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En France, comme aux Etats-Unis, les rémunérations des dirigeants des grands groupes suscitent des polémiques

Des polémiques aggravées par les annonces de revenus record attribués aux dirigeants de groupes aidés ou sauvés par de l"argent public, en pleine récession généralisée.C"est ainsi que les dirigeants de la Société Générale, en France, ont du renoncer à s"attribuer des stocks-options.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
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Daniel Bouton, PDG, de la Société Générale: ses stock-options ont déclenché la polémique (F3)

Des polémiques aggravées par les annonces de revenus record attribués aux dirigeants de groupes aidés ou sauvés par de l"argent public, en pleine récession généralisée.

C"est ainsi que les dirigeants de la Société Générale, en France, ont du renoncer à s"attribuer des stocks-options.

Il faut dire qu'en indiquant au lendemain de la journée de mobilisation du 19 mars s'être attribué des paquets d'actions à prix soldés, les dirigeants de la banque avaient réussi à faire l'unanimité contre leur décision.

Résultat, aujourd'hui, ce ne sont plus seulement les stock-options qui font polémique, mais l'ensemble des rémunérations des patrons des grands groupes mondialisés qui sont dans la tourmente.

La Société Générale déclenche la polémique

C"est l"annonce le 18 mars, de l'attribution de stock-options à plusieurs dirigeants de la Société Générale, dont 70.000 stock-options au président Daniel Bouton et 150.000 au directeur général Frédéric Oudéa, qui avait (re)mis en pleine lumière la question des stock-options en particulier et de la rémunération des dirigeants des grands groupes en pleine lumière. Le fait que ces stock-options soient attribuées alors que le cours de bourse de la banque est au plus bas (-69% en 2008 et -20% en 2009) et que celle-ci traverse la crise grâce à un prêt de l"Etat a aggravé l"effet de cette annonce.

Sentant l"effet dévastateur de cette décision, la ministre de l"économie, Christine Lagarde, n'a pas mâché ses mots et a exigé avec virulence que les dirigeants "renoncent à l'attribution" de ces stock-options et ne se contentent pas de renoncer à les convertir en actions, comme ils l'avaient fait dans un premier temps. "Il faut demander qu'il n'y ait pas de parachutes dorés, de stock-options , et limiter comme le fait Obama la hausse des fortes rémunérations par la loi, et pas seulement par les discours comme le fait Nicolas Sarkozy", avait affirmé quant à elle la Première secrétaire du PS, Martine Aubry. Sans parler de l'avertissement d'Alain Minc à ses " amis de la classe dirigeante" dans lequel il évoque son inquiétude pour eux "car je ne comprends ni vos réactions, ni vos raisonnements, ni - pardonnez-moi le mot - votre autisme".

Un sentiment partagé par la présidente de l'Association de défense des actionnaires minoritaires (Adam), Colette Neuville, qui souhaite un débat sur les critères d'attribution des stock-options: "trop souvent ces critères sont pousse-au-crime car ils incitent les dirigeants à prendre des risques avec l'argent des autres". Selon elle, il faudrait "encourager les patrons à agir sur le long terme" et pouvoir "empêcher l'attribution d'une action à son cours le plus bas depuis dix ans, comme cela a été le cas pour la Société Générale".

La ministre a même élargi le sujet en s"interrogeant sur ce mode de rémunération. Le modèle des stock-options qui "permet certes une rémunération différée" présente "des tas de faiblesses". "Je serais personnellement assez favorable (que l'on mette) ce dossier sur la table", a-t-elle ajouté et que l'on "s'interroge sur la pertinence des stock-options , sur la pertinence, au contraire, des actions gratuites". Le système de distribution d'actions gratuites semble avoir d'ailleurs le vent en poupe et tend à prendre la place des stock-options aux Etats-Unis.

Le président d'Axa, Henri de Castries, a estimé lundi 23 mars que le système de rémunération variable n'était pas forcément "mauvais" pour l'entreprise. De son côté, la présidente du Medef Laurence Parisot a estimé que son organisation n'a pas le pouvoir d'imposer un encadrement des rémunérations des patrons.

