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Enquête "200 à 1 000 euros par jour" : les arnaques aux fausses ordonnances de médicaments anti-cancer en forte augmentation

Alors que l'agence nationale de sécurité du médicament alertait récemment sur la pénurie qui touche certains traitements, une arnaque pourrait aggraver encore un peu plus la situation. Une fraude qui permet d’obtenir gratuitement des traitements contre le cancer pour les revendre à l’étranger, grâce à de fausses ordonnances

Article rédigé par franceinfo - Margaux Stive
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Plusieurs plaquettes de médicaments, 2021 (Photo d'illustration) (MONIKA SKOLIMOWSKA / DPA-ZENTRALBILD)

L’arnaque paraît presque trop simple pour être vraie. Des patients lambda sont envoyés en pharmacie avec de fausses ordonnances, pour des médicaments contre le cancer. Les boîtes sont ensuite récupérées par des trafiquants puis revendues illégalement à l’étranger. Depuis les premiers signalements fin 2019, ce type d'escroquerie est "en forte augmentation", selon l’Assurance maladie. Et les autorités peinent à l’endiguer.

Il faut dire que le principe de cette arnaque est bien rodée, et repose sur les faiblesses du système de soin français. La preuve : franceinfo a pu se procurer en quelques heures l’une de ces fausses ordonnances.

Il suffit pour cela de repérer une publicité sur les réseaux sociaux. Celle que nous avons choisie met en scène, sur fond musical, un faux médecin, barbe et blouse blanches, qui promet aux futures recrues une rémunération de plusieurs centaines d'euros par jour. Seule condition requise : être remboursé à 100% ou bénéficier de la CMU (la couverture maladie universelle). Le détail a son importance : il permettra de récupérer les médicaments sans avoir à avancer l’argent.

Tout se passe ensuite sur la messagerie cryptée Telegram. En quelques minutes, un interlocuteur nous répond.

 Capture d’écran des échanges avec un homme proposant des fausses ordonnances, août 2022. (MARGAUX STIVE / RADIO FRANCE)

Après avoir envoyé notre nom, prénom, âge et ville, une fausse ordonnance arrive dans notre boîte mail. Elle ressemble à s'y méprendre à une vraie. On retrouve l'en-tête d'un hôpital parisien, le nom d'un médecin, et le traitement prescrit : un médicament contre le cancer des ovaires à plus de 4 500 euros la boîte. Pour certains traitements, le prix peut monter jusqu’à 14 000 euros la boîte.

La fausse ordonnance envoyée afin de récupérer le médicament en pharmacie, en août 2022. (MARGAUX STIVE / RADIO FRANCE)

Selon notre interlocuteur, il suffit alors de récupérer le médicament en pharmacie puis de la lui remettre en main propre contre de l'argent : 200 euros pour une boîte, 1 000 euros pour quatre.

Des médicaments revendus à l’étranger

Selon l'OCLAESP, l'office central de lutte contre les atteintes à la santé et à l'environnement, ces médicaments sont ensuite revendus à l’étranger. Mais ils sont souvent, précise l’OCLAESP, transportés dans de si mauvaises conditions qu’ils ne sont plus efficaces une fois sur place. Mais les escrocs, eux, font une marge confortable : plusieurs centaines voire plusieurs milliers d'euros sur chaque boîte, tout cela sur le dos de l'Assurance maladie.

Sollicitée par franceinfo, la Caisse nationale de l’assurance maladie ne fournit aucun chiffre sur le préjudice global mais un exemple donne une idée du coût pour le système de soin français : en l’espace d’une seule année, deux hôpitaux ont estimé récemment à plus de quatre millions d'euros le montant détourné grâce à des fausses ordonnances faites en leur nom.

Plusieurs plaintes déposées

Depuis les premiers signalements fin 2019, la Caisse nationale de l’assurance maladie parle d’un phénomène "en forte augmentation". Plusieurs hôpitaux et médecins ont vu leurs noms usurpés et réutilisés sur les ordonnances. Sur notre fausse prescription, c'est le nom d’un radiologue de la région de Marseille qui apparaît, par exemple, rattaché à l’hôpital parisien de Lariboisière où il n’a jamais travaillé. Contacté par franceinfo, son cabinet confirme recevoir régulièrement des signalements de la part des pharmaciens locaux, "jusqu’à 3 ou 4 par semaine", "des dizaines" depuis un an. Le médecin a déposé plainte en novembre dernier.

C’est le cas aussi de l’hôpital européen de Marseille dont le nom apparaît sur plusieurs fausses ordonnances. L’établissement privé confirme, là aussi, avoir été alerté à deux reprises, en décembre et en avril dernier. Deux plaintes ont été déposées. Depuis, l’hôpital assure travailler en étroite collaboration avec les pharmacies, qui le contactent au moindre doute sur une prescription. Avec ce système, "une quinzaine" de fausses ordonnances ont été repérées depuis le début de l’année, selon l’établissement.

Des QR Code pour contrer l'arnaque

De leur côté, les pharmaciens tentent de faire avec les moyens du bord mais la tâche est de plus en plus compliquée, reconnaît Alain Delgutte de l’Ordre national des pharmaciens : "La qualité des fausses ordonnances s’est nettement améliorée et peut prendre à défaut la vigilance des pharmaciens".

"Au début les ordonnances étaient assez grossières, et d’ailleurs c’est pour cela qu’il y a eu des alertes. Maintenant, il n’y a plus de fautes d’orthographe, on a même parfois le tampon des médecins avec un numéro RPPS (numéro officiel des professionnels de santé)."

Alain Delgutte, Ordre national des pharmaciens

à franceinfo

Malgré le perfectionnement du système, les enquêtes parfois aboutissent. En mai dernier, 14 personnes ont été condamnées par le tribunal de Mulhouse. Le couple à la tête du réseau, qui envoyait les médicaments vers l’Égypte, a écopé de sept ans de prison. Le jeune homme recruté sur les réseaux sociaux pour aller chercher les médicaments avec une fausse ordonnance a été, lui, condamné à un an de prison dont six mois ferme.

Mais la menace d’une condamnation et la vigilance des professionnels ne suffisent pas à enrayer cette fraude. L’Ordre des pharmaciens et la caisse nationale de l’assurance maladie comptent sur un moyen bien plus efficace, selon eux : les e-prescriptions. Des ordonnances conservées sur un serveur sécurisé, avec un système de QR code. Le gouvernement a promis de le mettre en place d’ici fin 2024.

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