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Le jour où j'ai été licencié

Premier volet de notre série sur la vie après un plan social. Des licenciés économiques racontent à Francetv info le jour où ils ont perdu leur emploi, après des semaines d'angoisse.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Jean-Marie, Christian, Tanguy et Bertrand, quatre anciens salariés de Doux, posent devant l'abattoir de Graincourt-lès-Havrincourt (Pas-de-Calais), le 10 octobre 2012. (YANN THOMPSON / FTVI)

PLANS SOCIAUX - PSA, Doux, ArcelorMittal… A chaque semaine son "plan social", symptôme et ritournelle de la crise économique. Derrière cet euphémisme, "social", des hommes et des femmes remerciés de façon collective. Entre avril 2011 et mars 2012, ils sont 180 000 à avoir été licenciés pour raisons économiques. Certains salariés se font entendre à l'annonce des plans, mais tous sont vite oubliés, livrés au chemin de croix du reclassement et du retour à l'emploi. 

FTVi inaugure une série en cinq actes consacrée au devenir des victimes de plans sociaux. Tout commence le jour où, après des semaines voire des mois d'attente, l'annonce du licenciement arrive par lettre recommandée. Des ex-salariés de Doux racontent ce premier jour du reste de leur carrière.

Marie-Pierre : "Tout le monde pleurait à l'usine"

A Boynes, commune d'un millier d'habitants sise dans le Loiret, les usines du groupe Doux tournent au ralenti. L'heure n'est plus à l'abattage des volailles mais à l'abattement des salariés. Vendredi 28 septembre, les lettres de licenciement sont enfin arrivées. "J'avais demandé à une petite mamie de surveiller mon courrier, raconte Marie-Pierre Heurtematte, 54 ans. Je l'ai appelée du travail, c'est elle qui a trouvé l'avis de passage du facteur." Pour l'ouvrière et ses collègues, pas besoin d'en connaître le contenu ;  la messe était dite. En apprenant la nouvelle, "nous avons tous quitté notre poste, poursuit-elle. Les gens pleuraient, ça faisait trop mal au cœur ; je suis rentrée chez moi." Pour pleurer à son tour, loin des regards. Et affronter cette solitude qu'elle redoute à présent.

Manifestation à Pithiviers pour la sauvegarde de l'usine de Doux à Boynes (Loiret), le 7 juillet 2012. (STEPHANE BOUTET / REPUBLIQUE DU CENTRE / MAXPPP)

Malgré ses vingt ans d'ancienneté et son invalidité de première catégorie (perte des 2/3 de la capacité de travail), cette mère de famille fait partie des 75 salariés licenciés du site, qui en comptait 170. A Boynes, la direction n'a pas pris la peine de prévenir ces employés non repris avant de leur notifier leur licenciement par courrier. "On m'a jetée", déplore Marie-Pierre, et ce n'est pas faute d'avoir "toujours été docile et tout donné pour Doux".

Son nez coule en ce début d'automne. Depuis son cancer du sein et sa maladie professionnelle à l'épaule droite, elle tombe vite malade. La fatigue du conflit social n'a rien arrangé. Elle "tient" mais craint désormais que "tout lâche". Il faut pourtant déjà se remettre en selle. Marie-Pierre a un délai de réflexion de 21 jours pour s'engager dans le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) avec l'Association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa). Et avant cela, un peu de lecture : les six pages de sa lettre de licenciement.

Jean-Marie, Christian, Tanguy et Bertrand occupent leur usine

A Graincourt-lès-Havrincourt, les lettres de licenciement sont arrivées le 27 septembre dernier. "On s'y attendait tous", se rappelle Christian, 53 ans. Contrairement à Boynes, l'abattoir du Pas-de-Calais n'a attiré aucun repreneur ; l'ensemble des 254 salariés ont donc reçu la missive, sans exception. Le travail ayant déjà cessé depuis plus de trois semaines, l'arrivée des courriers est apparue comme une simple formalité, et n'a pas provoqué de psychose.

L'entrée du village de Graincourt-lès-Havrincourt (Pas-de-Calais), avec l'usine Doux sur la gauche de la route. (YANN THOMPSON / FTVI)

Fin de l'histoire ? Certainement pas. Depuis la mi-septembre, une cinquantaine d'anciens salariés se relaient en trois-huit pour occuper l'usine 24h/24. "On est là pour empêcher son démantèlement, affirme Bertrand, lui aussi jeune quinqua. On a l'espoir d'être repris." Le local syndical a été reconverti en quartier général, les dons de soutien y affluent, on y joue aux cartes, on regarde la télévision, on sort pour le barbecue. Et on évite de penser à un avenir ailleurs qu'à Graincourt, persuadé qu'il se trouve ici, à l'entrée du village. "Ce n'est pas comme une usine de voitures, estime Jean-Marie, 55 ans, bouc gris et yeux bleus. Vous ne mangez pas une voiture tous les jours, alors que des volailles, vous en mangez souvent. Il n'y a que cet abattoir dans la région, il doit servir…"

Les grilles d'entrée de l'abattoir de Graincourt-lès-Havrincourt (Pas-de-Calais), occupé depuis la mi-septembre 2012. (YANN THOMPSON / FTVI)

Avec l'arrivée des lettres, le processus de reclassement a pourtant débuté. Des premières réunions d'information sur le contrat de sécurisation professionnelle ont été organisées début octobre par Pôle emploi. Les rendez-vous individuels sont prévus à la fin du mois et chacun devra envisager son futur professionnel. "Pas question de déménager, clame Bertrand, repris par ses copains. La maison est presque payée, on est mariés, avec des enfants, on a tout ici." Tanguy, 40 ans, est moins catégorique que ses aînés. "J'ai mes permis poids lourds, mais bon…" Pour l'instant, entre refus de la réalité et résistance, le futur s'écrit encore à Graincourt. 

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