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Les recettes de corruption des grandes compagnies

Petit guide des magouilles les plus courantes, alors que le Parlement européen va exiger plus de transparence dans les sociétés qui exploitent les ressources naturelles, notamment en Afrique.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Les malettes font désormais partie du folklore. Les paradis fiscaux permettent de transférer de l'argent de manière discrète. (CAROLINE PURSER / PHOTOGRAPHER'S CHOICE / GETTY IMAGES)

ECONOMIE - "C'est une décision intéressante, en attendant qu'elle soit promulguée." Christian Mouenzo, responsable de la coalition Publiez ce que vous payez au Congo, ne bondit pas de joie. Le parlement européen s'est prononcé, mardi 18 septembre, pour davantage de transparence dans le secteur des industries extractives (pétrole, mines). Elle doit obliger les multinationales à montrer patte blanche afin de lutter contre la corruption. L'étape est importante, mais le responsable d'ONG garde les pieds sur terre. L'adversaire est de taille.

Plus précisément, le Parlement européen s'est prononcé en faveur d'un projet de loi. S'il était adopté par les gouvernements de l'UE, il obligerait les compagnies minières, pétrolières, gazières et forestières, exploitant les richesses des pays en développement, à publier des informations sur leurs activités. Parmi elles, leur comptabilité, détaillée projet par projet. Chaque paiement dépassant 80 000 euros devrait être rendu public. 

"On va peut-être commencer à avoir des données pour comprendre ce que font les grandes compagnies pour s'octroyer des marchés", se félicite Grégoire Niaudet, du Secours Catholique. En rendant plus transparentes les dépenses des groupes, le Parlement espère limiter la corruption. D'autant que ces nouvelles contraintes ne se limitent pas à l'Europe. Elles imitent une récente décision de la commission de surveillance des actions boursières (SEC) américaine.

FTVi s'est penché sur quelques-unes de ces magouilles pratiquées par les compagnies. Des stratégies complexes et souvent difficilement décelables.

Bien saler les factures

La recette. Surfacturation ou sous-facturation, dans tous les cas il s'agit de facturer à un prix qui n'est pas le bon pour maquiller les comptes. Soit pour obtenir ensuite une substantielle plus-value, en revendant via une filiale hébergée dans un paradis fiscal au prix du marché. Soit pour obtenir une faveur ou de nouveaux marchés en détournant une partie de la somme, par exemple.

Une affaire. La direction d'Elf Aquitaine (devenue Total) s'était rendue experte en la matière. En Allemagne, une ramification de cette affaire, l'affaire Leuna, montre que le pétrolier français a signé de curieux contrats.

En 1992, après la réunification de la RFA et de la RDA, Elf souhaite mettre la main sur un réseau de stations-services est-allemandes. En contrepartie, le chancelier Helmut Kohl demande à François Mitterrand que le pétrolier sauve la raffinerie Leuna. En 2001, Le Parisien explique qu'Elf a investi "3 milliards d'euros pour moderniser la raffinerie, et l'Allemagne s'est engagée à verser des subventions". Lors de l'opération, "256 millions de francs (39 millions d'euros) ont été versés par Elf et se sont envolés dans la nature". La CDU, parti de Kohl, a été évoquée comme bénéficiaire.

En Afrique, l'entreprise était un "véritable bras séculier d'Etat", selon son ancien patron, Loïk Le Floch-Prigent. A tel point que le groupe est en mesure de faire ou de défaire les présidents. L'ex-patron, cité dans l'ouvrage Scandale des biens mal acquis, de Thomas Hofnung et Xavier Harel, affirme qu'au Gabon, "Elf nomme [Omar] Bongo ; mais c'est vrai du Congo, devenu quelque temps marxiste, toujours sous le contrôle d'Elf ; c'est vrai aussi pour le Cameroun". Depuis, Elf est devenu Total. Omar Bongo est mort. Son fils a été élu président lors d'une élection contestée. A un journaliste de Bakchich, feu Omar Bongo avait assuré en 2005 : "Avec Total, cela se passe comme avec Elf, rien n'a changé."

En 2007, la juge d'instruction Eva Joly expliquait les montages complexes de l'affaire Elf.

Couvrir les pots-de-vin par des activités de conseil

La recette. Pour toucher un pot-de-vin, rien de tel que de le faire passer, dans les comptes, pour une activité de conseil.

Une affaire. C'est l'une des méthodes employée par certains dirigeants de Siemens, rappelle un intéressant rapport du Comité catholique contre la faim (CCFD). "Entre 2000 et 2006, l'entreprise allemande a versé environ 1,3 milliard d'euros de pots-de-vin, notamment à des responsables politiques, pour obtenir des marchés en Russie et au Nigeria", explique-t-il.

En 2010, "le tribunal de Munich a condamné Michael Kutschenreuter, 55 ans et ancien directeur financier de la division télécommunications de Siemens (Com), à deux ans de prison avec sursis et à une amende de 60 000 euros pour abus de confiance. Une peine d'un an et demi de prison avec sursis a été infligée à Hans-Werner Hartmann, 55 ans et ancien chef comptable et collaborateur de M. Kutschenreuter", écrivait le journal suisse Le Matin.

Les deux hommes ont reconnu s'être "comporté avec indifférence face aux paiements discrets" par le biais de "contrats de conseil douteux". Ils ont aussi eu recours à des fausses factures et des sociétés-écrans.

Pimenter le tout avec des "projets sociaux"

La recette. "Les entreprises dépensent de l'argent dans les 'projets sociaux'. Elles vous donnent l'impression qu'elles sont philanthropes, qu'elles font des choses dans les communautés, pour essayer d'améliorer leur image de marque. Mais là encore, les projets sont surfacturés, résume Christian Mouenzo, contacté par FTVi. Dès que l'argent sort, il peut être détourné. On voit des projets mis en œuvre a minima. L'entreprise dit : 'Cette école a été faite avec 10 milliards [de francs CFA]', mais ce n'est pas le montant exact."

Une affaire. En Afrique, les multinationales occidentales ne sont pas les seules à prendre des libertés. En République démocratique du Congo (RDC), un deal "infrastructures contre minerais [avec la Chine] a été dénoncé par les institutions de Bretton Woods", écrivait en 2009 Jeune Afrique.

Dans cet Etat qui manque de tout, deux entreprises chinoises se sont engagées en septembre 2007, pour 9 milliards de dollars (soit plus que le budget du pays en lui-même !), à construire routes, lignes de chemin de fer, hôpitaux, écoles et barrages, explique un rapport de l'ONG Global Witness.

En échange, le gouvernement congolais s'est engagé à livrer "jusqu'à dix millions de tonnes de cuivre et des centaines de milliers de tonnes de cobalt provenant de mines situées dans le (...) sud-est du pays. Ces mines pourraient permettre de dégager au moins 40 milliards de dollars de recettes, voire jusqu'à 120 milliards de dollars, soit environ de quatre à onze fois le PIB du Congo."

"Très peu d'informations sur les aspects financiers fondamentaux de l'accord ont été rendues publiques. (...) Peu d'éléments ont été divulgués sur les infrastructures appelées à être construites et sur leur coût", écrit l'ONG. D'ailleurs, "l'accord a été négocié à huis clos en l'absence de toute procédure préalable d'appel d'offres international". Pire : "Une commission parlementaire congolaise a épinglé la ponction de près de 24 millions de dollars dans le montant versé par le gouvernement chinois au titre du pas-de-porte. Selon la commission, cette somme aurait été détournée par des partenaires congolais vers une entreprise offshore."

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