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Quotidien précaire et avenir incertain pour les jeunes Espagnols

En Espagne, un jeune sur deux est au chômage, et des milliers de diplômés veulent quitter le pays. La situation économique les inquiète, mais ils comptent bien s'en sortir. Témoignages. 

Article rédigé par Julie Rasplus
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Une manifestation pour l'anniversaire du mouvement des Indignés, le 12 mai 2012 à Madrid (Espagne). (GABRIEL PECOT / CITIZENSIDE / AFP)

Ils font partie des principales victimes de la crise en Espagne : les jeunes traversent aujourd'hui une période épineuse. Déçus et plongés dans la précarité, la grande majorité d'entre eux se disent très inquiets concernant leurs avenirs professionnel et personnel. Quelle est leur situation ? Qu'est-ce qui les animent ? FTVi en a rencontré une poignée, âgée entre 21 et 30 ans. Témoignages. 

• Diplômés, mais sans travail

Le chiffre a de quoi donner le vertige : aujourd'hui, un Espagnol de moins de 25 ans sur deux est au chômage. Et quand ils n'y sont pas encore, les jeunes s'y préparent. "Moi je suis sûre de me retrouver au chômage à la fin de mes études", assure ainsi Gisela, 21 ans, jeune judokate brune en plein cursus de sciences politiques. "Les jeunes subissent la précarité. Beaucoup de mes amis qui ont choisi de ne pas faire d'études longues connaissent plein de problèmes maintenant. Ici, on n'avance pas... Même en étant diplômé", déplore Javier, tout juste trentenaire, prof d'anglais et thésard à l'université Pompeu Fabra de Barcelone.

Javier, professeur d'anglais à l'université, ici le 21 juin 2012, s'indigne des hausses de frais de scolarité décidées par le gouvernement Rajoy.  (JULIE RASPLUS / FTVI)

Silvia Hernandez et Mamen Garcia, pédagogues au sein du centre d'éducation et d'orientation de Barcelone, l'ont bien remarqué. "En cinq ans, on a vu un changement radical de la situation des jeunes en fin d'études. Avant, ils finissaient toujours par trouver quelque chose. Aujourd'hui, non. Et quand ils trouvent, certains ne sont même pas payés. C'est démotivant pour eux", expliquent les deux jeunes femmes.  

Outre l'entrée dans la vie active, c'est désormais les premiers pas à l'université qui risquent de devenir un casse-tête pour certains étudiants. Le gouvernement compte en effet économiser trois milliards d'euros en augmentant de moitié les frais d'inscriptions à la fac. Selon Les Echos, ils passeraient de 1 000 à 1 500 euros en moyenne. "Ça me révolte ! Si on continue comme ça, les gens qui n'ont pas d'argent ne pourront bientôt plus étudier ! Et si on ne favorise pas l'éducation, on ne s'en sortira pas", prévient Javier. 

• Une crise visible et inquiétante

"La crise m’affecte car je la vois autour de moi, confie de son côté Miquel, jeune Catalan qui étudie la musicologie. Les gens achètent moins de choses, les prix ont augmenté. Les salaires ont baissé. Mes parents n'ont plus de voiture. Mes amis ne trouvent pas de travail ou sont payés au noir."

Joana en sait quelque chose. Cette étudiante de 25 ans, placeuse au Grand théâtre du Liceu de Barcelone, voit ses ressources s'amenuiser ces derniers temps. "Avant je travaillais 20 jours par mois pour sept euros de l'heure. Maintenant, c'est 6,50 euros et ça dépend des mois. En juin, je n'ai travaillé que cinq jours. Je vais donc gagner 300 euros maximum. C'est très instable." Les jeunes Espagnols galèrent et cela n'augure rien de bon pour la suite. "Notre avenir est incertain", confie Gisela. 

• 300 000 jeunes ont quitté le pays 

Selon le quotidien El Mundo (en espagnol), plus de 300 000 jeunes ont quitté leur pays depuis le début de la crise. Joana "commence à y songer". La rouquine au look coloré et à la voix douce attend encore une année, "le temps de finir mes études". Pour aller où ? "Mon choix n'est pas encore fixé. En France, Allemagne, Suisse, Belgique... Je ne sais pas. Mais ici, je ne vais pas réussir à évoluer dans ce que j'aime."

L'idée doit encore faire son chemin. "Ça me coûtera beaucoup de partir", souffle la Catalane qui, en attendant, continue de noircir les pages de son petit carnet à croquis. "C'est un peu comme une thérapie..."

Joana, ici le 21 juin 2012 à Barcelone, envisage de quitter l'Espagne d'ici un an.  (JULIE RASPLUS / FTVI )

Si certains hésitent encore à franchir les frontières, d'autres retournent déjà au bercail. Comprendre : dans leur famille. Javier termine ses cartons pour s'installer dans l'appartement secondaire de ses parents, situé à une heure et demie de Barcelone. "Depuis que j'ai eu 30 ans, je ne reçois plus d'aides du gouvernement. Avec 1 135 euros net par mois, je n'ai pas assez d'argent pour me permettre de rester ici [dans le centre de Barcelone]. Je n'arrive pas à épargner", avoue ce fervent écologiste, qui souhaite surtout profiter d'"une meilleure qualité de vie".

• Changer le système

Gisela, Javier mais aussi Joana, tous ont participé aux actions des Indignés en 2011 et 2012. "Il faut continuer. Après avoir occupé les places, on n'a qu'à occuper le Parlement ! plaisante Gisela, très critique contre les dirigeants européens. Si on ne change pas de pouvoir, rien ne va changer." 

Depuis que Mariano Rajoy a remporté les élections de novembre 2011, devenant le chef du gouvernement espagnol, Javier assure ne plus lire les journaux. Il en veut à ceux qui continuent de voter pour de "sales menteurs". Miquel avance une explication : la crise dépasse les populations. "On a beaucoup d'informations mais si tu n'as pas étudié l'économie, tu ne peux pas comprendre ce qui se passe", devise ce Catalan et fier de l'être, une bière Estrella à la main et une cigarette roulée dans l'autre. Lui, ce qu'il voit, c'est que "la crise est une excuse. On ne donne pas d’argent aux gens 'à cause de la crise'. Mais la crise, c’est la faute des cabrones [enfoirés] qui ont fait de la spéculation !"

Changer le monde. Cela ne semble pas hors d'atteinte pour ces jeunes ; face à l'immensité de la tâche, peu d'entre eux perdent espoir. "Ça va être de pire en pire pendant quatre ou cinq ans encore. Mais je crois qu'on s'oriente vers un changement de système, prédit Javier. De toute façon, on ne peut pas continuer comme ça. Le capitalisme est malade." Dont acte. 

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