Soldats français tués en opération : quand la "grande muette" doit trouver les mots pour les familles
De l'annonce du décès au soutien administratif ou encore juridique, comment l'armée française accompagne-t-elle les proches des militaires tués au combat ? Franceinfo a interrogé l'institution militaire et rencontré une famille de soldat.
Cette semaine a été marquée par plusieurs cérémonies d'hommage aux cinq soldats français tués au Mali, dans deux attaques distinctes, le 28 décembre et le 2 janvier. Des soldats dont les familles sont accompagnées par l'armée. Cette prise en charge des proches des militaires tués au combat débute dès l'annonce du décès, avec un protocole. Le chef du régiment, ou un délégué militaire si la famille habite plus loin, se présente en grande tenue au domicile. Il est accompagné d'une assistante sociale, parfois du maire, souvent de camarades du régiment.
Samedi 2 janvier, le colonel de Saint-Victor, qui commande le 2e régiment de hussards, apprend par un coup de fil de Barkhane qu'il a perdu deux de ses soldats, Yvonne Huynh et Loïc Risser. "Un coup à l'estomac", confie-t-il. Il se rend chez la compagne de Loïc Risser. "On se met dans sa plus belle tenue. C'est la manière de présenter l'Etat, la nation, explique le colonel. C'est malheureusement assez mécanique au début, avant de rentrer dans un autre discours, pour simplement dire : 'voilà, au nom de la nation française je vous présente toutes nos condoléances'. Et c'est là qu'on essaye de trouver tout de suite un petit mot, parfois le silence, d'apprendre à écouter le silence, ou de tout simplement poser sa main sur l'épaule. Il y a un besoin de tout de suite répondre à l'attente de la personne qui prend le choc."
Un moment dur pour cet officier, et encore plus dramatique pour les familles, comme pour cette mère d'un soldat tué au Mali il y a un peu plus d'un an. Elle s'appelle Laetitia Dubet et son fils de 24 ans, Ronan Pointeau, a été tué dans la région de Ménaka, par une mine artisanale. Elle se souvient de cette journée du samedi 2 novembre 2019 dans l'après midi. "Mon fils m'avait toujours dit : 'Tu ne regardes pas la télé et tant que personne n'est venu sonner, c'est que tout va bien'. Donc là, dès que j'ai soulevé le judas et que j'ai vu les officiers en tenue, je savais ce qui se passait... Sur le coup je leur ai dit : 'Partez, je ne veux pas savoir ce que vous avez à me dire'."
"On est très bien entourés, tout est fait pour nous"
C'est après cette annonce aux familles, et seulement après, que la mort des soldats est officialisée, par un communiqué de l'Elysée aux médias. Et puis débute la prise en charge par l'institution militaire. La Cellule d'aide aux blessés de l'armée de terre (Cabat), qui s'occupe également des familles endeuillées, gère les formalités juridiques et administratives, le rapatriement du corps, les déplacements et hébergements des proches pour les différentes cérémonies, comme celles qui ont eu lieu cette semaine. Un accompagnement indispensable, se souvient Laetitia Dubet. "C'est exceptionnel, on est très très bien entourés, on ne s'occupe d'absolument rien. Tout est fait pour nous, donc on a du mal à réaliser ce qui nous arrive puisqu'on a aucune démarche à entreprendre", explique-t-elle.
Depuis ce mois de novembre 2019, la mère du soldat Ronan Pointeau est toujours accompagnée par l'institution militaire. "Hier encore, j'avais le colonel Daviet au téléphone. Régulièrement, quand malheureusement il y a de nouveaux accidents, ils prennent contact avec moi pour savoir comment je vais (...) Et je sais que si j'ai le moindre soucis ou si ça ne va pas, je peux les appeler. C'est vraiment un rapport humain et pas seulement administratif."
"On dit que l'armée est une grande famille et c'est le cas. Autant les gradés que les collègues de mon fils sont encore très présents."
Laetitia Dubet, mère du brigadier Ronan Pointeauà franceinfo
La mère du brigadier Ronan Pointeau n'a jamais été tentée de couper les liens avec l'armée, en se disant que celle-ci lui avait pris son fils. "Ce n'est pas l'armé qui m'a pris mon fils, c'est les jihadistes. L'armée a accompagné mon fils dans le métier qu'il souhaitait faire. Il connaissait les risques de son métier, il m'en parlait. Je n'en veux pas à l'armée, d'aucune manière", dit-elle.
La Cabat coordonne aujourd'hui le soutien à 140 familles, sur des points techniques, administratifs et juridiques comme le droit aux réparations, l'obtention du statut de pupille de la nation pour les enfants ou un emploi pour les veuves de guerre. Certaines familles, toutefois, après le choc du deuil, ne veulent plus avoir affaire aux armées, et ont coupé le lien. "Même dans ce cas, on reste à disposition des familles, dit le colonel Brulé, qui dirige la Cabat. Nous sommes là pour aider, pour rendre les choses possibles."
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