"Je crois qu'il faut tout remettre à plat concernant les stock-options », affirmé le secrétaire général de l"UMP, Xavier Bertrand. Les stock-options, "si c'est pour tout le monde, ça ne me dérange pas", a-t-il affirmé. "Autrement, on change tout et il faudra une nouvelle loi". De son côté, le commissaire du gouvernement, Martin Hirsch, a mis en parallèle cette affaire avec le débat sur le "bouclier" fiscal: "Vous savez qui menace le plus le bouclier fiscal (...) ce sont ceux qui ont un comportement tel qu'ils exaspèrent tout le monde. Je dis à ceux qui veulent protéger le bouclier fiscal et ceux qui ont des revenus spectaculaires qu'ils devraient un tout petit peu regarder quel est leur comportement"

Le système des stock-options

Une stock-option est une forme de rémunération versée par une entreprise généralement cotée en bourse. Il s'agit d'une option d'achat dont l'actif sous-jacent est l'action de l'entreprise concernée.

Ce système permet à des dirigeants et à des employés d'une entreprise d'acheter des actions de celle-ci à une date et un prix fixé à l'avance. Quand il lève son option, plusieurs années plus tard, il acquiert l'action au prix déterminé quelques années plus tôt. Il peut soit la revendre immédiatement en Bourse à la valeur du jour et empocher la plus-value, soit conserver ces actions. L'option ne constitue pas une obligation d'achat. Si le cours réel de l'action est inférieur au prix d'exercice, le salarié n'achète pas l'action, car il perdrait de l'argent. Si le cours est supérieur, il a en revanche intérêt à exercer l'option, achetant ainsi l'action à un coût moins élevé que le cours de Bourse.

Ceci a théoriquement l'avantage d'inciter les dirigeants à agir pour faire monter le cours de leur entreprise. À l'origine, les stock options étaient avant tout destinées aux jeunes entreprises cherchant à attirer des talents sans les rémunérer directement. Elles constituaient donc un levier de développement pour les entreprises innovantes, mais dépourvues de capitaux. Ce système a été beaucoup utilisé dans les start-up au cours des années 1990.

Pour les grandes entreprises, ce système, selon les économistes libéraux, permet d"aligner les intérêts du dirigeant avec ceux de l'actionnaire. Le principe est le suivant : la part variable des rémunérations des dirigeants doit avoir pour but de les pousser à œuvrer prioritairement sur les performances de l"entreprise, et son cours de bourse. Avec tous les effets induits que provoque un tel système (intérêts à court terme, prises de risques, concentration…).

Le fait de pouvoir, la plupart du temps, acheter à un prix beaucoup plus bas que le marché permet la réalisation d'un gros bénéfice par une revente rapide. Les gouvernements ont permis le développement de ce système de rémunération –y compris, en France, lorsque la gauche était au pouvoir- avec parfois la volonté de l'encadrer grâce à une certaine publicité des rémunérations et à des politiques sociales –cotisations- et fiscales.

La question de la rémunération des PDG

En France, le président non exécutif de Sanofi-Aventis était, en 2007, le patron le mieux payé de France avec un revenu, selon les Echos, de 3,9 millions d'euros (quelque 300 smic).

Le débat sur la rémunération des patrons de grands groupes est relativement récente. Pendant les trente glorieuses (les années d"après guerre), les polémiques sur cette question sont restées limitées. La question des rémunérations a commencé avec les années 80 avec le double phénomène de la baisse des tranches supérieures des impôts et de la hausse des rémunérations des gros employeurs.

"Entre 1936 et 1939, la rémunération moyenne des 150 dirigeants les mieux payés des 50 plus grandes entreprises américaines représentait 82 fois le salaire moyen. Entre 1960 et 1969, ce ratio était tombé à 39, après ce que Paul Krugman appelle la "grande compression", intervenue à la suite notamment de la mise en place par le président Franklin D. Roosevelt, après la crise de 1929, de taux d'imposition très élevés sur les plus hauts revenus. Mais, après l'élection de Ronald Reagan en 1980, ce ratio est remonté en flèche pour atteindre 187 durant la décennie 90 et culminer à 367 au début des années 2000!", affirmait récemment Guillaume Duval, rédacteur en chef d'Alternatives Economiques.

