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"C'est une guérilla rurale" : comment les forces de l'ordre se préparent à évacuer la ZAD de Notre-Dame-des-Landes

Le gouvernement a donné jusqu'au printemps aux opposants au projet de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes pour évacuer le bocage nantais, en promettant la "fin de la zone de non-droit". 

Article rédigé par Margaux Duguet, Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Des gendarmes tentent d'empêcher des zadistes d'occuper les lieux à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), le 8 février 2013. (ALAIN LE BOT / AFP)

"Tout le monde sait que c'est une opération importante politiquement." Ce haut gradé de la gendarmerie, qui s'est confié à franceinfo, en est parfaitement conscient : "La gendarmerie joue son image à Notre-Dame-des-Landes. Le moindre incident sera épié." Sans doute échaudé par l'échec de l'opération "César" en 2012, où la tentative d'évacuation de la ZAD avait tourné au fiasco, mais aussi par le drame de Sivens (Tarn) avec la mort de Rémi Fraisse, le gouvernement se veut prudent.

Après avoir annoncé, mercredi 17 janvier, l'abandon du projet de construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), l'exécutif a donné jusqu'au printemps aux occupants illégaux du bocage nantais pour évacuer la zone. Les expulsions pourraient commencer à la fin de la trêve hivernale, soit le 30 mars, a précisé Edouard Philippe sur le plateau de TF1. Mais d'autres manœuvres pourraient débuter bien plus tôt. Le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, souhaite ainsi que les routes d'accès soient libérées "d'ici la fin de la semaine prochaine"

Des forces de l'ordre déjà sur zone

Pour s'assurer que ce soit le cas, les forces de l'ordre sont déjà sur place. Des renforts de sept escadrons de gendarmerie mobile, soit plus de 500 hommes, sont arrivés mercredi dans la région. Car c'est bien la gendarmerie qui sera à la manœuvre pour l'éventuelle expulsion des zadistes au printemps. "Il y aura une montée en puissance, jusqu'à 25 à 30 unités sont prévues", explique un gradé à franceinfo. Soit potentiellement plus de 2 000 hommes sur zone, selon cette même source.

Leur première tâche sera donc la libération des axes routiers, notamment la D281, la "route des chicanes", obstruée depuis cinq ans de divers obstacles (pneus, épaves de véhicules, barricades...) et surveillée quasiment en permanence par les zadistes depuis des cabanes et miradors. "En ce qui concerne la question de la réouverture de la route, fermée par les pouvoirs publics en 2013, le mouvement s’engage à y répondre lui-même", assurent ces derniers. 

"Je reste très prudent face aux déclarations des zadistes, répond un cadre de la gendarmerie. Je suis sceptique car c'est le contrôle des axes routiers qui leur permet de résister."

Si l'on doit venir à pied, le risque est beaucoup plus important car les forces mobiles seront à découvert.

Un cadre de la gendarmerie

à franceinfo

En cas de débordement, les gendarmes pourront compter sur les CRS pour venir les épauler. Des unités sont d'ailleurs déjà sur place mais sont, pour l'instant, positionnées dans les agglomérations pour contrôler d'éventuelles manifestations. "Nous avons quatre unités à Nantes, soit environ 340 personnes et deux unités à Rennes, soit environ 160 hommes, détaille à franceinfo Grégory Joron, secrétaire national du syndicat SGP Unité Police, en charge des CRS. Si les premiers jours sont calmes, le dispositif pourrait être revu à la baisse. Il y aura aussi des relèves pour faire tourner les hommes." 

Un appel aux réservistes ?

Les escadrons mobiles de gendarmerie pourront-ils être épaulés par des réservistes ? Selon Europe 1, "des appels à volontaires ont été lancés dans toutes les régions de France". Contactée par franceinfo, la direction générale de la gendarmerie se refuse à confirmer l'information, expliquant que le dispositif "est en train de se caler" et qu'il est "modulable en fonction de l'évolution de la situation". Pour un officier de réserve interrogé par franceinfo, "il est certain que s'il y a un appel, vous aurez du monde", rappelant que "pour [l'ouragan] Irma à Saint-Martin, il y a eu 850 candidatures pour 90 places". 

Notre-Dame-des-Landes, c'est une mission qui va s'inscrire dans la durée, donc c'est intéressant pour les réservistes

Un officier de réserve

à franceinfo

Cet officier de réserve rappelle que "contrairement aux gendarmes mobiles", les réservistes n'auront pas pour mission de faire "du maintien de l'ordre". "Les réservistes peuvent s'occuper du filtrage, de la circulation alentour", détaille-t-il. Leur aide sera la bienvenue, à en croire les gendarmes interrogés par franceinfo. D'autant que, dans leur communiqué, les zadistes refusent "toute expulsion de celles et ceux qui sont venus habiter ces dernières années dans le bocage pour le défendre et qui souhaitent continuer à y vivre ainsi qu’à en prendre en soin".

La présence ou l’intervention policières ne feraient (...) qu’envenimer la situation.

Les zadistes

dans leur communiqué

"Ces gens-là [les zadistes] ne quitteront pas le site, il faudra les déloger", est persuadé un responsable au sein de la gendarmerie. "On aura des résistances, c'est sûr", renchérit un autre. Un espoir, cependant : "Etant donné que le projet est abandonné, les zadistes et les agriculteurs feront peut-être moins front commun, car les premiers vont vouloir rester tandis que les seconds vont vouloir récupérer leur terrain". 

"Le terrain est immense, ça peut arriver de partout"

Il reste que la géographie des lieux est un obstacle. "La zone est très vaste, boisée et il y a des pièges qui ont été posés un peu partout. L'effet de surprise n'est pas possible, il faudra compenser cela avec du personnel en nombre", explique une source au sein de la gendarmerie. Un autre insiste : "Le terrain est immense, ce n'est pas une ville avec des rues, ça peut arriver de partout. Les gens sont hyper organisés et ils auront du renfort."

Un zadiste montre la carte de la "Zone à défendre" de Notre-Dame-des-Landes, le 9 septembre 2016. (LOIC VENANCE / AFP)

L'un de ces responsables s'attend à ce que les zadistes aillent "chercher la faute car l'objectif, c'est la bataille médiatique et ils voudront en découdre avec des moyens lourds, des cocktails Molotov et des boules de pétanque". "Ils ont des techniques bien particulières : ils se perchent à neuf mètres de hauteur dans les arbres, ils utilisent des troncs comme des balanciers, ils remplissent des caddies de boules de pétanque et de bouteilles et les lancent sur les forces de l'ordre", explique-t-il. 

C'est une guérilla rurale, comme c'était le cas lors des mobilisations contre les centrales nucléaires dans les années 1970.

Un responsable de la gendarmerie

à franceinfo

Un type de discours qui n'a "rien à voir avec la réalité", explique un zadiste à France Bleu Loire Océan. "Il y a une fable qui court, comme quoi il y aurait ici une bande de 50 ultra-violents ou d’éléments plus radicaux qu’on cacherait quelque part, raconte-t-il. On entend parler de kamikazes qui seraient prêts à se jeter des arbres pour mourir sur la police, de lames de rasoir sur des boules de pétanque et je ne sais quelles conneries." Tout cela n'est que "caricature" selon lui.

Reste que du point de vue de la gendarmerie, l'évacuation "s'annonce très longue, car les zadistes vont procéder à du harcèlement", même si "sur le plan stratégique et tactique et du point du vue de la conception de la manœuvre, c'est un bel enjeu". 

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