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Vidéo "Viande spaghetti" : faut-il s'inquiéter des filets de poulet qui s'effilochent sous vos yeux ?

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Capture d'écran d'une vidéo de l'association CIWF montrant un filet de poulet atteint du défaut dit "spaghetti". (CIWF)

Depuis une dizaine d'années, les abattoirs découvrent des anomalies dans la chair de volailles élevées de manière intensive. La France est concernée.

Vous avez aimé L'Aile ou la cuisse, avec Coluche et Louis de Funès ? La suite pourrait s'intituler Les Filets spaghettis. Une équipe de France 2 aux Etats-Unis a constaté, dans les rayons des supermarchés, la vente de blancs de poulet présentant d'étranges lignes blanches. Après le déballage, surprise : certains de ces filets se désagrègent entièrement.

"On appelle cela de la 'viande spaghetti'", explique Rachel Dreskin, directrice de la branche américaine de l'association de défense des animaux d'élevage Compassion in World Farming (CIWF). "La fibre musculaire est cassée et ça donne une texture qui ressemble aux spaghettis. Les poulets grossissent tellement et tellement vite que leur corps ne fournit pas assez d'oxygène et de nutriments à la fibre musculaire, qui se dégrade et devient filandreuse." La vidéo parle d'elle-même.

En près de soixante ans, le poids des poulets américains a été multiplié par quatre, tandis que la durée d'élevage a presque été divisée par deux. La faute aux hormones ? Perdu, celles-ci sont interdites pour les volailles aux Etats-Unis. Pas de trace de gavage non plus. Ces poulets au gabarit XXL sont le fruit de manipulations génétiques, qui consistent à croiser les bêtes les plus imposantes, pour donner naissance à des géants. Avec, à la clé, des effets secondaires peu ragoûtants.

Un filet français sur dix atteint de "spaghettisme"

Le phénomène est mondial. "La majorité de la viande de volaille produite dans le monde vient de génotypes développés par une poignée d'entreprises", souligne l'un des spécialistes du sujet, Massimiliano Petracci. "On retrouve donc ces anomalies partout : en Amérique, en Asie et en Europe", selon l'enseignant-chercheur en sciences et technologies agroalimentaires à l'université de Bologne (Italie).

La France n'est pas épargnée. Ces 40 dernières années, la consommation individuelle de volaille a presque doublé en métropole, dopée par le poulet, selon un récent rapport (format PDF) du ministère de l'Agriculture. Le produit phare du secteur est devenu l'escalope vendue à la découpe, d'où l'appétit des industriels pour les poulets avec un rendement en filets élevés.

Dans un article présenté en mars 2019 aux Journées de la recherche avicole, cinq chercheuses de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) ont décrit un "lien" entre les "nouvelles pratiques" visant à "alourdir les poulets à croissance rapide" et l'apparition, "depuis une dizaine d'années", de "plusieurs défauts" affectant principalement les filets de poulet. Quatre anomalies principales ont été listées : le "white striping", qui "correspond à la présence de stries blanches" sur la viande, le "wooden breast", caractérisé par "une texture plus dure" par endroits, l'"Oregon disease", notable à la couleur verte des aiguillettes, et enfin les filets "spaghettis", "dont les fibres musculaires se dissocient les unes des autres".

Visuels présentant les défauts observés sur des volailles. (INRA)

En France, la fréquence de ces défauts a été mesurée, dans une enquête de 2017 portant sur 123 lots. Elle a révélé que "66% des filets présentaient le défaut de 'white striping' (dont 15% à un degré sévère), 53% présentaient le défaut de 'wooden breast' (dont 22% à un degré sévère) et 11% des filets étaient atteints du défaut 'spaghetti'", relèvent les chercheuses de l'Inra. L'incidence du problème des "aiguillettes vertes" n'était que de 0,33%.

Une viande sans danger, mais plus grasse

"Sur le plan sanitaire, il n'y a pas de risque pour le consommateur", assure l'une des chercheuses de l'Inra, Elisabeth Baéza-Campone. "Ces anormalités ne sont pas causées par des infections, donc il n'y a pas de risque microbien particulier", abonde Massimiliano Petracci.

En revanche, des conséquences nutritionnelles existent : cette viande est plus grasse. "Il est avéré qu'on retrouve moins de protéines nobles, plus de collagène et plus de lipides", note Elisabeth Baéza-Campone. La variation est toutefois minime, de l'ordre de quelques points de pourcentage. En bouche, la viande atteinte de "white striping" est par ailleurs jugée moins tendre, mais aucune altération notable du goût n'a été notée.

Peut-être avez-vous déjà avalé un morceau de filet "spaghetti", sans le savoir. Selon la chercheuse de l'Inra, les filets défectueux se cachent surtout dans "les productions semi-lourde et lourde", destinées aux transformateurs. Il s'agit de poulets à croissance rapide abattus tardivement (au-delà de 42 jours, avec un poids vif supérieur à 2,6 kilos). Une partie finit dans des plats transformés, une autre quitte le circuit de l'alimentation humaine.

Si le défaut est trop important, ça part en nourriture pour chiens et chats.

Elisabeth Baéza-Campone, chercheuse à l'Inra

à franceinfo

A l'inverse, certaines filières sont épargnées par le problème, grâce à des poulets à croissance plus lente et à des contraintes de rendement plus faibles. "Ces défauts ne sont pas retrouvés en Label Rouge ou en bio", précise l'experte.

Le risque d'un rejet du consommateur

La principale victime de cette course au rendement est l'animal. "Les défauts observés s'apparentent à une myopathieDes cellules de graisse remplacent des fibres musculaires. Les volailles, plus lourdes, ont un centre de gravité déplacé vers l'avant et vont moins bien marcher." Le développement du squelette ne suit pas le rythme imposé et, faute de place en longueur ou en hauteur, les filets croissent en épaisseur.

Avec ces sélections génétiques, on a un peu oublié la physiologie de l'animal...

Elisabeth Baéza-Campone

à franceinfo

Ces problèmes restent peu connus par la filière avicole française. Pour preuve, la plaquette de sensibilisation des professionnels (format PDF) date de 2017. Pourtant, à l'échelle du secteur, ces anomalies "pénalisent d'ores et déjà fortement sa compétitivité", avec "des pertes économiques importantes à l'abattoir", selon les chercheuses de l'Inra. En outre, ces défauts "peuvent, à terme, ternir son image" et provoquer un "rejet du consommateur pour la viande de poulet".

Aux Pays-Bas, face aux critiques de l'élevage intensif, la filière revient à des poulets à croissance plus lente pour la vente de produits frais. Aux Etats-Unis, la chaîne de burgers Wendy's s'approvisionne désormais avec de plus petits poulets, rapporte The Wall Street Journal (article abonnés, en anglais).

Les industriels américains ne désespèrent pas de venir à bout du problème, en misant, encore et toujours, sur la sélection génétique. Elle leur avait déjà permis de supprimer "les précédents effets secondaires des poulets à croissance rapide, comme les pattes fragiles et les problèmes cardiaques", note The Wall Street Journal. Un demi-million de dollars a déjà été dépensé, ces trois dernières années, pour la recherche. De quoi donner la chair de poule à l'association CIWF, qui a lancé une pétition (en anglais) pour dénoncer une tentative de "soigner les symptômes, au lieu de remonter à la racine du problème : la sélection génétique à des fins de croissance rapide".

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