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"La réforme bancaire est moins ambitieuse que prévu"

Le projet de loi sur la réforme bancaire a été adopté en Conseil des ministres. Pour Laurence Scialom, professeure d'économie à l'université Paris-Ouest Nanterre, le texte n'impose aucun bouleversement du paysage bancaire français. 

Article rédigé par Ilan Caro - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
François Hollande, le 22 janvier 2012, lors de son meeting de campagne au Bourget (Seine-Saint-Denis). (PATRICK KOVARIK / AFP)

La réforme bancaire présentée mercredi 19 décembre en Conseil des ministres prévoit d'encadrer les risques en isolant, au sein d'une filiale spécifique, certaines activités jugées non utiles à l'économie. Mais ce projet, ficelé par le ministre de l'Economie, Pierre Moscovici, n'impose pas de bouleversement du modèle bancaire français.

Laurence Scialom, professeure d'économie à l'université Paris-Ouest Nanterre et auteure d'une note sur la réforme de la structure des banques pour le think-tank Terra Nova, estime que malgré ce projet, le contribuable continuera dans les faits à garantir des pertes découlant d'activités de marché. Entretien.

Francetv info : Cette réforme est-elle conforme aux engagements pris par le candidat François Hollande, qui voyait dans le monde de la finance un "ennemi sans visage" ?

Laurence Scialom : La réforme proposée par le gouvernement est nettement moins ambitieuse que ce que François Hollande avait promis lors de son discours au Bourget le 22 janvier. Pendant la campagne, il avait proposé de séparer les banques selon une ligne de démarcation entre activités de crédit et de dépôt d'une part, et activités de marché d'autre part. Le gouvernement, lui, trace une ligne entre activités "utiles" et activités spéculatives. Mais ce critère est trop flou, subjectif. Il permet aux banques de prétendre que quasiment toutes les activités de marché sont utiles.

Avec une loi plus ambitieuse, qui limiterait la garantie publique aux activités de dépôt et de crédit (les seules réellement vitales pour l'économie), la partie banque de marché se financerait moins facilement sur les marchés, prendrait moins de risques et, en cas de faillite, ne mettrait pas en péril l'ensemble de l'économie.

Là, cela va au contraire inciter les banques à continuer d'avoir recours massivement aux marchés car ce financement continuera d'être "subventionné". Ces financements peuvent se tarir du jour au lendemain, d'où une exposition au risque systémique. Or, il n'y a aucune raison que le contribuable garantisse des pertes découlant d'activités de marché.

Selon vous, le texte contient-il quand même des avancées significatives ?

Il y a un excellent volet dans ce projet de loi, qui concerne la résolution des défaillances bancaires. Tous les bons instruments juridiques, permettant un contrôle beaucoup plus intrusif, ont été insérés dans le texte. Jusqu'à présent, l'Etat était obligé de bricoler.

Malheureusement, ces instruments ne seront applicables que si la banque a une structure qui permet un démantèlement facile et rapide. En un mot, si les activités de marché de cette banque ont été filialisées. Avec des banques comme BNP-Paribas, ces instruments seraient très difficiles à mettre en œuvre. C'est pour cela qu'une réelle séparation des activités bancaires est absolument nécessaire.

Pourquoi une séparation plus stricte est-elle difficile à mettre en œuvre en France, alors que d'autres pays, comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, se sont engagés dans cette voie ?

Les banques américaines et britanniques ont pris de plein fouet la crise financière. Certaines ont dû être nationalisées, ce qui n'a pas été le cas chez nous. En France, la crise financière s'est plutôt traduite par des coûts indirects de perte de croissance et d'accroissement de l'endettement public, même si Dexia a tout de même coûté 5,5 milliards d'euros au contribuable.

Si le gouvernement n'est pas allé aussi loin que promis, c'est à l'évidence la conséquence d'un lobby bancaire extrêmement fort, à l'œuvre depuis de nombreux mois. Les banques ont réussi à convaincre que l'intérêt du pays était lié à celui des banques, qu'il fallait préserver le modèle de la banque universelle, sans quoi des problèmes de financement pourraient apparaître. Mais ces arguments ne sont pas recevables.

Dans les prochains mois, le débat pourrait toutefois être relancé au niveau européen. Le rapport Liikanen, remis par le gouverneur de la Banque centrale de Finlande à la Commission européenne, propose, sans être révolutionnaire, une séparation beaucoup plus poussée que celle contenue dans le projet français. Si une directive européenne est adoptée par la suite, les banques seront bien obligées de s'y soumettre.

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