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Grève du 5 décembre : "On n'y croit pas", réagissent des enseignants à une lettre du ministre de l'Education nationale

Jean-Michel Blanquer a adressé mardi un courrier à l'ensemble des enseignants, afin de "partager le sens du projet de réforme des retraites". Une communication critiquée par plusieurs professeurs, à la veille de leur mobilisation. 

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, à la sortie du palais de l'Elysée, le 13 novembre 2019 à Paris.  (LUDOVIC MARIN / AFP)

La lettre est arrivée dans les boîtes mail des quelque 850 000 enseignants de l'Education nationale, mardi 3 décembre. Leur ministre, Jean-Michel Blanquer, a tenu à leur adresser un courrier, afin de "partager le sens du projet de réforme des retraites", et de les rassurer, à la veille d'une mobilisation annoncée massive contre ce projet. 

Dans cette lettre, le ministre de l'Education nationale promet à l'ensemble des personnels enseignants "une revalorisation salariale permettant de garantir un même niveau de retraite pour les enseignants que pour des corps équivalents de la fonction publique". Il assure que cette réforme présente, pour l'ensemble des fonctionnaires, "un progrès", du fait d'une cotisation sur l'ensemble de leur rémunération (y compris les primes), et de la prise en compte de la pénibilité dans la fonction publique. 

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Mais le message, communiqué à deux jours d'une grève qui s'annonce particulièrement suivie dans l'Education nationale, a été mal reçu par bon nombre d'enseignants. Sur Twitter, des internautes n'ont pas caché leur colère à la lecture, notamment, de cet extrait de la lettre présentant la réforme : "Nous mettrons en place un minimum de pension à 1 000 euros par mois pour ceux qui ont une carrière complète." 

L'extrait, qui évoque un aspect général de la réforme et concernerait donc l'ensemble des salariés, a été pris personnellement par ces enseignants. "Dans la salle des profs ce matin, certains pensaient que cette lettre était une provocation", relate l'auteur de l'un de ces tweets, Joël Mariteau. Ce dernier, enseignant au lycée Freyssinet de Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor), milite au syndicat Snes et fera grève jeudi. "D'autres enseignants disent que cela confirme bien leurs craintes sur la réforme des retraites. Cette lettre nous le signale clairement", poursuit-il. 

"On fait quoi avec 1 000 euros par mois ?"

Professeur des écoles à l'école maternelle de la Meinau, à Strasbourg (Bas-Rhin), et engagé au syndicat Snuipp-FSU, Pierre Friedelmeyer a été surpris de recevoir un tel courrier. "C'est curieux, on ne reçoit jamais de lettres aussi fréquemment, assure le professeur de 46 ans. On sent que le gouvernement est en ébullition avec la mobilisation qui s'annonce." A ses yeux, la mention du minimum de pension à hauteur de 1 000 euros est une erreur de communication qui risque d'attiser la colère des enseignants. 

"Mille euros, c'est une blague", lâche Steve Larranaga, enseignant au lycée Jacques-Feyder d'Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis). "On demande aux enseignants d'avoir un bac +5", rappelle le professeur, syndiqué au Snes. Le courrier interpelle tout autant Jean-Baptiste Mullet, professeur de SVT en collège et lycée à Auchel (Pas-de-Calais) : "Après avoir travaillé quarante-trois ans, 1 000 euros de retraite... Le minimum vieillesse est à 860 euros", rappelle l'enseignant, âgé de 30 ans. 

C'est le minimum vieillesse que Jean-Michel Blanquer annonce.

Joël Mariteau, enseignant à Saint-Brieuc

à franceinfo

D'après ses calculs, Jean-Baptiste Mullet pourrait personnellement perdre "au minimum" 500 euros mensuels de retraite avec cette réforme. Il ne travaillera pas jeudi, comme bon nombre de ses collègues. "Je ne fais pas très souvent grève", mais "quand on me dit que je vais perdre au minimum 500 euros par mois, c'est important de le faire." 

"On fait quoi avec 1 000 euros par mois en région parisienne ?" réagit de son côté Loez, enseignant en collège REP+ de Seine-Saint-Denis, et militant au sein du syndicat Sud-Education 93. Lui aussi compte faire grève jeudi, et les jours suivants s'il le faut. "Je refuse d'imaginer qu'à 64 ans je serai encore en face de mes élèves (...) et en train de galérer pour vivre et manger après avoir travaillé toute ma vie", s'inquiète le jeune trentenaire. 

Agé de bientôt 60 ans, Gilles, professeur dans un lycée des Yvelines, estime que ce minimum de pension concernera très peu d'enseignants, et plutôt les salariés du privé. Il confie qu'une lettre d'explication du ministère aurait dû venir "plus tôt" et non "dans la précipitation", face à "la fébrilité" et "l'inquiétude" qu'il ressent parmi ses collègues. L'enseignant voit toutefois dans cette réforme "un progrès", celui de mettre sur la table la question d'une augmentation des salaires au sein de l'Education nationale. "Une revalorisation salariale est indispensable, défend-il. Ce projet peut être l'occasion de corriger cela, si la négociation salariale est bien menée."

"Nous n'avons plus aucune confiance"

Dans son courrier, Jean-Michel Blanquer se veut rassurant sur cette question des revenus des enseignants. Beaucoup d'entre eux craignent que cette réforme ne les dévalorise : elle prendra en compte l'ensemble de leur carrière et non plus leurs six derniers mois de travail, mieux rémunérés. Le haut-commissaire aux Retraites, Jean-Paul Delevoye, avait lui-même reconnu que "les enseignants sont pénalisés si nous appliquons sans correction le système". 

Face aux inquiétudes, le ministre rappelle que les personnels éducatifs cotiseront aussi sur leurs primes, ce qui veut dire "plus de droits qu'aujourd'hui", promet-il. "Le problème, c'est que les primes, c'est 10% de notre rémunération globale, affirme Jean-Baptiste Mullet. Ce n'est rien. On ne gagnera pas grand-chose à partir de ça". Un constat partagé par Pierre Friedelmeyer : "Pour les enseignants du primaire, les primes représentent entre 5 et 8% de notre rémunération", assure-t-il.

Le ministre de l'Education nationale s'engage à la mise en place d'"une revalorisation salariale", afin de garantir des retraites plus avantageuses à l'entrée en vigueur de la réforme. Mais comme Jean-Michel Blanquer l'a confié lui-même au Parisien, il s'agit plutôt d'une revalorisation des primes qu'une hausse directe des salaires. Et à cette heure, l'Etat n'a pas donné de chiffres précis pour garantir aux enseignant un maintien de leur niveau de pensions, souligne le HuffPost.

"La revalorisation des salaires, il nous l'a déjà promise", commente Loez, confiant n'accorder "aucun crédit" aux annonces de Jean-Michel Blanquer. "Cette revalorisation salariale, on n'y croit pas du tout, renchérit Pierre Friedelmeyer. Nous n'avons plus aucune confiance. Et nous en avons assez de nous faire taper dessus." 

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