Grève des médecins : "Les généralistes sont relativement mal payés en France" alors que "les spécialistes libéraux sont les mieux payés au monde", explique un sociologue du CNRS
"Les médecins généralistes sont relativement mal payés en France" et "les spécialistes libéraux sont parmi les mieux payés au monde", a expliqué mardi 14 février sur franceinfo Frédéric Pierru, sociologue au CNRS, spécialiste des questions de santé. Les médecins sont appelés de nouveau par les syndicats à fermer leur cabinet mardi. Ils réclament une hausse de la consultation et dénoncent leurs conditions de travail. "La revalorisation de la consultation pose la question de la réduction des inégalités de revenus" entre les médecins, souligne-t-il. L'Assurance maladie propose aux généralistes une consultation de base à 26,50 euros, contre 25 euros aujourd’hui. Le gouvernement pourrait conditionner une augmentation plus conséquente aux médecins qui s'engagent contre les déserts médicaux. Le syndicat des Médecins libéraux réclame, de son côté, une consultation à 50 euros : "Comment expliquer une telle augmentation du revenu des médecins avec des patients qui s'appauvrissent en raison de la modération salariale, de l'inflation, du gel du point d'indice", a réagi le sociologue.
franceinfo : Les médecins généralistes sont-ils à plaindre en France ?
Frédéric Pierru : Les médecins généralistes sont relativement mal payés en France par rapport à d'autres pays européens. Le problème c'est que nous avons des spécialistes libéraux qui sont très bien payés, qui sont même parmi les mieux payés au monde.
"La revalorisation de la consultation pose la question de la réduction des inégalités de revenus intraprofessionnelles entre le radiologue qui peut gagner 800 000 euros net annuel par an, et puis le médecin généraliste qui gagne 80 000 ou 90 000 euros."
Frédéric Pierru, sociologue au CNRSà franceinfo
D'une façon générale, la médecine générale a été très peu valorisée en France. Il y a toujours eu une inégalité de rémunération assez grande entre les généralistes et les spécialistes. Il me semble que le débat est là, plutôt que de demander aux assurés sociaux ou aux contribuables de financer 100 000 euros supplémentaires de revenus par an et par médecin.
Le gouvernement pourrait conditionner des augmentations plus importantes à une implication plus grande des généralistes dans la lutte contre les déserts médicaux. Cela vous semble pertinent ?
Sachant que 11% des Français n'ont pas de médecin traitant, 18% à 20% selon les territoires, conditionner les augmentations à notamment des obligations de permanence et de garde des soins, des obligations de service public, ne me paraît pas totalement aberrant et finalement franchement impérieux. C'est fait ailleurs. En France, on est dans une dramaturgie qui est assez classique pendant la négociation de la convention nationale qui lie les médecins libéraux à l'Assurance maladie. Depuis le début du XXᵉ siècle, le début des assurances sociales, on a des manifestations, des grèves.
"La spécificité des médecins français, c'est qu'ils ont repris le répertoire ouvrier, qu'on voit très peu dans d'autres pays."
Frédéric Pierruà franceinfo
À combien faudrait-il augmenter la consultation ?
Ce qui est un peu gênant et ce qui me choque, c'est de réclamer une consultation à 50 euros, ce qui fait 100 000 euros de plus par an et par médecin. Je suis fonctionnaire au CNRS. Je subis le gel du point d'indice depuis 2010 et je subis l'inflation. Comment expliquer une telle augmentation du revenu des médecins avec des patients qui s'appauvrissent, du coup, en raison de la modération salariale, de l'inflation, du gel du point d'indice, etc. Il y a quelque chose qui est assez heurtant, surtout quand on dit finalement "pas de conditions, c'est inconditionnel et c'est pour tout le monde". Si la consultation des généralistes augmente à 50 euros, la consultation de spécialistes va augmenter à combien ? Il faudra payer. Derrière, c'est le contribuable qui va payer. On ne peut pas dire d'un côté, 'on fait une réforme des retraites'. Et puis, pour diminuer les déficits publics dire 'on va payer 100 000 euros de plus par médecin par an'. Il va falloir augmenter la CSG, or le pouvoir a dit qu'il n'augmenterait pas les impôts. On est dans une impasse politique.
Le gouvernement souhaite que les patients accèdent directement à des kinésithérapeutes, orthophonistes et infirmiers en pratique avancés sans avoir besoin de passer par un médecin. C'est une bonne idée ?
À la fin du XIXᵉ siècle, on n'avait pas assez de médecins, qui soignaient surtout les riches. Il a fallu former des médecins au petit pied, c'est-à-dire en quatre ans. Et donc, la médecine libérale s'est construite et s'est organisée collectivement pour lutter contre les officiers de santé. On a l'impression de revivre avec les infirmiers de pratique avancée ce débat qui avait eu à la fin du XIXᵉ siècle. C'est bien beau de dénoncer finalement une nouvelle division du travail entre les soignants, les pharmaciens, etc., mais la question c'est 'qu'est-ce qu'on fait pour les 11% de Français qui n'ont pas de médecin traitant ?' La médecine générale est devenue un goulot d'étranglement pour l'accès à un certain nombre de soins. Il faut quand même faire quelque chose. Dans les préconisations ou les récriminations des mobilisations médicales actuelles, j'entends très peu de solutions. Je n'entends rien de constructif.
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