Bob emploi : remède miracle contre le chômage ou gros coup de com' ?
Lancé pour mieux accompagner les demandeurs d'emploi, le site www.bob-emploi.fr suscite de grands espoirs... et aussi quelques inquiétudes.
Vous "coacher" pour vous faciliter le chemin vers l'emploi. C'est le credo de bob-emploi.fr, le site lancé, mercredi 16 novembre, en partenariat avec l'agence Pôle emploi. Imaginée par Paul Duan, un jeune entrepreneur français de 24 ans originaire de Trappes, l'initiative suscite beaucoup d'espoirs de la part des pouvoirs publics. Pour autant, certains syndicalistes et spécialistes restent dubitatifs sur la portée réelle de la démarche. Certains craignent même que ce soit contre-productif. Franceinfo vous explique tout ce qu'il faut savoir pour comprendre.
Bob emploi, c’est quoi ?
D’abord un site internet : bob-emploi.fr. Cette plateforme a l’ambition d’être un “compagnon numérique” au service des demandeurs d’emploi. Elle fonctionne à l’aide d’algorithmes qui analysent des centaines de milliers de données sur les annonces et parcours anonymisés de chômeurs, mises à disposition par Pôle emploi. Pas besoin d’être inscrit à Pôle emploi pour vous connecter sur le site. Une fois que vous êtes enregistré, un rapide questionnaire vous permet de créer un profil censé vous accompagner personnellement pour rechercher un emploi ou une formation.
Statutairement, Bob emploi dépend de Bayes Impact, une ONG à but non lucratif créée en 2014 par Paul Duan. Lancée mercredi 16 novembre en partenariat avec Pôle emploi, l’interface est soutenue par la ministre du Travail Myriam El Khomri ou encore par le désormais candidat à l’élection présidentielle Emmanuel Macron, qui a rencontré le jeune fondateur du site dans la Silicon Valley début 2016.
Rencontre avec @pyduan vendredi pour parler d'une utilisation raisonnée du Big Data au service du collectif pic.twitter.com/d5lnt9RmuH
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 10 janvier 2016
Optimiste, Paul Duan affirme qu’il est capable de faire "économiser des milliards d’euros en frais opérationnels et de réduire le taux de chômage en France de 10%." Sans pour autant donner d’agenda précis. Cette plateforme, qui se veut un “service public citoyen”, fonctionne avec un budget de 800 000 euros, répartis entre financements publics et mécénat. Fait notable côté technique, l’algorithme doit être "accessible en open source". C’est-à-dire que son code est transparent et peut être contrôlé par la société civile.
Qui est son créateur ?
Souvent qualifié de "génie de la Silicon Valley" dans les médias, Paul Duan est l’archétype de l’entrepreneur modèle ultra-connecté. Fils de parents chinois et manifestants sur la place Tian'anmen, diplômé de la Sorbonne, de Science Po et de l’université américaine de Berkeley, il est né à Trappes, une banlieue parisienne défavorisée qui a vu grandir Jamel Debbouze. Un hasard géographique (l’entrepreneur a en réalité grandi à Elancourt, une ville voisine à la réputation moins sulfureuse, rapporte Rue89) qui lui permet de faire des selfies avec le comédien et de bénéficier de son soutien pour déverrouiller certaines portes.
Merci à @DebbouzeJamel et Melissa de redonner de l'espoir aux banlieues. A suivre ! pic.twitter.com/mtFHGtgnXt
— Paul Duan (@pyduan) 13 août 2015
Paul Duan fonde en avril 2014 Bayes Impact, une ONG à but non lucratif installée dans la Silicon Valley. Son credo : utiliser le big data (les données massives) pour résoudre des problèmes de société. "On se voit à une échelle mondiale comme une sorte d’OMS de la technologie", explique-t-il à Rue89.
Très vite, Paul Duan est repéré par le Y Incubator, l’un des incubateurs de start-up les plus prestigieux de la Silicon Valley – on lui doit notamment Airbnb, Reddit ou encore Dropbox. Il bénéficie alors de divers mécénats, dont la fondation de Bill Gates, qui lui permet de se développer. Et de s’attaquer à la problématique du chômage en France.
Comment ça marche ?
Le principe est simple. Une fois que vous êtes enregistré, Bob emploi vous propose de fournir diverses informations personnelles pour établir votre profil : âge, sexe, niveau d’études, compétences, envies, etc. Sur la base de ces renseignements, le programme vous livre d’abord un diagnostic pour développer une stratégie "optimale" de recherche d’emploi.
