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Sur les traces de la mystérieuse maladie qui a touché les employés d'une usine de frites belge

En une semaine, près de la moitié des employés d'une usine de frites belge ont été hospitalisés. Franceinfo s’est rendu là où a germé la mystérieuse maladie.

Article rédigé par franceinfo - Alexis Magnaval
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
La mystérieuse épidémie serait apparue à la suite du nettoyage des chaînes de production de Clarebout Potatoes. (VLADIMIR PESNYA / RIA NOVOSTI)

Neuve-Eglise, ses maisons de briques rouges, sa place du marché...et son usine à frites. Depuis la fin juillet, un mal mystérieux est venu troubler la tranquillité de ce village belge, niché sur un mont balayé par les vents de la campagne flamande. Au moins 85 employés de Clarebout Potatoes, une entreprise qui conditionne des pommes de terre en frites surgelées, ont été hospitalisés depuis une semaine. Près de la moitié de l’effectif.

Fièvre, maux de têtes, courbatures, vertiges… Les symptômes coïncident. "Ce sont des signes bénins et des séjours courts", détaille Christophe Laurent, chef de garde à l'hôpital d'Armentières, où beaucoup de salariés français ont été soignés. "La plupart repartent chez eux avec du Dafalgan, après quelques prélèvements urinaires et sanguins." Jusqu’à 28 prises de sang pour un salarié français qui a témoigné auprès de La Voix du Nord.

Au bout d’une quinzaine de cas recensés mercredi 26 juillet, l’entreprise tente une première explication : la grippe. En plein mois d’août, donc. Sauf que le bilan est vite grimpé à 31 cas deux jours plus tard, puis 70 le mardi 1er août, pour atteindre 85 jeudi, selon le dernier bilan des autorités belges. Parmi eux, l’Agence régionale de santé (ARS) des Hauts-de-France relève 71 Français, qui traversent la frontière chaque jour pour aller travailler. L’hypothèse de la grippe écartée, le mystère plane toujours.

Communication verrouillée

Une enquête a été lancée par le Contrôle du bien-être au travail, une entité du ministère du Travail belge. "Lundi 31 juillet, nous avons eu à Bruxelles une réunion avec des professeurs et des spécialistes de la santé des travailleurs. Une analyse approfondie de l’eau et de l’air est lancée dans l’usine, elle n’est pas encore terminée", explique Paul Van Haeck, à la tête du comité. Dès mercredi, il faisait part de sa volonté de centraliser l’information, pour éviter les rumeurs et limiter la diffusion d'informations. C’est aussi pour cette raison qu’il est difficile d’obtenir des réponses : la communication est totalement verrouillée.

Y compris chez les syndicats. "Nous avons un accord avec le ministère de la Santé et le ministère du Travail, explique Conny Demonie, secrétaire régionale de la Fédération générale du travail de Belgique. Toutes les communications sont faites par le ministère de la Santé." Le bourgmestre (maire) de Heuvelland, commune à laquelle est rattachée Neuve-Eglise, n’en dit pas plus. S’il confie savoir "ce qu’il s’est probablement passé", il reste sur ses gardes : "C’est confidentiel." Du côté de l’entreprise aussi, c'est no comment. Après avoir refusé de répondre à nos sollicitations par téléphone, Clarebout Potatoes n’a pas voulu nous recevoir.

Pendant l'épidémie, l'activité s'est poursuivie à l'usine de Neuve-Eglise (Belgique). (Alexis Magnaval)

Pendant que les infections se multiplient, la cheminée de l’usine continue à fumer. L’odeur tenace de pommes de terre enveloppe toujours le village. Le va-et-vient des semi-remorques balaye sans cesse l’entrée du site. A l’entrée des massifs bâtiments métalliques, l’activité semble se poursuivre comme d'ordinaire. Mais derrière le sourire de façade de l’hôtesse d’accueil, l’injonction à nous adresser au ministère de la Santé. Des mesures internes ont été prises, assure-t-on : les ouvriers doivent porter des masques et l’eau est davantage désinfectée.

Chez les employés abordés près de l’usine, c'est l'omerta. Deux d’entre elles, assises sur un banc pour leur pause-déjeuner, rechignent à répondre, fixant leurs tupperwares : "On ne doit pas parler, on ne peut rien dire."

