"Pourquoi pénaliser les agriculteurs qui rapportent le plus ?"
Quelques centaines de céréaliers ont participé à des barrages routiers, jeudi, dans l'ouest de l'Ile-de-France, pour protester contre la réforme de la PAC. Reportage.
"Si on crie au milieu de notre champ, personne ne nous entend. Alors nous voilà !" Il est 5 h 30, jeudi 21 novembre, quand la nuit noire tourne subitement à l'orange. Les gyrophares des tracteurs réveillent les pierres de la ferme de Jean Quinet, à Jumeauville (Yvelines), et le cortège d'engins agricoles prend la direction de l'autoroute A13, à quelques centaines de mètres de là. Les accès sont vite paralysés à hauteur d'Epône, où les CRS empêchent la cinquantaine de tracteurs de s'engager sur l'autoroute. La guerre de positions peut démarrer, dans le froid.
Des agriculteurs céréaliers de l'ouest francilien se sont mobilisés sur une dizaine de points routiers en Ile-de-France, jeudi, pour participer à un "blocus de Paris". L'opération n'a que faiblement perturbé la circulation automobile, mais elle a été endeuillée par un accident mortel à proximité d'un barrage. Néanmoins, les organisateurs se sont dits "satisfaits" d'avoir pu porter leur message.
Pot-pourri de revendications
"Maintenant qu'on est là, on va sortir les affiches, pour que les gens comprennent", lance Jean Quinet, l'un des meneurs du mouvement, en descendant de son tracteur. Réunis par la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles d'Ile-de-France (FDSEA IDF) et les Jeunes agriculteurs d'Ile-de-France (JA IDF), les manifestants d'Epône appellent, par écrit, à la démission de Stéphane Le Foll ("Le Foll, fou (sic) le camp"). Le ministre de l'Agriculture est accusé de refuser le dialogue ("Le Foll tu débloques ! Alors on bloque !"), sur fond de lassitude fiscale.
Le pot-pourri de revendications, avec d'autres senteurs à base d'écotaxe et de TVA, est dominé par les nouveaux contours de la Politique agricole commune (PAC). La transposition nationale pour la période 2015-2020 est défavorable aux céréaliers, qui sont majoritaires parmi les agriculteurs franciliens. Ils s'inquiètent de la redistribution des aides européennes entre céréaliers et éleveurs, au profit de ces derniers, priorité de François Hollande. Un rééquilibrage assumé par Stéphane Le Foll, pour qui "il n'est pas question de revenir dessus". Les petites exploitations sont également privilégiées au détriment de celles supérieures à cinquante-deux hectares.
Pas touche à ma compétitivité
S'ils se disent "solidaires" des difficultés rencontrées par les éleveurs, les céréaliers rechignent à céder jusqu'à 30% de leurs aides européennes. "La céréaliculture marche bien et compte beaucoup pour la balance commerciale française, au même titre que le vin, affirme le président de la FDSEA IDF, Damien Greffin, joint par francetv info sur un autre barrage. Les réformes du gouvernement sont une atteinte à la compétitivité de nos entreprises, face à l'Allemagne notamment."
"Il faut laisser ce qui marche en l'état et trouver autre chose pour les autres, martèle Bertrand Caffin, membre de la FDSEA et négociateur désigné auprès des CRS. Pourquoi pénaliser les agriculteurs qui rapportent le plus ? Il ne faut pas déshabiller Pierre pour habiller Paul."
Les céréaliers mieux lotis que les éleveurs
Installé au chaud dans l'habitacle de son tracteur, en attendant le feu vert pour s'engager sur l'A13, Thierry Jean, vice-président d'une coopérative, estime que "le problème des éleveurs est l'organisation de leur marché", plus qu'une question d'aides. "En pénalisant les céréaliers, le gouvernement est en train de faire la même erreur qu'avec l'industrie, cela va se finir par des délocalisations et on importera nos céréales en lieu d'en exporter."
En 2012, le revenu moyen des éleveurs bovins laitiers s'est rétracté à 25 000 euros annuels en France, selon le ministère de l'Agriculture. A l'opposé, le revenu par actif dans les grandes exploitations céréalières s'est élevé à 76 500 euros, atteignant un nouveau record, du fait de la hausse des cours. "Les éleveurs qui s'accrochent aujourd'hui ont bien du courage", reconnaît Jean Quinet, malgré tout inquiet des effets des prochaines réformes et d'une probable baisse des cours.
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