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Réforme des retraites : cinq questions sur le dispositif "carrières longues", qu'Elisabeth Borne veut élargir

En réponse à une demande des Républicains, la Première ministre souhaite étendre le dispositif à ceux ayant commencé à travailler entre 20 ans et 21 ans. Qui est concerné ? Quels sont les effets des nouvelles mesures sur les actifs ? Franceinfo fait le point.
Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8 min
La Première ministre, Elisabeth Borne, lors de l'émission "L'Evénement", sur France 2, le 2 février 2023. (EMMANUEL DUNAND / AFP)

C'est l'un des points du projet de réforme des retraites qui devrait cristalliser les tensions lors des débats à l'Assemblée, qui se sont ouverts lundi 6 février. Quel sort réserver aux actifs ayant commencé à travailler tôt ?

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D'un côté, le gouvernement a prévu de conserver le dispositif des "carrières longues", tout en demandant à certains de ses bénéficiaires de travailler plus longtemps. De l'autre, Les Républicains ont fait de ce point l'une des clés de leur négociation avec la majorité, alors que leur appui est nécessaire pour faire passer le texte sans utiliser l'article 49.3 de la Constitution. Franceinfo vous résume le contenu de ce dispositif, et ce qui pourrait changer avec la réforme.

1 Qu'est-ce que le dispositif "carrières longues" ?

Aujourd'hui, l'âge légal de départ à la retraite est fixé à 62 ans. Mais depuis 2003, le système de retraites permet aux salariés et aux fonctionnaires qui ont commencé à travailler tôt, avant 20 ans, voire avant 16 ans, de partir en retraite plus tôt.

La réforme voulue par l'exécutif conserve ce dispositif "carrières longues", tout en modifiant ses paramètres. Ces changements sont particulièrement scrutés : plus d'un retraité sur cinq part aujourd'hui à la retraite au titre d'une "carrière longue", rappelle le dossier de presse du gouvernement sur la réforme.

2Quelles sont les règles actuelles ?

Selon le système en vigueur, les personnes qui ont commencé à travailler avant l'âge de 20 ans peuvent prétendre à un départ à la retraite à 60 ans. Celles entrées sur le marché de l'emploi avant 16 ans peuvent faire valoir leurs droits à la retraite à partir de 58 ans. Pour bénéficier de ce départ anticipé, il faut avoir cotisé quatre ou cinq trimestres avant ses 16 ou 20 ans, selon son mois de naissance. Mais il est aussi nécessaire d'avoir suffisamment cotisé tout au long de sa carrière, entre 42 et 45 années. Cette durée varie selon l'année de naissance et l'âge auquel les actifs concernés ont commencé à travailler, comme le détaille le tableau ci-dessous applicable aux salariés, issu du site service-public.

Conditions actuelles ouvrant droit à une retraite anticipée selon le dispositif "carrières longues". (SERVICE-PUBLIC.FR)

Ainsi, pour l'heure, une personne née en 1961 qui a commencé à travailler avant ses 16 ans peut partir à la retraite à 58 ans à condition d'avoir cotisé 44 annuités durant sa carrière, soit deux de plus que les actifs de sa génération. Si elle a entamé sa carrière un peu plus tard, mais avant l'âge de 20 ans, il lui est possible de partir à 60 ans, à condition d'avoir cotisé 42 annuités, comme les autres actifs de sa génération.

3 Quel était le projet initial du gouvernement ?

Le projet de réforme du gouvernement prévoit de remanier ce dispositif, avec un nouveau palier pour ceux qui ont entamé leur carrière entre 16 et 18 ans, et qui pourront continuer de faire valoir leurs droits à la retraite à compter de 60 ans. Ils devront en revanche avoir cotisé une année de plus que le reste de leur génération (jusqu'à 44 annuités), contre la même durée dans le système actuel (jusqu'à 43 annuités). Les travailleurs ayant démarré leur vie professionnelle à partir de 18 ans et avant 20 ans pourront continuer de bénéficier de la retraite au mieux deux ans avant l'âge légal. Soit, si le projet de loi actuel entrait en vigueur, à partir de 62 ans, contre 60 ans aujourd'hui.

Par ailleurs, l'exécutif propose que jusqu'à quatre trimestres validés au titre de l'assurance-vieillesse du parent au foyer, qui permet aux aidants familiaux de cotiser pour leur retraite malgré une interruption de leur activité professionnelle, soient désormais considérés dans le calcul des "carrières longues". Cet allègement du dispositif permettra à "3 000 femmes (...) de partir plus tôt à la retraite" chaque année, assure le gouvernement dans son étude d'impact.

Par ailleurs, le gouvernement a déposé un amendement qui vise à prendre en compte les trimestres d'apprentissage rachetés dans le cadre d'un départ en "carrière longue", ce qui est impossible aujourd'hui.

4Pourquoi est-il critiqué ?

Les organisations syndicales, les oppositions et l'organisation patronale U2P, qui représente artisans, commerçants et professions libérales, estiment qu'il est "injuste" de demander à ceux qui ont commencé à travailler plus tôt de cotiser plus longtemps que les autres. Ils évoquent notamment le cas des personnes exerçant une profession depuis qu'elles ont entre 16 ans et 20 ans, et qui, malgré leur "carrière longue", devront parfois cotiser jusqu'à 44 ans avec la réforme. Mais aussi celles qui ont commencé à 20 ans, et qui, dans le système actuel et le projet initial du gouvernement, ne bénéficient pas du dispositif. Or, en reportant l'âge légal de départ à 64 ans, comme le prévoit l'exécutif, il leur aurait fallu, elles aussi, cotiser 44 ans.

