec 3 160 euros de revenus par mois, les sexagénaires, propriétaires de leur maison à Sazos (Hautes-Pyrénées) et d'une résidence secondaire à Mimizan (Landes), se savent encore "privilégiés". Mais ils vivent avec angoisse la fonte de leurs revenus en pleine flambée des prix. Chaque mois, ils achètent pour quelque 400 euros de produits alimentaires, et consignent avec une grande attention l'ensemble de leurs dépenses dans un tableau Excel.

Leur témoignage. "Quand on part en retraite, le choc de pouvoir d'achat est important. Mais avec l'inflation, on a l'impression que ce phénomène a doublé, voire triplé. On a conscience d'être dans une situation privilégiée, parce qu'on a fait attention toute notre vie. Pourtant, on a parfois le sentiment d'être revenus à nos premières années de carrière, quand on était payés au smic et qu'il fallait reposer certains articles dans les rayons du supermarché. Maintenant, on sort systématiquement la calculatrice.

On a comparé nos tickets de caisse entre 2021 et 2022 pour se rendre compte de l'inflation. En un an, l'huile de tournesol est passée de 1,76 euro le litre à 2,04 euros. Les pâtes, c'est ce qui a le plus augmenté : de 0,80 euro à 1,51 euro le paquet d'un kilo. Alors, quand on réussit à gagner quelques euros sur un plein de courses, c'est une victoire. Mais dès qu'on reçoit nos enfants et petits-enfants, le budget explose.

On habite en zone rurale, et les grandes surfaces se trouvent à 30 minutes de voiture, donc on calcule tous nos déplacements, car ça augmente le budget des courses. Si on reste dans le secteur pour faire nos achats, c'est plus cher et on ne trouve pas tout. Pour l'instant, on achète encore nos légumes au supermarché. Mais quand on voit que le kilo de courgettes grimpe jusqu'à 4 euros… Au printemps, on va se mettre au potager. On fera pousser des courgettes, des tomates, des poivrons, des aubergines, des haricots verts… C'est à la fois une question d'économies et de qualité de notre alimentation."

Sharon, étudiante : "L'épicerie solidaire me permet de vivre"

Sharon, chez elle à Orléans (Loiret), le 21 janvier 2023. A droite, le contenu de son frigo le même jour. (PAULINE GAUER / FRANCEINFO)

Son profil. Etudiante en droit à Orléans (Loiret), Sharon, 20 ans, perçoit chaque mois 584 euros de bourse. Pour s'assurer un complément de revenus, elle propose de l'aide aux devoirs et travaille en tant qu'ouvreuse dans un théâtre, le soir et les week-ends. Ces petits boulots lui permettent de gagner 200 à 300 euros net par mois, même s'ils génèrent énormément de "fatigue". Une fois son loyer et ses factures payées, il reste à Sharon moins de 200 euros par mois pour vivre, notamment se nourrir.

Son témoignage. "J'ai emménagé début novembre dans mon premier appartement. Le midi, je peux déjeuner au restaurant universitaire grâce aux repas à 1 euro du Crous. Pour le reste des repas, j'ai commencé par faire mes courses au supermarché. C'est là que j'ai ressenti l'inflation. J'en avais pour 40 euros à la caisse chaque semaine, alors que je n'achetais pas de viande et que je ne prenais que les produits les moins chers.

L'ouverture de l'épicerie solidaire, près de l'université, fin novembre, est tombée au bon moment. J'avais quand même un peu d'appréhension en y allant la première fois, je craignais d'être jugée. J'ai été rassurée en découvrant que ça ressemblait à un magasin avec des rayons et des chariots, et pas à une distribution alimentaire. Il y a du choix : de la viande, des céréales, des gâteaux et une grande variété de fruits et de légumes. Il y a même des produits bio et locaux. Finalement, on a l'impression d'être dans un supermarché classique.

L'autre jour, j’ai fait un plein de courses pour 7,17 euros. J'ai acheté du lait à 16 centimes, un paquet de pâtes bio à 17 centimes, une plaquette de beurre à 36 centimes, une salade pour 8 centimes, et même de l'émincé de poulet et des nuggets. J'ai aussi pris de l'eau micellaire à 1,50 euro, alors qu'au supermarché, même la sous-marque est à 3 euros. Si je faisais mes courses en grande surface, il faudrait que je fasse une croix sur les desserts, la pâte à tartiner ou encore la viande. J'ai remercié le responsable de l'épicerie solidaire, tout simplement parce qu'elle me permet de vivre. Grâce à elle, j'arrive à avoir une alimentation équilibrée et à me faire plaisir."

Elisabeth, directrice marketing, et Mickaël, recruteur : "On ne fait pas de compromis"

Mickaël, Elisabeth et leur fils, chez eux, au Perreux-sur-Marne (Val-de-Marne), le 4 février 2023. A droite, le contenu de leur frigo le même jour. (PAULINE GAUER / FRANCEINFO)

Leur profil. Après avoir tenu pendant près de quatre ans une épicerie bio, Mickaël, 36 ans, est redevenu en 2022 chasseur de têtes dans le secteur de la pharmacie. Elisabeth, 44 ans, est directrice marketing d'une marque alimentaire. Le couple, installé au Perreux-sur-Marne (Val-de-Marne) avec son fils Abel, 5 ans, gagne 10 000 euros net par mois. Sur cette somme, 560 euros sont consacrés aux courses alimentaires, et 250 euros aux repas au restaurant.

Leur témoignage. "On n'a absolument pas changé notre mode de vie depuis la hausse des prix, notre reste à vivre étant important. Mais si on devait modifier quelque chose, on préférerait moins partir en vacances que de toucher au budget alimentaire. Pour nous, le rapport entre alimentation et santé est évident, donc on ne fait pas de compromis. On fait nos courses dans une coopérative bio, on mange végétarien et on évite les produits ultratransformés. Comme on est sensibles à la souffrance animale et au réchauffement climatique, on essaie de consommer des fruits et légumes de saison, du local et moins de produits d'origine animale. On ne mange quasiment plus d'avocats, très gourmands en eau, et on ne commande plus de nourriture livrée dans des boîtes en plastique. En étant dans l'action, on évite l'éco-anxiété !

Bien sûr, on est privilégiés, et manger bio est plus accessible quand on gagne bien sa vie. Mais manger végétal et simple, tout le monde peut le faire. Et ça ne coûte pas forcément plus cher, ni ne requiert beaucoup de temps de préparation. Ce sont la viande et le poisson qui alourdissent le budget, tout comme les sodas, les jus de fruits, l'alcool, les plats préparés… Il faut sortir de la vision traditionnelle du repas avec une viande ou un poisson et un accompagnement. En partageant l'assiette entre légumes, légumineuses et céréales, on mange beaucoup plus équilibré qu'avant."

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