"On n’a pas l’expert pour nous expliquer" : à Caen, une première audience de cour criminelle moins solennelle qu'aux assises
Cette nouvelle juridiction a rendu son premier verdict, jeudi 5 septembre. Jugé pour une tentative de viol douze ans après les faits, l'accusé a été condamné à cinq ans d’emprisonnement, dont trois avec sursis.
La salle en bois clair de la cour d'assises du Calvados, à Caen, arbore une autre allure, jeudi 5 septembre. Vide de ses six jurés citoyens, elle accueille la première audience d'une cour criminelle départementale, à mi-chemin entre le tribunal correctionnel et la cour d'assises. Mais le siège de l'accusé, qui comparaît libre, est vide. "Vous vous êtes perdu ?" lance au téléphone son avocate, Sophie Lechevrel, un peu inquiète. Après plusieurs minutes d'attente, A.-D. K., un homme baraqué de 36 ans, en jean-baskets, entre avec nonchalance et s'installe sans un mot.
Dans la salle, peu de public, mais une cohorte de journalistes, davantage venue assister à la première audience de cette toute nouvelle juridiction qu'à l'affaire en question. Il faut dire que le dossier est "particulier", comme le reconnaît l'avocate de la défense : les faits remontent à douze ans et la plaignante est décédée depuis 2012. L'homme qui se présente devant le tribunal est accusé de tentative de viol, crime passible des assises mais finalement renvoyé, avec son accord, devant cette cour criminelle, expérimentée pendant trois ans dans le Calvados et six autres départements. "L'accusé comparaît libre devant la cour d'assises. J'ai dit 'cour d'assises' ? Mes excuses pour ce lapsus qui risque sûrement de se reproduire au cours de la journée", sourit la présidente Jeanne Chéenne lors de son propos liminaire. Pas de tirage au sort des jurés en début d'audience, puisque ce sont cinq magistrats professionnels qui vont juger A.-D. K.
Une plainte déposée en 2007
En aparté, Sophie Lechevrel indique que son client "a choisi la cour criminelle car il pense que le seul professionnalisme des juges est une bonne chose". Là où, aux assises, les débats auraient duré plusieurs jours, une seule journée sera nécessaire pour examiner ce dossier, dont les magistrats ont connaissance, à la différence des jurés, qui découvrent l'affaire à travers les déclarations des différents acteurs du procès.
A la lecture des procès-verbaux, la cour replonge fin novembre 2007. Une femme, alors âgée de 32 ans, dépose plainte pour tentative de viol à Caen. Elle indique avoir passé la soirée dans un bar puis avoir été suivie par un homme au moment où elle rentrait chez elle. Elle affirme avoir ensuite été "ceinturée" et poussée vers sa chambre. Alors qu'elle se débat de toutes ses forces, rapporte-t-elle, l'homme finit par prendre la fuite. Aux policiers, la jeune femme explique que son agresseur est un "homme de type africain d'une trentaine d'années, habillé genre 'BCBG'". L'examen médical de la plaignante va dans le sens de ses déclarations : il montre l'absence de lésions sexuelles, mais révèle de multiples hématomes et ecchymoses, signes de lutte. Deux ADN masculins non répertoriés sont retrouvés au domicile de la victime, l'un sur sa culotte, l'autre sous ses ongles et au pied du lit. Mais, faute d'éléments, l'affaire est classée sans suite en février 2009.
Tout s'accélère en 2012. Trois mois après la mort accidentelle de la jeune femme à l'étranger, l'enquête est rouverte. L'ADN d'un homme, interpellé dans le cadre d'une affaire de violence aggravée, coïncide avec l'un de ceux retrouvés chez et sur la victime. Il s'agit d'A.-D. K. Dans un premier temps, il soutient ne pas connaître la plaignante, puis finit par reconnaître une relation sexuelle consentie. Placé sous contrôle judiciaire, il comparaît sept ans plus tard devant cette cour et plaide non coupable. Le banc des parties civiles, lui, est désert.
