Crise énergétique : comment les pelouses des stades de Ligue 1 vont-elles passer l'hiver ?
Le foot ne prend pas de pause. Après quatre semaines de Coupe du monde au Qatar, le championnat de France de Ligue 1 reprend mercredi 28 décembre. La 16e journée verra entre autres le Paris Saint-Germain recevoir Strasbourg, Lens se rendre à Nice et Marseille jouer contre Toulouse au Stade Vélodrome. Cette fois, les joueurs ne joueront pas dans des enceintes climatisées mais ils arpenteront un rectangle vert qui bénéficie souvent d'un système de chauffage de la pelouse.
"Tous les stades ne sont pas équipés en Ligue 1 et en Ligue 2", indique Patrice Therre, gérant de Novarea, un bureau de diagnostic et de contrôle des sols sportif. Cette entreprise a déjà travaillé sur les pelouses du stade de la Beaujoire à Nantes ou du Parc des Princes à Paris. "Il y a deux grands types de systèmes, poursuit Patrice Therre. Un système simplement avec des câbles électriques qui passent à peu près à une trentaine de centimètres de profondeur et qui sont espacés d'environ 25 cm. Et un autre type qui utilise de l'eau chaude. Il y a des canalisations de 25 mm de diamètre dans lesquelles l'eau chaude circule à 30 cm sous la pelouse."
Des système de chauffage même dans le sud de la France
Une douzaine de stades de Ligue 1 sont équipés de ce genre de système de chauffage de la pelouse et 14 en Ligue 2. "C'est un choix parce que vous avez un chauffage par exemple à Monaco, informe Patrice Therre qui intervient aussi en tant qu'expert auprès de la commission Infrastructure Stade de la LFP. Cela peut paraître surprenant, mais il se trouve que même dans le bassin méditerranéen, en hiver, la température descend régulièrement en dessous de 10 °C. Mais bien sur le chauffage fonctionne plus fréquemment et les consommations sont plus fortes dans l'est de la France." Certains clubs disposent de conditions climatiques plus favorables, notamment ceux situés sur la façade océanique, et n'ont pas ce type de système de chauffage.
Une installation coûte entre 250 000 et 400 000 euros suivant la configuration pour les clubs. Le coût de l'utilisation pour une saison est très fluctuant et peut aller de 25 000 euros à 140 000 euros. Le but est bien sûr d'éviter les annulations de matchs sauf s'il survient une panne. Le match de National opposant l'AS Nancy Lorraine à Martigues prévu le vendredi 16 décembre a été reporté à la suite d'une panne du système de chauffage, une bande de pelouse était complètement gelée, ce qui mettait les joueurs en danger. Cependant, peu de chance de voir les matchs de Ligue 1 de la 16e journée reportés. Le mercure est remonté en France faisant oublier les températures glaciales du début du mois de décembre.
Mais si ces températures hivernales se réinstallent sur le pays, les clubs devront donc lancer leur système de chauffage. "Pour éviter que le terrain gel, le chauffage est mis en place quand on a des températures qui atteignent entre 2 et 3 °C et qu'elles sont en train de descendre", indique le gérant de Novarea.
"II est nécessaire quand même d'anticiper la météo, parce que ça ne chauffe pas tout de suite. Il faut pratiquement 48 heures pour faire monter la température d'un terrain."
Patrice Therre, gérant de Novareaà franceinfo
Des engagements de sobriété énergétique
Mais ces installations ont-elles un avenir avec les efforts en matière de sobriété énergétique demandés au monde du sport ? Des engagements ont été pris par les clubs de football professionnels permettant notamment une diminution de l'éclairage avant et après les matchs (avec une réduction de près de 50% pour les matchs en journée et de 30% en soirée), une baisse de 10% la consommation d’énergie de la luminothérapie des pelouses ainsi qu'une diminution du chauffage au sol des pelouses, indique la Ligue de football professionnel mais sans donner de chiffres précis pour ce dernier point.