Pour faire un geste envers les députés LR, dont les voix sont primordiales pour adopter la réforme, Elisabeth Borne, a annoncé, dimanche 5 février, étendre le dispositif "carrières longues" aux personnes ayant commencé à travailler entre 20 et 21 ans. Celles-ci pourront donc partir un an avant l'âge légal, soit, à terme, 63 ans et non 64 ans. "C'est une mesure qui coûtera entre 600 millions et un milliard d'euros par an, et qui concernera jusqu'à 30 000 personnes par an", a-t-elle souligné dans le Journal du dimanche.

Les syndicats ne sont pas convaincus. C'est une "rustine" qui "n'est pas la réponse" attendue "à la mobilisation massive constatée", a dénoncé Laurent Berger, le patron de la CFDT, dans l'émission "Questions politiques" sur France inter, franceinfo et Le Monde, dimanche. Le leader de la CGT, Philippe Martinez, y voit du "bricolage", a-t-il assuré lundi sur France 2. Côté LR, Olivier Marleix, le chef du parti, reconnaît un geste dans le bon sens, mais souligne dans Le Figaro (article pour les abonnés) qu'il reste "encore la situation de ceux qui ont commencé à travailler à 16 ans ou 17 ans", qui ne doivent pas non plus cotiser plus de 43 ans. Mais permettre à tous ceux ayant commencé avant 21 ans de partir dès l'obtention de leurs 43 annuités coûterait 10 milliards d'euros, soit plus de la moitié des économies réalisées par la réforme, estime auprès de l'AFP Matignon, qui refuse donc de s'engager sur cette voie.

5 Qui sont les gagnants et les perdants de la réforme ?

Si elles entrent en vigueur, les nouvelles règles seront plus avantageuses pour les personnes qui ont commencé à travailler avant 16 ans, puisqu'elles devront avoir cotisé "seulement" une année de plus que les autres actifs de leur génération, contre deux aujourd'hui. Prenons le cas de Marc, né fin 1961, et qui a commencé à travailler à 15 ans. Selon la loi actuelle, il doit avoir cotisé 44 ans, soit deux ans de plus que les autres actifs, pour ouvrir le droit à une retraite anticipée. Dans son cas, il pourra donc partir à 59 ans, s'il a travaillé de manière continue. Si le projet du gouvernement est voté, il ne devra plus avoir cotisé que 43 ans et 3 mois. Il pourrait liquider ses droits à 58 ans et 3 mois.

La réforme ne changerait rien pour ceux ayant commencé à travailler à 16 ans et ayant une carrière continue. Samira, née en 1972, a commencé à travailler à 16 ans. Pour l'heure, elle peut partir à la retraite à 60 ans, après avoir cotisé au moins 42 ans et 9 mois. Si le projet de l'exécutif est adopté, elle devra cotiser un an de plus que ses pairs, soit 44 ans. Ce qui lui permettra encore de partir en retraite à 60 ans. En revanche, en cas de carrière hachée, elle ne pourra partir qu'après 60 ans.

Le texte du gouvernement a en revanche des conséquences négatives pour une majorité de ceux ayant commencé à travailler à 17 ans. Intéressons-nous au cas de Christophe, né en 1963 et qui a commencé sa carrière à cet âge. Il peut actuellement partir à la retraite à 60 ans, à condition d'avoir cotisé au moins 42 ans. Selon le texte porté par Olivier Dussopt, quelqu'un dans sa situation devra cotiser 43 ans et 6 mois. Même en cas de carrière continue, il ne pourra donc partir à la retraite qu'à 60 ans et 6 mois.

Enfin, les conséquences seraient différentes pour ceux ayant commencé à travailler à 18, 19 ou 20 ans, en fonction de leur année de naissance : les générations nées avant 1973 devraient travailler quelques mois de plus avec la réforme, et ce, malgré l'ajout de ceux ayant commencé à travailler entre 20 et 21 ans dans le dispositif "carrières longues", souhaité par Elisabeth Borne. Alicia, née en 1968, et qui a commencé à travailler à 20 ans, peut jusqu'à présent prétendre à un âge de départ à la retraite à 62 ans, comme les autres actifs de sa génération, si elle a cotisé 42 annuités et 6 mois. Sans remise de trimestres liée à une maternité par exemple, elle partira à la retraite à 62 ans et 6 mois. Si la réforme est adoptée, Alicia intégrera le dispositif "carrières longues". Elle pourra donc partir à 63 ans, un an avant le nouvel âge légal.

Les personnes nées à partir de 1973 et ayant commencé à 20 ans ne sont, elles, pas concernées par l'allongement de la durée de travail. C'est le cas de Mathieu, né en 1992, et qui a démarré sa vie active à 20 ans. Pour l'instant, il doit avoir cotisé 43 ans pour liquider ses droits, ce qui lui permet de partir à 63 ans. Si la réforme s'applique et qu'il est intégré au dispositif des "carrières longues", il devra toujours avoir cotisé 43 ans pour partir à la retraite. Il partira un an avant l'âge légal, soit à 63 ans.

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