Ni témoin ni expert à la barre
Agent de sécurité dans un casino de Normandie, l'accusé n'est pas très loquace face aux questions de la cour. A ses réponses brèves et ses silences viennent s'ajouter les grésillements des micros. La présidente lui arrache tout de même quelques informations sur sa vie. Père d'un petit garçon de 5 ans, il a grandi à Paris dans une fratrie de cinq enfants. Ses parents, d'origine congolaise, ignorent tout de cette affaire. Pour cet homme décrit par ses proches comme "une masse", "incapable de ce genre de choses", les études sont secondaires. Petit, il s'imaginait footballeur professionnel. Son rêve sera brisé par une blessure au genou.
Le trentenaire se ferme lorsqu'il doit évoquer ses relations sentimentales, pour la plupart chaotiques. "C'est pire que la misère, ma vie", a-t-il confié au juge d'instruction en 2014. "Et aujourd'hui, vous diriez toujours ça ?" demande la présidente. "Professionnellement, ça va mieux, mais sentimentalement, oui." La lecture des expertises psychologique et psychiatrique de l'accusé révèle un homme "introverti", "qui n'occulte pas les événements", "loin du profil de prédateur sexuel". A l'évocation de ce dernier point, la présidente s'interrompt quelques secondes. "Bon, on n'a pas l'expert pour nous expliquer, mais j'ai des dictionnaires, s'il le faut." Lors de cette curieuse audience, aucun témoin ni expert ne défile à la barre. Un déroulé qui ressemble trait pour trait à un procès en correctionnelle.
Après une suspension à l'heure du déjeuner, les débats se poursuivent dans l'après-midi. Alors que l'accusé conteste tout, la cour le confronte aux incohérences de son discours. "Au juge d'instruction, en 2014, vous aviez dit : 'on n'a pas couché ensemble'. Ce matin, vous avez bien dit le contraire, non ?" interroge la présidente. Silence. L'avocat général, Marc Faury, prend le relais. "Vous êtes dans des contradictions extrêmes, martèle-t-il. Ce matin, vous nous disiez que le rapport avait pris fin à votre initiative. Au magistrat instructeur, c'était l'inverse. Comment pouvez-vous varier du tout au tout ?" "Je n'ai pas de réponse à ça", lâche l'accusé. Nouveau silence. Après ses réquisitions, le représentant du parquet rappelle que "le juge décide d'après son intime conviction". Et de conclure : "En ce qui me concerne, ma conviction personnelle va en faveur de la culpabilité." Au vu "de la gravité des faits", il requiert une peine de cinq ans d'emprisonnement, dont un avec sursis et mise à l'épreuve.
Un procès bouclé en une journée
Au tour de Sophie Lechevrel de prendre la parole. En guise d'introduction, l'avocate de la défense rappelle qu'en droit pénal, "le principe du doute doit nécessairement profiter à l'accusé". Face aux oscillations du discours de son client, elle invoque la "nature humaine" et les oublis presque logiques de la mémoire, les faits remontant à 2007. Et si elle ne nie pas la crédibilité du discours de la victime, elle demande, au vu des incertitudes du dossier, l'acquittement de son client. A titre subsidiaire, l'avocate propose également, si la culpabilité de son client est retenue, que la peine soit totalement assortie d'un sursis. Et comme on n'est jamais trop prudent, elle indique, en troisième choix, que si la cour choisit une peine ferme, celle-ci peut être mixte et aménageable pour éviter la désocialisation de l'accusé.
Après cinq heures de débats, trente minutes de réquisitions, un quart d'heure de plaidoirie de la défense, les magistrats se retirent pour délibérer, le dossier sous le bras. Le moment, d'ordinaire théâtral aux assises, perd de son intensité sans la lecture de l'article 353 du Code de procédure pénale qui s'adresse "aux juges et aux jurés" et leur demande in fine : "Avez-vous une intime conviction ?"
Deux petites heures plus tard, la cour reconnaît l'accusé coupable de tentative de viol. Il est condamné à cinq ans d'emprisonnement, dont trois avec sursis simple. La partie ferme sera exécutée sous surveillance électronique. Mais, en attendant de passer devant un juge de l'application des peines, A.-D. K. part en prison. L'intéressé reste stoïque. Selon son avocate, il ne fera pas appel. Si c'était le cas, son client aurait cette fois-ci le droit à un procès d'assises.
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