Xavier Niel : "Nous sommes dans une sorte de dénigrement permanent contre la France"
Pour son émission "L'angle éco", lundi 8 décembre sur France 2, François Lenglet a rencontré un chef d'entreprise heureux. Entretien avec Xavier Niel, patron de Free et mécène de l'école 42.
"La France est un pays fantastique pour les entreprises." Xavier Niel, copropriétaire du groupe Le Monde, entre autres, le dit partout où il passe : il est un chef d'entreprise heureux. A contre-courant des patrons qui protestent contre un cadre réglementaire français qu'ils jugent trop contraignant, le patron de Free assure que ni les 35 heures, ni le Code du travail ne sont un problème pour entreprendre.
François Lenglet a rencontré Xavier Niel pour son émission "L'angle éco" diffusée sur France 2 lundi 8 décembre. Il explique son point de vue et raconte son projet, l'école 42, créée pour répondre aux besoins des entreprises en mal de développeurs informatiques.
François Lenglet : Beaucoup d’économistes et de chefs d'entreprise disent : "Il y a trop de rigidités sur le marché de l'emploi, et c’est ce qui explique que la France ne crée pas assez d’emplois." En tant que patron, vous partagez ce diagnostic ?
Xavier Niel : Parfois, je peux être un peu différent de mes camarades sur le sujet. Dans les métiers des nouvelles technologies, qui progressent vite, si on a des jeunes bien formés, le problème de rigidité n’existe pas trop. La flexibilité existe de fait parce vous êtes dans des métiers de plein emploi où il y a plus de demande que d’offre. La rigidité peut exister dans des métiers plus traditionnels, dans l’industrie, dans des métiers anciens.
Moi, je suis ravi d’être dans ce pays. Je pense que pour créer des entreprises, pour avancer, pour concevoir des nouvelles technologies, la France est un pays fantastique et qu’on ne s’en rend pas assez compte. Nous sommes dans un pessimisme ambiant, une sorte de dénigrement permanent contre la France… Un "bashing" qui se propage au-delà de nos frontières. Alors que nous sommes dans un pays avec des initiatives brillantes, qu'on a les meilleurs ingénieurs au monde.
Le Code du travail, qu’on évoque souvent, est-il un frein pour vous ? Les patrons, là aussi, se plaignent souvent… Trois mille cinq cents pages, X pages de plus chaque mois…
Je pense qu’en effet, le Code du travail est un petit peu complexe, mais je ne pense pas qu’il faille supprimer les avantages existants. Je pense qu’en réduisant un peu le nombre d’articles, on peut obtenir exactement la même protection des salariés, qui est importante, qui est une bonne chose et qui est nécessaire en France, sans avoir une telle complication.
Si vous êtes un employeur d’une petite entreprise, vous ne pouvez pas comprendre ce Code du travail, donc il faut le simplifier. Mais faut-il le détricoter simplement pour enlever les avantages aux salariés ? Ce n’est pas mon point de vue. Le Code du travail est très protecteur et c’est super. Il faut juste le rendre lisible et transparent. Il faudrait qu’un jour, on ait un gouvernement qui soit capable de se dire : "Voilà les avantages dont disposent les salariés dans ce pays, voilà les prérogatives des employeurs, prenons tout ça et, au lieu de l’écrire sur autant de pages, on peut peut-être de manière intelligente réécrire la même chose de manière plus simple."
Pour un certain nombre de patrons, les 35 heures sont un autre problème français. Ils estiment qu’on ne travaille pas assez. C’est votre sentiment ?
J’ai des expériences dans plusieurs pays. Ce que je vois, c’est que la productivité en France est très bonne. On a beau travailler 35 heures, les salariés sont, d’une manière générale, très productifs. Est-ce qu’on préfère des salariés très productifs pendant 35, 40 heures, ou des salariés moins productifs pendant 45 heures ?
Encore une fois, je vous parle des métiers que je connais. Peut-être que dans d’autres métiers, ce n’est pas le cas, mais dans ces métiers-là, les gens sont extrêmement productifs.
Donc la durée du travail n’est pas le problème.