Après des années de laisser-aller, les Etats-Unis ont commencé recemment à légiférer sur le sujet des stok-options (notamment après les scandales Enron et Worldcom). Ce système de rémunération avait en effet provoqué de nombreuses affairs aux Etats-Unis (attributions antidatées notamment d'options)…

En France, le débat revient périodiquement à la Une de l'actualité en fonction d'informations sur telle ou telle rémunération ou telle ou telle retraite chapeau...Avec la crise, le sujet apparaît de plus en plus. C'est ainsi que le Medef, présidé par Laurence Parisot, a édicté un code de bonne conduite à l'égard des "dirigeants mandataires sociaux des sociétés cotées". Ce code indique que leur rémunération doit être "mesurée, équilibrée, équitable". Sur les stock-options, le texte préconise que leur distribution doit d'être "raisonnable et appropriée". Avec un tel code, pas étonnant que la Société Générale se soit cru autorisée de faire cette annonce...surtout que l'un des auteurs du code est par ailleurs responsable des rémunérations des patrons de la Générale !

Face à l'affaire de la Société Générale, de nombreux députés UMP brandissent la menace d'une loi, si le Medef ne précise pas ses positions avant la fin du mois...

Mais au-delà des aspects moraux, l"interrogation porte sur l"efficacité économique de rémunérations stratosphériques pour les dirigeants. Difficile de savoir quel est le poids d"un gestionnaire dans la croissance d"une entreprise.

Une étude, citée par Philippe Askenazy dans le Monde, tendrait à indiquer que « le PDG de la plus grande firme américaine apporterait de l'ordre de 0,1 % de plus de performance à son entreprise que le patron de la 250e. Cela peut paraître très faible, mais compte tenu des tailles de ces groupes, cela peut représenter des dizaines de millions de dollars en plus ». D"autres études iraient dans un autre sens : selon l'économiste Jean-Luc Gréau, « il est puéril de croire que, à partir du moment où le manager est intéressé aux résultats de l'entreprise, ses décisions seront meilleures. Le risque entrepreneurial est consubstantiel à l'économie concurrentielle. On peut le réduire grâce à la qualité de l'information préalable et à l'expérience des dirigeants. On ne peut l'abolir. » Le rappel des résultats de la croissance dans les 45-75 irait dans ce sens…

Dans ce dossier, reste encore à savoir, si les décisions de rémunération se font dans des conditions de marché normales (transparence, concurrence…). «Alors que les décisions des agents économiques sont rationnelles, on peut observer une hausse rapide des rémunérations sans que cela corresponde à un effort supérieur des dirigeants et donc à des performances accrues de leur entreprise. C'est ce que l'on connaît depuis une bonne décennie dans de nombreux pays. La machine devient viciée lorsque ce sont des stars qui, au sein des conseils d'administration, fixent les rémunérations d'autres stars : faire augmenter celle du dirigeant d'une autre firme entraîne une hausse de ses propres revenus, pour s'aligner ! », écrivait l"économiste Philippe Askenazy dans le Monde (17 mars 2009).

Un autre économiste, Gilles Raveaud, évoque ainsi la possibilité d'édicter au niveau européen un "salaire maximum": En Allemagne comme chez nous, le grand écart se produit entre les retraités, les chômeurs, les travailleurs à bas salaires qui doivent vivre avec 1000 euros ou moins par mois, tandis que les grands patrons empochent des dizaines de millions d"euros. Face à cette situation, les syndicats allemands demandent la mise en place d"un salaire minimum couvrant tous les travailleurs, chose pour l"instant inexistante outre-Rhin. En réplique, un député conservateur, Christian Baümler, a demandé la création d""un salaire annuel maximum, limité à 1 million d"euros". (voir le site Alternatives-économiques).

Quelque soit le niveau de revenus des PDG des grands groupes multinationaux, les Etats et les gouvernements ont toujours possédé un important moyen de régulation: la fiscalité. C'est par ce moyen que ces derniers pourraient recouvrer leur pouvoir de contrôle, à condition, sans doute, de se mettre d'accord entre eux. Ce pourrait être l'une des ambitions du prochain G20 début avril.

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