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Vols de nuit : ces compagnies aériennes qui contournent les règles pour soigner leurs chiffres d'affaires

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vol de nuit
Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
France Télévisions
C’était il y a trois ans. Des avions cloués au sol pendant la pandémie. Un lointain souvenir. Aujourd’hui, le trafic aérien repart de plus belle. Et pour gagner des parts de marché, certaines compagnies n’hésitent pas à enfreindre les règles de vol, notamment la nuit. Au détriment des riverains et des alertes des autorités de contrôle.

Ce n’est d’ordinaire pas une heure convenable pour arriver chez les gens. Mais Paolo Ferreira a souhaité nous inviter chez lui en pleine nuit, pour mieux prendre conscience des nuisances que lui et sa famille subissent. C’est par là que ça se passe”, glisse cet habitant de Rezé (44), également président du Collectif des citoyens exposés au trafic aérien (Coceta). À peine arrivés dans son jardin, un vrombissement se fait entendre. "Ah écoutez, là, ça monte à 70 décibels", indique Paolo Ferreira, les yeux rivés sur l'écran de son téléphone portable où est ouverte une application de mesure du bruit. L’aéroport de Nantes est à 4 km. Des avions survolent la maison, parfois toutes les 5 minutes, et leurs nuisances se prolongent très tard dans la nuit, alors qu’elles ne devraient pas.

À Nantes, un couvre-feu trop peu respecté

En théorie, l’aéroport de Nantes est soumis à un couvre-feu. Entre minuit et 6 heures du matin, les décollages et les atterrissages sont interdits. Cette nuit-là, pourtant, un vol de la compagnie Easyjet reliant Nantes à Londres va décoller à 0h14. Ce n'est pas une exception. Depuis un an et demi que le couvre-feu est entré en vigueur, l'association de Paolo Fereira a fait ses comptes : les dépassements sont quasi-quotidiens. "Nous, on constate qu'il y a au moins 480 vols qui n'ont pas respecté le couvre-feu", précise-t-il. 480 vols hors délais répertoriés à Nantes, des centaines d’autres partout en France. Depuis la reprise post-covid 19, de nombreuses compagnies enfreignent régulièrement les règles de vols la nuit. Dans un rapport récent, l’autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa) dénonce "l'évolution des comportements des compagnies aériennes". Et indique: "des efforts sont indispensables". Gilles Leblanc, le président de l'Acnusa, a participé à la rédaction du rapport. Il siège aussi à la commission qui sanctionne financièrement les compagnies. "En 2022, on a mis 4,6 millions d'euros d'amende. L'an prochain, on sera à 15 millions", pronostique le haut fonctionnaire, après avoir constaté une hausse de 50 % des procédures de sanction cette année. Pour lui, certaines compagnies aériennes programment trop de vols - parfois 8 en une seule journée pour un seul et même avion. Résultat : plus d’imprévus, plus de retards. Et à la fin des dépassements d’horaires. "C'est une logique de quoi qu'il en coûte qui est à l'œuvre. Gagner des parts de marché sur la concurrence, si ça doit coûter des amendes, c'est un prix que les compagnies sont prêtes à payer, déplore Gilles Leblanc. Il y a une concurrence féroce entre elles."

Dans la longue liste des compagnies fautives, nous avons contacté celles qui ont été le plus sanctionnées l'an dernier. Leurs réponses oscillent entre justifications et timides prises de conscience. "Easyjet est particulièrement exposée aux perturbations telles que la congestion de l'espace aérien", se défend la compagnie britannique. Pour Ryanair, les débordements du couvre-feu viennent "des grèves du contrôle aérien [qui] ont des répercussions sur les horaires de vol." Enfin, Volotea assure que "des ajustements très importants ont été réalisés au cours des derniers mois."

Des arrivées tardives et des vols à vide

Ces déclarations peinent à convaincre les associations et les autorités. D'autant que pour continuer d'arriver en retard sans être sanctionnées, des compagnies semblent avoir trouvé une parade: le déroutement. C'est ce qu'a remarqué l'association de riverains Drapo (Défense des riverains de l'aéroport de Paris-Orly). Exemple avec le vol Santorin-Paris du 28 août dernier qui devait initialement se poser à Orly, un aéroport sous couvre-feu. "L'avion arrive trop tard pour respecter le couvre-feu d'Orly, explique face aux données radar Minh Nguyen Vanh, le technicien de l'association. Il est donc obligé de prendre la direction de Roissy où il arrive à 0h36." Un déroutement vers l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, non concerné par le couvre-feu puis, six heures plus tard, un très court vol, sans passager, vers Orly. Le technicien poursuit:"on voit qu'il est reparti de Roissy à 6h52 pour arriver à 7h11 à Orly. Il est parti à vide pour reprendre ses rotations. C'est aberrant." 19 minutes de vol et au moins 3 tonnes de CO2 rejetées. 

Selon l’association, depuis le début de l’année, en France, des dizaines de vols sans passager auraient ainsi eu lieu. Au téléphone, un employé d’une compagnie à bas coût confirme que la stratégie est assumée. "J’ai des collègues pilotes qui m’ont dit: c’est aux alentours de 2000 euros l’heure de vol, témoigne-t-il. Je pense que les dirigeants des compagnies considèrent tout ça pour se dire qu’au final, vaut mieux prendre le risque, quitte à dérouter plutôt que d’annuler le vol. Ils sont conscients qu’ils jouent borderline, mais bon." L'Acnusa rappelle que les déroutements sont normalement des manœuvres d’urgence, déclenchées en cas de danger menaçant l’appareil. Elles réclament aux compagnies une prise de conscience immédiate sur le respect des règles de vol.

Parmi nos sources (liste non exhaustive):

Rapport annuel 2023, Acnusa

Collectif des citoyens exposés au trafic aérien (Coceta)

Association Drapo (riverains de l'aéroport Paris-Orly)

Flight radar 24

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