Néonicotinoïdes : quelles alternatives pour les betteraviers après l'abandon de ces pesticides "tueurs d'abeilles" ?
Les néonicotinoïdes, c'est terminé. Pour se plier à une décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), le ministère de l'Agriculture a renoncé, lundi 23 janvier, à autoriser par dérogation les néonicotinoïdes sur les semences de betteraves sucrières qui doivent être plantées en mars. L'utilisation de ces pesticides qui s'attaquent au système nerveux des insectes était dénoncée par les organisations environnementales et la communauté scientifique. Une nouvelle dérogation aurait été par ailleurs contraire aux engagements pris en décembre par la France lors de la COP15 de Montréal (Québec), pour enrayer la disparition de la biodiversité.
Cette décision surprise – avant la décision de la CJUE, la France était bien partie pour accorder une nouvelle dérogation – va obliger les betteraviers à faire autrement pour protéger leurs cultures contre la jaunisse, transmise par le puceron. David Makowski, directeur de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (Inrae), détaille pour franceinfo les alternatives.
franceinfo : Pouvez-vous d'abord expliquer ce que sont les néonicotinoïdes et pourquoi ils sont désormais interdits ?
David Makowski : C'est un produit insecticide très efficace qui a l'avantage pour les agriculteurs de pouvoir être appliqué sous forme de traitement de semences. C'est très pratique puisque l'insecticide est incorporé à la semence et se diffuse dans la plante automatiquement, c'est un traitement préventif. Son inconvénient pour l'environnement est lié à sa grande efficacité : il est tellement efficace qu'il peut avoir un impact beaucoup plus large que sur les seuls pucerons visés par les producteurs de betteraves. L'exemple que l'on mentionne souvent, ce sont les abeilles. Cet insecticide a un impact négatif sur elles. Plusieurs études l'ont démontré. C'est enfin un produit rémanent qui persiste longtemps dans l'environnement.
Quelles sont les alternatives pour les producteurs de betteraves ?
Différentes méthodes existent déjà. Il y a d'abord les pesticides alternatifs aux néonicotinoïdes. Par exemple, le flonicamid, un produit phytosanitaire qui va vraiment cibler les pucerons. Beaucoup d'expérimentations ont démontré son efficacité [une étude récente à laquelle David Makowski a participé concluait à une réduction de 79,9% du nombre de pucerons 14 jours après l'application]. Il y a d'autres produits phytosanitaires, comme le spirotétramat, mais celui-ci fait également l'objet d'une dérogation, dont on ne sait pas si elle sera prolongée.
Le flonicamid est considéré comme moins nocif que les néonicotinoïdes parce qu'il est assez spécifique des pucerons et va avoir moins d'impact sur d'autres organismes. Il se dégrade relativement rapidement aussi.
Au-delà des pesticides, qui sont l'une des principales causes de disparition de la biodiversité, existe-t-il d'autres solutions ?
Il y a des techniques qui visent à perturber les pucerons, comme le paillage [étendre de la paille sur les cultures]. Laisser un couvert végétal sur le sol permet de réduire les infestations de pucerons en les empêchant d'identifier les plantes hôtes. Une autre technique consiste à semer des plantes compagnes entre les rangs de betteraves. Ce sont des plantes qu'on va faire pousser non pas pour les récolter, mais pour perturber le comportement des pucerons. Ces techniques ont un impact, mais elles sont un peu moins efficaces que les produits chimiques alternatifs.
Une autre technique est de réduire les engrais azotés. Les apports importants d'azote peuvent affaiblir la plante et la rendre plus sensible au puceron. Le problème, c'est que cette réduction peut avoir un impact négatif sur les rendements et pénaliser les agriculteurs.
Enfin, il y a aussi des méthodes de biocontrôle, des traitements avec des produits non chimiques, mais biologiques. Il y a eu beaucoup d'essais expérimentaux sur ces produits de biocontrôle, mais ils fonctionnent en moyenne nettement moins bien quand même que les produits chimiques. On manque d'informations sur les performances de ces méthodes, parce qu'on fait des expérimentations dessus depuis moins longtemps. Il y a donc moins de données disponibles pour évaluer précisément leur niveau d'efficacité. Il y a une incertitude sur le niveau d'efficacité de ces méthodes alternatives et sur les modalités optimales de leur application. Sur ce point, on peut espérer des progrès substantiels au cours des prochaines années.
Vous venez de décrire toute une série d'alternatives. Les agriculteurs, comme ce betteravier interrogé par franceinfo, affirment pourtant qu'il n'y a pas de solution. Comment expliquez-vous ce discours ?
Cela dépend ce qu'on appelle une alternative. En termes d'efficacité, des résultats expérimentaux montrent que d'autres méthodes, appliquées seules ou en combinaison, apportent un bon niveau de contrôle des infestations de pucerons. Je pense que ce que veulent souligner les producteurs de betteraves, c'est que ces traitements sont plus difficiles à mettre en œuvre, plus techniques. Entre un traitement qu'on applique automatiquement à travers une semence et des traitements où il faut suivre le réseau de surveillance des pucerons, appliquer le traitement au bon moment et éventuellement combiner avec d'autres approches. C'est sûr qu'il y a un écart en termes de complexité, de mise en œuvre et donc de temps de travail et de coût. Pour moi, c'est essentiellement à ce niveau-là que se situe la difficulté.
Les agriculteurs ont été un peu surpris par cette décision, mais ces alternatives sont bien connues. Elles sont publiées sur les sites des instituts techniques liés aux producteurs de betteraves. Ils vont devoir tester ces méthodes alternatives à grande échelle. Certains le faisaient déjà. Cela va être une année intéressante pour voir à quel point les agriculteurs arrivent à s'approprier ces méthodes alternatives ou pas.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.