Dans le village, on ne se soucie guère du problème. Ni à la supérette : "Certains clients en parlent, mais personne ne sait." Ni à la boulangerie : "On ne sait pas, même en se renseignant sur Internet." Ni chez le primeur : "Personne n’en parle vraiment. Je connais des gens qui y travaillent mais dans les bureaux." Si les locaux – flamands – ne s’alarment pas, c’est peut-être parce que ce sont les ouvriers en contact avec les chaînes de production - surtout des Français - qui sont tombés malades.

L'épidémie est sur la fin.

Christophe Laurent, chef de garde à l'hôpital d'Armentières

Dans les pharmacies sur la route en direction de la France, on admet avoir eu quelques cas. A celle de Bizet, commune collée à la frontière, ils se comptent sur les doigts d’une main. Pour la pharmacienne, la faible prise de conscience découle de la dispersion des prises en charge, induite par la division linguistique de la zone : "Les Français vont se faire soigner à Armentières et Valenciennes, les Flamands à Ypres, les Wallons à Mouscron."

Certains sont allés directement en pharmacie, d’autres carrément aux urgences. A l’hôpital d’Armentières, où le dernier patient est sorti jeudi 3 août, on se veut rassurant. "L’épidémie est sur la fin", explique le chef de garde.

Quant à la cause du problème, impossible d’en savoir plus sans les conclusions définitives de l’enquête, d’ici neuf à dix jours. Deux éléments sont presque sûrs pour Paul Van Haecke : "On pense que l’origine vient de l’intérieur de l’entreprise et que la source des toxines n’existe plus."  Dans un communiqué de l’Agence flamande de santé (en flamand), le Dr Dirk Wildemeersch confirme que "l'épidémie semble être sous contrôle, mais nous restons vigilants pour des nouvelles poussées".

Deux hypothèses pour les enquêteurs

La première piste étudiée se dirige vers l'hypothèse d'une fièvre de Pontiac, forme légère de légionellose, qui n'engage pas le pronostic vital. Cette maladie provient d’une bactérie qui se développe dans l’eau. La seconde hypothèse serait un syndrome toxique des poussières organiques (ODTS), des particules toxiques dans l’air, un mal répandu dans le milieu agricole. "On penche plutôt pour la deuxième mais rien de sûr", précise Paul Van Haecke avec précaution.

L’un des quatre malades reçus à la pharmacie Chanzy, à Armentières, a pourtant expliqué que tout avait démarré avec le nettoyage de deux chaînes de production, fin juillet. "Ils ont tout ouvert, il y avait de l’eau partout, a rapporté un autre salarié à La Voix du Nord. Tout le monde, même dans les bureaux, a respiré de la vapeur d’eau." Une propagation par l’eau ? Une thèse qui ferait pencher la balance vers la fièvre de Pontiac, puisque les légionelles se diffusent dans l'eau.

Un voisin contaminé ?

Un voisin de l’usine de Neuve-Eglise affirme lui aussi avoir été contaminé la semaine dernière. Rémi Sylvain habite juste en face du site et y a travaillé il y a une dizaine d’années. "La semaine dernière, j’ai commencé à me sentir mal donc je suis allé chez le médecin, explique le riverain. Il m’a dit que c’était une pseudo-grippe. Je me suis remis dans la semaine."

La contagion en-dehors de l’usine serait donc possible ? Pas selon le chef de garde de l’hôpital d’Armentières, qui ne relève "aucune transmission interhumaine", mais laisse malgré tout repartir les patients avec un masque respiratoire, "pour le protocole".

Dans cette zone rurale, Clarebout Potatoes emploie environ 600 personnes sur deux usines. (Alexis Magnaval)

"Cette histoire fera travailler les intérimaires de la région !" ironise Rémi, le voisin touché. Les intérimaires ont pourtant aussi été touchés. L’un d’eux, Jérémy, a témoigné jeudi dans le journal Nord Eclair. Cet habitant de Wasquehal, près de Lille, découvre dès sa première nuit de travail à Clarebout des "conditions d’hygiène à moitié respectées", selon les termes employés dans le quotidien. Le lendemain, voyant des collègues absents pour maladie, il ne veut plus se rendre à l’usine. Malgré les pressions de son agence d’intérim, il n’y retourne pas. Le soir, il est terrassé par une grosse fièvre. Rétabli, il annonce vouloir porter plainte contre Clarebout Potatoes et son agence.

L’épidémie n’a pas touché le deuxième site de la firme, celui de Warneton, dans la partie wallonne de Belgique, à quelques encablures de là. D’après le syndicat FGTB Horval, "pas de risque de propagation à signaler".

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