Ce n’est pas la cause de tous nos maux. C'est un problème parce que ça fait peur. On est habitués en France à avoir des lois qui font peur. Si vous êtes investisseur étranger, vous vous dites : "En France, on ne peut travailler que 35 heures, alors que dans les autres pays européens, on est plutôt autour de 40 ou 42 heures. J’ai 3 500 pages de Code du travail alors qu’ailleurs, j’en ai beaucoup moins." Mais la réalité ne correspond pas à ces choses-là. On a un problème de marketing, de forme, et non pas un problème de fond sur ces sujets.
Pour quelles raisons avez-vous créé l'école 42 ?
Pour deux raisons. D’abord, le développement informatique est un métier où l'on manque de gens formés. Ce sont les gens qui font tous les logiciels informatiques, dont on a besoin dans notre vie quotidienne. Ensuite, entre 100 000 et 200 000 jeunes sortent du système scolaire chaque année sans diplôme, ceux que l’on appelle les décrocheurs. On s’est aperçu que ces jeunes avaient vraiment tous les éléments nécessaires pour faire de très bons développeurs.
Ils viennent ici sans diplôme, on ne leur demande rien de ce qu’ils ont fait avant, et au bout, on ne leur délivre pas de diplôme. Mais on leur apprend un vrai savoir, à être capable de travailler dans une entreprise ou de créer leur entreprise. On ne sait pas faire un programme qui soit normé, au contraire, on fait tout l’inverse. Il y a quand même une bizarrerie dans l’éducation classique, c’est qu’on estime que tout le monde doit apprendre la même chose en même temps. Les enfants de 6e doivent apprendre le même jour, la même heure, la même chose. Mais les gens sont différents, et à 42, ils vont à leur vitesse.
Cela veut dire qu'en France, on peut quand même faire des choses ?
On me reproche mon positivisme, mais en France, on peut faire plein de choses fantastiques. Et la création de l'école 42 est une des petites choses au milieu de plein d’autres choses que font plein d’autres gens dans ce pays, qui servent le marché de l’emploi, et qui servent l’attractivité de ce pays.
J'ai vécu quelque chose de très drôle. Le fondateur de Netflix est arrivé un dimanche soir des Etats-Unis, on est venus ensemble à l'école… Et à Paris, il a vu 500 jeunes qui étudiaient volontairement à l'école un dimanche soir. Ce n’est pas l’image qu’il a de la France. J’espère qu’il est reparti avec une image positive. Mais ce n’est pas qu’à 42, cela existe dans d’autres endroits en France.
A 42 justement, on ne compte pas les heures des étudiants, ils viennent quand ils veulent. Vous les jugez sur les résultats. En tant que patron, pourriez-vous mettre en place une règle comme celle-ci avec vos quelques milliers de salariés ?
Chez Free, les besoins ne sont pas les mêmes selon les fonctions. Dans les call-centers ou pour les techniciens qui vont intervenir chez les abonnés, une certaine rigidité est obligatoire parce qu’on prend des rendez-vous à heure fixe avec les clients. Mais sur les autres services, il n'y a pas de rigidité. Il y a peut-être un horaire classique, mais je ne le connais pas. Les gens ont un boulot à faire et le font, sans qu'on leur impose une tranche horaire donnée. Mais je crois que de très nombreuses entreprises, dans les médias, dans la publicité, dans les technologies, fonctionnent déjà de cette manière.
Le coût du travail est-il un problème pour votre secteur, celui des nouvelles technologies ?
Ce dont je m’aperçois, c’est qu’aujourd’hui, un ingénieur en informatique nous coûte beaucoup moins cher en France qu’aux Etats-Unis, dans la Silicon Valley, pour une productivité équivalente.
En France, les salaires sont moins élevés, la productivité est similaire et les charges sociales, même si elles sont probablement plus élevées, apportent plus de confort pour le salarié. In fine, le prix d'un ingénieur en France est inférieur à celui des Etats-Unis.
Avec quels salaires vont être embauchés les élèves de 42 ?
S'ils restent en France, leur salaire tournera autour de 45 000 euros brut par an. S'ils vont aux Etats-Unis, ils auront un salaire de 110 000 à 120 000 dollars par an, en fonction des entreprises où ils vont.
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