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Requalification d’un chauffeur de VTC en salarié : les plates-formes veulent de la flexibilité, pas "éviter le salariat"

Le tribunal des prud’hommes de Paris a ordonné à la plate-forme de VTC Le Cab de salarier l'un de ses chauffeurs, auparavant auto-entrepreneur. Le président de la fédération des auto-entrepreneurs, Grégoire Leclercq, était sur franceinfo, vendredi 6 janvier.

Article rédigé par franceinfo, Raphaël Ebenstein
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un chauffeur de VTC lors d'une manifestation à Paris, contre les prix imposés par les plates-formes, le 23 décembre 2016. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP )

Un chauffeur affilié à la plate-forme Le Cab, qui avait le statut d'auto-entrepreneur, a obtenu celui de salarié de l'entreprise, sur décision du tribunal des Prud'hommes de Paris. Cette décision prise en décembre est une première en France, mais ses conséquences devraient être, en réalité, assez limitées.

Elle ne fera toutefois pas jurisprudence, d'abord parce que les faits jugés remontent aux années 2013 - 2014 et que la loi Grandguillaume (définitivement adoptée fin 2016) interdit désormais explicitement toute clause d'exclusivité. Par ailleurs, la décision ne concerne que Le Cab, et non les autres plates-formes, dont Uber.

Le recours aux auto-entrepreneurs, pratiqué comme du salariat déguisé : norme ou l'exception ? Grégoire Leclercq, le président de la Fédération des auto-entrepreneurs, était l’invité de franceinfo vendredi 6 janvier.

franceinfo : Y a-t-il beaucoup d’auto-entrepreneurs qui pourrait demander, comme le salarié de la plate-forme Le Cab, à être requalifiés en salariés, aujourd’hui en France ?

Grégoire Leclercq : Le recours aux travailleurs indépendants est très répandu. En 2016, on estime que 120 000 auto-entrepreneurs en France, parmi le million actif, ont travaillé de près ou de loin pour une plate-forme. Aujourd’hui, c’est donc bien une des premières forces de travail actives à pouvoir rendre des services via les plate-formes. Cela pose effectivement la question de savoir si ces auto-entrepreneurs sont indépendants ou pas, et s'ils peuvent demander à être requalifiés en salariés.

Au-delà des plates-formes de VTC, dans beaucoup de secteurs les entreprises demandent aux salariés de prendre ce statut, pour ne pas payer de charges…

Le modèle n’est pas tout à fait celui-là. Les plates-formes demandent à des auto-entrepreneurs d’avoir ce statut pour avoir de la flexibilité, pas tellement pour éviter le salariat. C’est le cas dans le secteur des VTC, le transport, la restauration, le déménagement, l’hébergement, l’artisanat, le graphisme, la coiffure, etc. Il y en a partout. Ces plates-formes veulent pouvoir gérer à la demande une commande qui arrive et parfois elles sont très nombreuses lors des pics. Mais le reste du temps, les plates-formes ne veulent pas avoir de salariés entre les mains. La précision à faire, c’est que les couvertures sociales sont payées par les auto-entrepreneurs eux-mêmes.

D’où l’intérêt pour l’employeur : cela vous paraît-il normal ?

On pourrait dire que ce n’est pas normal, dans la mesure où elles pourraient les salarier. Or, dans le modèle économique de toutes ces plates-formes, aucune n’est aujourd’hui en mesure de les salarier. Il s’agit d’un modèle avec une concurrence forte, donc les plates-formes cherchent à avoir les prix les plus agressifs possibles pour convaincre le plus de plus de consommateurs possible, tout en gardant de la souplesse.

Qu’en disent vos adhérents ? Le statut d’auto-entrepreneur leur convient-il ou est-ce un choix par défaut ?

Etre auto-entrepreneur en France, ça reste souvent un choix par défaut. 60 % des auto-entrepreneurs le font comme complément de revenu, donc ils sont salariés à côté et ont moins de problèmes financiers. Mais 40 % d’entre eux le font par défaut, d’abord et avant tout parce qu’ils n’ont pas trouvé d’emploi ni en CDI ni en CDD. C’est pour eux la dernière opportunité de garder un pied dans l’activité économique, de gagner un revenu. Je rappelle que le revenu moyen est 410 euros par mois, ce qui a encore été confirmé par l’INSEE.

Les auto-entrepreneurs sont très favorables aux plates-formes parce qu’elles leur permettent de gagner du chiffre d’affaire en plus

Grégoire Leclercq, président de la fédération des auto-entrepreneurs

à franceinfo

Le quotidien de l’auto-entrepreneur, ce n’est même pas de savoir s’il sera bien protégé dans deux ans, mais de boucler son mois. Et quand vous avez 410 euros de revenu et qu’une plate-forme vous en propose 400 de plus, vous les prenez !

Quel est le profil type de l’auto-entrepreneur français ?

Vous avez deux catégories majeures. Il y a ceux qui sont auto-entrepreneurs en complément. Ils sont 60%, soit salariés, retraités ou fonctionnaires ? Eux font 10 000 euros de chiffre d’affaire annuel. Les 40% restants viennent la plupart du temps de Pôle Emploi, gagnent 410 euros par mois en moyenne, qu’ils cumulent avec soit l’allocation Pôle Emploi, soit le RSA (revenu de solidarité active) ou l’ASS (allocation de solidarité spécifique). Ce sont des revenus très faibles. 20% sont artisans, 20% sont commerçants ou e-commerçants, et 60%  sont de la profession de service (libérale, nouvelles technologies, services à domicile, aide à la personne, jardinage etc.). On a atteint un premier plafond.

Depuis 2014, les inscriptions sont en baisse. Il y a 1 120 000 auto-entrepreneurs actifs en France, dont 750 000 avec une véritable activité économique, ce qui va apporter à peu près 8 milliards de chiffre d’affaire en 2016. C’est conséquent mais on n’a pas de forte croissance. C’est avant tout lié à une complexification administrative due à la loi Pinel de 2014. Cette loi rend les démarches plus lourdes et plus coûteuses. Donc globalement, on a perdu 20% d’inscrits depuis 2014.

Faut-il réformer ce statut, ou en inventer un autre ?

Il faut sans cesse revenir sur le métier en matière de création d’entreprise et de simplification administrative. On voit bien que de nouvelles problématiques se posent, comme avec les plates-formes. Peut-être que la question d'un actif dépendant économiquement mais indépendant financièrement pourrait se poser. Dans le cadre de la présidentielle, un deuxième sujet très important se pose : celui du droit au chômage. On voit les aspects positifs de l’auto-entreprise – le retour à l’activité économique, un revenu complémentaire, l’impact sur la consommation et la croissance – mais il y a aussi des aspects négatifs. Il n'y a pas de bonne protection sociale, même si elle existe. Il y a des problématiques aussi liées à la maternité. La retraite n’est pas très conséquente.  Il y a une forme de dépendance économique pour un certain nombre d’acteurs. Tout cela, ce sont des points à améliorer.

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