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Grenelle sur les violences conjugales : Marlène Schiappa est "complètement à côté de la question", selon l'ex-procureur Luc Frémiot

Luc Frémiot, ancien procureur de la République de Douai qualifie de "grande fête aux associations" le Grenelle sur les violences conjugales voulu par Marlène Schiappa en septembre.

Article rédigé par franceinfo
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Le procureur de la République Luc Frémiot à Saint-Omer en juin 2016. (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, est "complètement à côté de la question" avec son Grenelle organisé en septembre, a estimé Luc Frémiot, ancien procureur de la République de Douai, sur franceinfo mercredi 7 août. Spécialisé dans la lutte contre les violences conjugales, Luc Frémiot a lancé début juillet avec la comédienne Eva Darlan une pétition exigeant que l'État enquête sur les manquements qui ont conduit à la mort de dizaines de femmes depuis janvier. "On a la solution", affirme Luc Fremiot qui avait également lancé en 2003 à Douai (Nord) un dispositif d'éloignement et de traitement du conjoint violent. "J'ai fait baisser la récidive à 6% en 2003", assure-t-il. Selon lui, "on ne tire pas les leçons de ce qui se passe".

franceinfo : Ce Grenelle sur les violences conjugales est une bonne idée ou une table ronde qui ne donnera rien selon vous ?

Luc Frémiot : Quand j'entends Mme Schiappa sur le Grenelle, je me dis qu'elle est condamnée à faire le spectacle en cette période estivale et que, comme d'habitude, elle me paraît complètement à côté de la question. J'entends parler de grande réflexion culturelle, il faut remettre en cause notre culture sur le sujet, on appelle les témoins mais on ferait bien de balayer devant sa porte surtout. Parce qu'on pourrait parler des dysfonctionnements. C'est ça le préalable. Pourquoi les plaintes ne sont pas reçues ? Tout simplement parce que les femmes ne sont pas reçues comme elles devraient l'être dans les commissariats. On ne prend pas les plaintes qu'on devrait prendre. Certains services de police prennent encore des mains courantes. Vous avez encore certains procureurs de la République qui ne traitent pas les plaintes. La question, elle est là. On n'est pas du tout dans la philosophie.

Rien n'a évolué dans ce domaine selon vous ?

Ce n'est pas suffisant ! Bien évidemment, il y a des gens qui font bien leur métier mais moi, je m'occupe des trains qui n'arrivent pas à l'heure. Lorsque je reçois des courriers de ces femmes qui disent qu'on les renvoie chez elle parce qu'elles n'ont pas de certificat médical, alors que ce n'est pas du tout une obligation ; qu'on les conduit à porter une main courante qui n'a aucun intérêt puisqu'il n'y aura pas d'enquête ; quand je sais qu'il y a des parquets qui classent ou qui font des simples rappels à la loi… Il suffit de regarder dans les 85 féminicides qu'on vient de comptabiliser, ils annoncent des dysfonctionnements.

Dans la pétition que nous avons lancée [début juillet] avec Eva Darlan, on veut savoir pourquoi il y a eu autant de meurtres de femmes, pourquoi les plaintes n'ont pas été suivies d'effet et quelles sont les solutions. Qu'on ne vienne pas, une fois encore, nous agiter devant le nez un Grenelle qui est la grande fête aux associations.

Luc Frémiot

franceinfo

Comment faire changer les choses ?

Il y a beaucoup de choses à faire. Vous avez des femmes qui se présentent qui parlent de menaces de mort. Les trois quarts du temps on leur répond : "Vous savez les menaces, c'est pas bien grave. C'est du bluff. Ayez confiance ! etc". Elles ne sont pas prises au sérieux comme elles devraient l'être. Ce qui me choque aussi, c'est que Mme Schiappa c'est la Mme Loyal du gouvernement. Elle n'a aucun pouvoir.

Le pouvoir il est où ? Il est chez M. Castaner avec ses troupes qu'il ferait bien de remettre en ordre en rappelant certains principes. Il est également au niveau du ministère de la Justice qui ferait bien de contrôler les procureurs de la République en leur demandant des comptes chaque mois sur ce qui a été fait, combien de plaintes, comment elles ont été traitées. Mme Schiappa elle parle, elle amuse la galerie mais ce n'est pas du tout comme ça qu'on va résoudre le problème.

Qu'est-ce que vous pensez des expérimentations, comme en Isère, d'éloignement du conjoint violent avec un suivi ?

C'est moi qui ai lancé ça en 2003 à Douai. J'avais trois points précis qui étaient : suppression des mains courantes, on prenait des plaintes avec une tolérance zéro et on chassait du domicile conjugal l'auteur de violences que je plaçais dans un centre de manière à ce qu'il soit pris en main par des psychiatres et des psychologues, afin qu'on le fasse réfléchir sur les causes de la violence. Et aujourd'hui on a l'air de nous sortir ça. J'ai fait ça en 2003 et ça fonctionnait parfaitement. D'ailleurs la chancellerie a repris ce dispositif dans le guide des bonnes conduites.

Les procureurs et les magistrats n'ont d'une façon générale pas pris en compte l'importance de ces violences faites aux femmes. On a la solution. J'ai fait baisser la récidive à 6% en 2003. Au lieu de toujours souhaiter que l'on crée des centres d'accueil pour les femmes, les associations feraient bien aujourd'hui de se mobiliser pour des centres d'accueil pour les hommes. Si on ne traite pas les causes des violences, on en sera toujours pareil la semaine prochaine. On ne tire pas les leçons de ce qui se passe.

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