En cas de gel, "il faudra chauffer les pelouses pour ne pas que les rencontres soient reportées", souligne Patrice Therre. Mais même en cas de restrictions d'utilisation de l'électricité liées au déclenchement du signal Ecowatt rouge, "il faudrait ne pas avoir de chance", explique le spécialiste : "Quand on coupe le chauffage, il y a quand même de l'inertie thermique, ça ne refroidit pas immédiatement. On peut faire des interruptions de deux heures et ce n'est pas ça qui va faire geler le terrain. Il faudrait au moins une journée entière de coupure pour que le terrain gèle."
Ces installations ne servent pas qu'à prévenir les risques de gel mais aussi à améliorer la qualité de la pelouse. Une fonction agronomique pour faire repousser le gazon en phase hivernale, au moment où il ne pousse plus. Le chauffage est parfois mis en place quand il fait aux alentours de 10 °C pour maintenir la température et faire repousser l'herbe. C'est sur ce mode de chauffage que pourront jouer les clubs pour réduire leur consommation énergétique. "Maintenir à 10 ou 12 °C une pelouse consomme évidemment de l'énergie, explique Patrice Therre. Si on décide de couper plus fréquemment, voire de réduire la température cela permettrait de faire des économies. Des clubs ont arrêté de chauffer en passant en Ligue 2, leur pelouse est un peu moins belle et moins dense mais peut avoir une qualité acceptable sans avoir la qualité du Parc des Princes."
"Un réveil un peu tardif"
Les stades en France ont largement commencé à se munir de ce type de chauffage vers les années 2010, avec en vue l'organisation de l'Euro 2016, indique Patrice Therre : "Il y a eu une dynamique à ce moment-là dans notre métier." Avant, la méthode la plus utilisée était le bâchage de la pelouse qui nécessite d'insuffler de l'air chaud sous la bâche. Ce procédé énergivore a montré ses limites. Par exemple, le 11 février 2011, la rencontre de rugby entre la France et l'Irlande pour le tournoi des Six-nations était annulée à quelques minutes du coup d'envoi. La pelouse avait était débâchée deux heures avant le début du match mais avait gelé par endroits. Cette méthode est toujours utilisée dans certains stades de l'Hexagone comme à Strasbourg. Un chauffage "à l'ancienne" au stade de la Meinau où joue le Racing club de Strasbourg qui doit disparaître avec la restructuration et la modernisation de l'enceinte prévue pour 2025-2026.
Un nouveau stade qui sera "sobre et vertueux", affirme Alain Plet, directeur général adjoint du Racing club de Strasbourg, aux Dernières Nouvelles d'Alsace (article réservé aux abonnés). Des enceintes qui prennent en compte le changement climatique sont encore peu développées alors que les conséquences en hiver comme en été se font déjà ressentir sur les pelouses de Ligue 1. L'été 2022 avec des épisodes de canicule avait dégradé fortement le gazon des stades de football professionnel. Le match Lorient-Lyon, prévu dimanche 14 août pour la 2e journée de Ligue 1, avait été reporté en raison du mauvais état du terrain. Le championnat des pelouses mise en place par la LFP avait été suspendu à cause de la sécheresse et n’a depuis pas été réactivé, informe la Ligue.
"Le volet environnemental a pris une place qui est considérable, mais c'est un réveil un peu tardif de mon point de vue, explique le gérant de Novarea. J'ai travaillé sur beaucoup de projets de l'Euro 2016. Je n'ai pas considéré qu'il y avait énormément de choses faites au niveau de la pelouse. Je ne parle pas des bâtiments. Il y avait beaucoup de choses à faire sur la récupération des eaux de drainage, le recyclage des eaux, le stockage, etc. Cela a été mal valorisé." La prise de conscience est "extrêmement importante" aujourd'hui, souligne toutefois Patrice Therre : "Je pense que les projets futurs qui vont arriver seront certainement beaucoup plus vertueux. Je prends le cas du stade de la Beaujoire cette année. Le terrain a été étanché, la totalité des eaux de drainage qui peuvent être chargées en pesticides ou en engrais sont récupérées et il y a un projet de traitement de ces eaux pour les réemployer. Chose qui n'a pas lieu en France sur aucun stade aujourd'hui."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.