A la manière d’une application de coaching, la plateforme vous propose ensuite de réaliser chaque jour cinq actions pour avancer dans vos recherches. Une sorte de superassistant qui vous conseille, entre autres, de refaire votre CV, contacter des entreprises, vous mettre en relation avec des réseaux identifiés…Bob-emploi propose également des métiers proches de ceux renseignés par l'utilisateur, pour un éventuel élargissement de la recherche vers des professions qui recrutent davantage.
L'idée n'est pas de dire à un boulanger de faire plombier mais de donner les informations pour voir les métiers qui fonctionnent, pour faire comme si chaque chômeur était un expert du marché du travail
Malgré tout, le site "n’a pas vocation à remplacer Pôle emploi", se défend son créateur Paul Duan, interrogé dans Le Monde.
En quoi cela peut vous aider à trouver un emploi ?
Le principal intérêt de cette interface, conçue d’abord comme un outil informatique complémentaire à Pôle emploi, est de vous accompagner dans vos recherches. La promesse de "sur-mesure", grâce à l’algorithme derrière la plateforme, offre en effet la perspective d’un suivi sur le long terme. "On peut tenir la main de chaque chômeur sur la durée. Parce qu'une recherche d'emploi dure douze mois en moyenne et qu'il faut garder le rythme, et le moral", assure Paul Duan à l’AFP.
Bob emploi vise également à mettre à disposition des internautes des "métiers à explorer" et donc à augmenter votre champ d’opportunités. Le tout, avec un comparatif des expériences des usagers. "La plateforme va vous indiquer très rapidement ce qu’aucun conseiller de Pôle emploi n’est humainement capable de vous répondre. Elle va vous dire combien de personnes ont réussi ce parcours, dans quelle région et par quelles formations elles sont passées", expliquait fin septembre RTL.
Enfin, Paul Duan souligne qu’un suivi régulier sur le site peut aussi servir à dégager du temps à votre conseiller Pôle emploi, lui permettant de se focaliser sur "son rôle d’expert". A noter que l'activité de l'utilisateur du site sera confidentielle et partagée avec le conseiller Pôle emploi uniquement avec son consentement.
Qu’en pensent les syndicats de Pôle emploi ?
Ils ne tirent pas de plans sur la comète. Pour Jean-Charles Steyger, du syndicat SNU-FSU, majoritaire à Pôle emploi, cet outil est loin d’être une avancée majeure. "Je ne vois pas d'innovation sur cet outil. Je constate que c'est un outil qui ne permettra pas à tous les chômeurs de bénéficier d'un appui. Je ne crois pas qu'un algorithme fasse baisser le chômage de 10%", explique-t-il mercredi au micro de RTL.
Et d’avancer : "Je pense que Monsieur Duan aurait dû concevoir un algorithme pour aider les entreprises à créer des emplois. Qu'on arrête de leurrer les demandeurs d'emploi en leur disant qu'à travers une plateforme numérique ils trouveront un emploi. Cela ne se vérifie pas."
Par ailleurs, il est intéressant de noter que Bob emploi table sa baisse de 10% du chômage sur la base de 300 000 emplois non-pourvus en France. Un chiffre souvent avancé par les politiques, de gauche comme de droite, qui ne reflète pourtant pas la réalité du marché du travail, comme l’explique Le Monde.
En gros c'est un peu comme un Über pour l'emploi, non ?
Pas vraiment, mais cela pourrait participer à übériser des services jusque-là garantis par l'Etat. Journaliste et auteur de La Nouvelle Servitude volontaire, enquête sur le projet politique de la Silicon Valley, Philippe Vion-Dury tient d’abord à souligner la transparence de la démarche de Bob emploi. "Mettre son algorithme en open source est une démarche à saluer, explique le journaliste. Aux Etats-Unis, de plus en plus d’entreprises de recrutement utilisent le big data dans une totale opacité. Avec le risque de ne rien pouvoir contrôler en cas de discriminations."
En dépit de ce bon point, Philippe Vion-Dury pointe néanmoins une "naïveté très Silicon Valley".
C’est typique du ‘solutionnisme numérique’. Penser qu’avec un algorithme, on va résoudre un problème éminemment complexe, en l'occurrence le chômage, c'est proprement faux. On ne résout pas le problème de fond, qui reste d’abord le manque d’emploi.
Compréhensif quant à l’initiative altruiste de Paul Duan, le journaliste s’interroge cependant sur la logique du projet, qui consiste à confier aux algorithmes une tâche régalienne. "Si la plateforme marche vraiment, si elle parvient effectivement à fluidifier le marché du travail, qui va empêcher Pôle emploi d’en développer une en interne ? Qui va l’empêcher de supprimer ses conseillers et de les remplacer par un super assistant de poche ?"
Et de lancer, ironique : "C’est intéressant, on aura inventé un algorithme pour lutter contre le chômage pour finalement supprimer des milliers d’emplois."
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