L'ex-PDG d'Alcatel-Lucent, Michel Combes, peut-il se servir de ses résultats pour justifier son "parachute doré" ?
Michel Combes, qui va percevoir près de 14 millions d'euros d'ici à 2018, principalement sous forme d'actions, a justifié, lundi, ce montant par ses bonnes performances. Un spécialiste de la rémunération des patrons n'est pas totalement convaincu.
Son cas a été jugé "choquant" par le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, mercredi 2 septembre. Depuis que l'ex-directeur général d'Alcatel-Lucent a quitté son poste, en début de semaine, le montant des primes qu'il doit toucher après son départ ravive la polémique sur les "parachutes dorés" des grands patrons. Le futur président du conseil d'administration de Numericable-SFR doit recevoir, réparti sur les trois prochaines années, un cocktail de primes et d'actions d'une valeur totale de 13,7 millions d'euros. "Fier du travail accompli" en un peu plus de deux ans à la tête de l'entreprise, Michel Combes s'est défendu, lundi, en mettant en avant la hausse du cours en Bourse d'Alcatel-Lucent.
Pour savoir si les résultats de Michel Combes justifiaient ces émoluments conséquents, francetv info a interrogé Loïc Dessaint, directeur général de Proxinvest. Ce cabinet, spécialiste de la gouvernance des entreprises, a saisi l'Autorité des marchés financiers (AMF), mardi, sur le cas d'Alcatel-Lucent.
Francetv info : Michel Combes estime que le montant qu'il va recevoir d'Alcatel-Lucent est dû à ses bonnes performances : il va principalement être rémunéré en actions, dont la valeur a triplé au cours de son mandat. Que pensez-vous de cette défense ?
Loïc Dessaint : Bien sûr, il y a eu des "parachutes dorés" plus scandaleux que celui de Michel Combes, car son bilan est plutôt positif. Mais si le cours de l'action a triplé depuis son arrivée en 2013, il a tout de même été divisé par 10 en dix ans. Sur le long terme, les actionnaires ont perdu énormément d'argent. Et le chiffre d'affaires de son entreprise a baissé durant son mandat : si Alcatel-Lucent est proche de l'équilibre, c'est grâce à la réduction des coûts et les suppressions de postes. L'effort a surtout porté sur les salariés. Avec un salaire fixe mensuel de 100 000 euros, on ne peut pas dire que Michel Combes prenait beaucoup de risques personnels, même en étant rémunéré, en partie, en actions.
La vraie question, c'est combien doit-on rémunérer un dirigeant qui a plutôt bien réussi et qui part au bout de deux ans, sans être licencié ? Normalement, la performance se rémunère au cours du mandat d'un dirigeant. L'indemnité de départ ne récompense pas la performance, elle compense le préjudice du licenciement. Michel Combes a démissionné, et il va diriger le conseil d'administration de SFR-Numericable : je ne me fais aucun souci pour sa rémunération future. Pour moi, son bilan vaut peut-être une indemnité de 3 à 4 millions d'euros, mais pas 13,7 millions.
Les "parachutes dorés" sont-ils habituellement liés à la performance des dirigeants ?
Les scandales sur les "parachutes dorés" ne sont pas nouveaux : en 2007, Nicolas Sarkozy avait promis que les grands dirigeants ne seraient plus récompensés en cas d'échecs. Cela s'est traduit par la loi Tepa de 2007. Les indemnités de départ ont ainsi été soumises à des conditions de performance.
C'était d'ailleurs le cas pour Bernard Combes. A son arrivée en avril 2013, Alcatel-Lucent avait approuvé une indemnité de départ équivalente à sa dernière année de salaire. Après le rachat par Nokia et l'annonce de son départ, en avril, Michel Combes a fait une déclaration un peu mensongère, en expliquant qu'il renoncerait à cette indemnité de 2 millions d'euros. Mais, en réalité, l'entreprise a reconnu que l'objectif fixé n'avait pas été rempli.
S'il n'a pas touché de prime de départ, comment expliquer les 13,7 millions d'euros qu'il doit percevoir ?
Tout d'abord, parce que l'entreprise a décidé de lui attribuer la totalité de ses "unités de performances". Ce sont des bonus, sous forme d'actions, votés chaque année par le conseil d'administration, mais qui deviennent caduques si certains objectifs financiers ne sont pas remplis. Normalement, il n'aurait dû garder la totalité de ces actions, d'une valeur totale de 8,2 millions d'euros, que si les résultats d'Alcatel étaient bien meilleurs que ceux de ses concurrents. Mais le conseil d'administration de l'entreprise a aboli cette règle tout comme celle qui stipulait qu'il devait rester au moins trois ans en poste pour avoir droit à ces actions. Au vu de ses résultats, un tiers de ces actions aurait amplement suffi : sur ce point, je pense qu'il est naturel que tout le monde demande un geste de sa part.
Certes, Michel Combes n'a pas eu droit à sa prime de départ, mais en août, Alcatel a inventé autre chose, en votant une indemnité de non-concurrence [qui s'élève à 4,5 millions d'euros]. C'est une clause habituelle dans les contrats des grands dirigeants, pour les empêcher de partir diriger un concurrent, et ainsi protéger les secrets de l'entreprise. Mais elle est normalement fixée en début de mandat. Celle de Michel Combes a été votée au moment où tout le monde savait qu'il partait chez SFR-Numericable. Sans oublier que cette entreprise n'est pas un concurrent mais un client d'Alcatel-Lucent. Donc cette clause n'a pas de raison d'être.
Vous estimez donc que cette indemnité de non-concurrence est anormale...
A ma connaissance, c'est la première fois en France qu'une telle prime est versée en actions et non en espèces. C'était probablement une tentative pour esquiver le débat sur son montant anormalement élevé. Si on se base sur le cours actuel de l'action d'Alcatel-Lucent, elle équivaut à 4,5 millions d'euros, soit davantage que la limite légale qui est de deux ans de salaire [4 millions d'euros, dans ce cas]. On ne sait pas ce que sera la valeur de ces actions dans un ou deux ans, mais il me semble normal d'utiliser le cours actuel pour estimer la valeur de cette rémunération.
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