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Impôt prélevé à la source : "L'annonce du gouvernement est un immense enfumage"

Pour Marc Wolf, ancien directeur adjoint au ministère des Finances, le projet du gouvernement n'est pas crédible, car sa mise en place ne sera pas progressive.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des avis d'imposition 2014. (MAXPPP)

Un impôt prélevé à la source dès le 1er janvier 2018 : c'est l'engagement que le gouvernement a pris, mercredi 17 juin, lors du Conseil des ministres. Si le projet – difficile à mettre en œuvre – n'est pas encore détaillé, le gouvernement a déjà posé plusieurs principes : le calcul de l'impôt restera le même (il ne devra donc y avoir ni gagnants ni perdants), le prélèvement sera sécurisé et la confidentialité des informations devra être garantie.

Pour Marc Wolf, ancien directeur adjoint au ministère des Finances et coauteur d'un rapport sur le prélèvement à la source pour le think-tank Terra Nova, le projet du gouvernement comporte un défaut majeur : sa mise en place trop brutale – qui implique une "année blanche" en 2017 – à une date qui se situe après la prochaine présidentielle.

Francetv info : Le prélèvement à la source sera "pleinement effectif" en 2018, selon le gouvernement. La mise en œuvre d'une telle réforme en moins de trois ans est-elle crédible ?

Marc Wolf : C'est possible, mais à la condition d'une montée en régime progressive de ce système. Or, ce n'est pas la solution retenue par le gouvernement, qui privilégie un basculement en une seule fois en 2018. Cette stratégie du "big bang" ne peut pas fonctionner.

L'exécutif parle pourtant d'une mise en place progressive à partir de 2016…

Cette annonce est un immense enfumage. Il ne se passera rien en 2016, ni d'ailleurs en 2017. On va faire un Livre blanc pour demander aux uns et aux autres ce qu'ils en pensent, mais cela fait quinze ans qu'on leur demande. On va continuer à améliorer le système de gestion informatique de l'impôt sur le revenu tel qu'il existe aujourd'hui. Et on va afficher dans la loi de finances 2016 quelques principes qui n'auront aucun effet concret.

Après la présidentielle 2017, le nouveau gouvernement se retrouvera devant un projet de basculement en une seule fois. Et une fois de plus, on ne fera rien. L'objectif de ce gouvernement est de ne rien faire, parce que le syndicat des impôts n'en veut pas. Il s'agit d'égarer l'opinion, de faire croire qu'on s'agite. C'est un gag.

S'il entre en vigueur en 2018 comme promis par le gouvernement, 2017 sera une "année blanche" fiscalement. L'Etat va donc subir un manque à gagner ?

Non, car ce qui compte dans les règles budgétaires, c'est l'encaissement. Au lieu de recevoir 70 milliards d'euros au titre de l'imposition de l'année précédente, l'Etat recevra 70 milliards au titre de la retenue à la source de l'année courante.

Mais cette année blanche pose problème. On peut s'attendre à toutes sortes d'abus et d'effets d'aubaine, avec une probable concentration de revenus exceptionnels sur l'année 2017, puisqu'ils seront exonérés d'impôt. Cela pourrait discréditer la réforme. Il y a encore plus grave : ceux qui en 2017 auront perçu moins de revenus que les autres années (perte d'un emploi, congé parental, etc.) ne verront pas leur impôt baisser ! 

Le gouvernement assure pouvoir mettre des garde-fous pour empêcher ces effets d'aubaine…

Le risque est énorme. Des solutions ont été avancées pour neutraliser l'effet de l'année blanche, par exemple prendre en compte les revenus sur plusieurs années et en faire la moyenne. Mais au lieu d'un système simple, on va inventer une usine à gaz à travers laquelle les petits malins parviendront toujours à se faufiler.

En mettant en œuvre le prélèvement à la source de façon progressive, la question de l'année blanche serait résolue. Cela permettrait de lisser ces 70 milliards d'euros d'abandon de créance. Le sentiment d'injustice et les tentatives d'optimisation, voire de fraude seraient ainsi évités.

Selon vous, comment devrait-on procéder pour étaler sur plusieurs années la mise en place du prélèvement à la source ?

Un rapport pour Terra Nova, dont je suis le coauteur, détaille les différentes étapes. La première, dès 2016, consisterait par exemple à appliquer la retenue à la source seulement à hauteur de 15%, individuellement et sans tenir compte de la situation familiale. On passerait à 40% la deuxième année. Cette phase permettrait de s'assurer que les systèmes informatiques soient bien connectés entre eux.

Entre-temps, la mise en place de la déclaration sociale nominative (transmise par les entreprises, les caisses de retraite, etc.) permettrait au fisc d'avoir connaissance en temps réel, chaque mois, du revenu de 30 millions de contribuables, de manière totalement automatisée. Ces informations pourraient être connectées avec le compte fiscal en ligne de chaque contribuable, lui permettant de s'assurer qu'il n'y ait aucune erreur.

La troisième année, l'ordinateur central de l'administration fiscale serait capable de calculer l'impôt dû chaque mois en fonction des revenus et de la situation familiale. L'administration serait en mesure de communiquer un taux synthétique que l'employeur n'aurait plus qu'à appliquer. Ainsi, ce dernier n'aurait pas à avoir connaissance de la vie privée du salarié. Dans le même temps, le prélèvement à la source pourrait monter à 70%, puis à 100% l'année suivante. La réforme serait ainsi complète en 2019. 

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