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"Il a toujours le cerveau en ébullition" : Franky Zapata, le Géo Trouvetou qui a réussi à traverser la Manche sur son Flyboard Air

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Après avoir développé un modèle aquatique du Flyboard, l'inventeur français Franky Zapata, photographié en novembre 2016, est passé à la vitesse supérieure avec un modèle aérien. (MAXPPP)

L'inventeur du Flyboard Air a résussi, dimanche, sa tentative de rallier le Royaume-Uni, à l'aide de son appareil développé dans son atelier des Bouches-du-Rhône. Depuis plus de vingt ans, cet ancien champion de Jet-Ski se dévoue corps et âme à la mécanique.

"Lui était le premier humain à voler, moi j'ai juste accompli un rêve." Comparé à Louis Blériot quelques minutes après son atterrissage dimanche 4 août, à Douvres avec son Flyboard Air, Franky Zapata l'a joué modeste. Le Marseillais a pourtant réalisé un exploit en traversant la Manche avec son invention. Le fils caché du célèbre aviateur français et d'Iron Man avait déjà épaté les télévisions du monde entier lors de son apparition pendant le défilé du 14-Juillet. En équilibre sur son bolide aérien multivitaminé, tel Son Goku sur son petit nuage, Franky Zapata avait livré une démonstration inédite de son dernier prototype devant la tribune officielle, sous les applaudissements d'Emmanuel Macron.

Une simple étape pour cet entrepreneur de 40 ans, qui a réussi dimanche, de traverser la Manche sur son Flyboard Air, engin à cinq petits turboréacteurs de son invention. Son objectif  était aussi simple que compliqué à accomplir : parcourir en volant 35 km entre Sangatte (Pas-de-Calais) et les alentours de Douvres, le tout à une vitesse de 100 à 140 km/h. L'engin a dû être ravitaillé à environ 18 kilomètres des côtes françaises. Une étape qui lui avait coûté sa première tentative samedi 25 juillet.


Franky Zapata lors de l'édition 2019 du défilé militaire sur les Champs-Elysées, à Paris, le 14 juillet 2019. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Ce numéro d'équilibriste n'est pas donné à tous : pour l'heure, Franky Zapata est la seule personne au monde a avoir joué les funambules sur ce modèle. Trop complexe, trop risqué... Y compris pour Christian, son mécano de toujours, qui n'a jamais eu l'honneur d'une virée aérienne. "C'est le cerveau humain qui participe à 80% de l'équilibre, expliquait l'inventeur à franceinfo le 14 juillet. C'est uniquement la position du centre de gravité qui permet de choisir la direction dans laquelle on va." Un algorithme interne de stabilisation permet tout de même d'amortir les rafales de vent ou les mouvements trop brusques.

"Il peut se passionner pour un joint ou un tuyau"

Au-delà de ses aptitudes physiques, Franky Zapata est avant tout un inventeur hyperactif, qui ne manque jamais une occasion d'engranger des connaissances. Il profite ainsi d'une visite des cuves du domaine du château La Coste, près d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), pour prendre en photo la robinetterie – juste au cas où. "Il peut se passionner pour un joint ou un tuyau. Il a toujours le cerveau en ébullition", décrit le député Eric Diard, ancien maire de la commune de Sausset-les-Pins qui l'a soutenu dans ses démarches. Récemment, il s'est mis en tête d'étudier les parachutes utilisés pour le base-jump sur la base aérienne de Gap-Tallard (Hautes-Alpes), avec une idée en tête : pourquoi ne pas en équiper les Flyboard Air et s'envoler au-dessus des nuages ?

Il faut dire que ce personnage gouailleur a toujours eu les mains dans le cambouis. Fils d'un entrepreneur du BTP, Franky Zapata passe d'abord un temps fou à bricoler dans un hangar. Après une petite année en maçonnerie, l'ado découvre à 17 ans le Jet-Ski. Athlétique malgré sa petite taille (1,68 m), il met à profit un centre de gravité très bas pour éclabousser les compétitions et décrocher plusieurs fois des titres de champion d'Europe et du monde dans la catégorie Runabout (assis). Pas si simple pour un daltonien. "Il ne différenciait pas les bouées jaunes et rouges qui indiquent les passages à droite ou à gauche, raconte son ami et ancien rival, l'animateur Vincent Lagaf'. Du coup, il restait en deuxième ou troisième position pour suivre les autres jusqu'au dernier tour, puis il lâchait les chevaux pour l'emporter."

A l'époque, déjà, Franky Zapata est passionné par la mécanique et finit même par développer ses propres engins de course.

Comme il n'y avait pas de Jet-Ski assez puissant pour lui, il a décidé de les fabriquer. Il était capable de souder deux moteurs pour en faire un V8. Il a tout appris sur Google.

Vincent Lagaf', ami de l'inventeur

à franceinfo

Finalement, "les constructeurs se sont ligués contre lui avec la Fédération française motonautique pour faire interdire ses engins. Ça l'a gonflé et il a laissé tomber".

Franky Zapata décide alors de lancer une société de scooters des mers, qui finit par tomber à l'eau. Pas de quoi le démobiliser car il conserve une obsession : utiliser la puissance perdue à la sortie des turbines du Jet-Ski. En 2011, il imagine alors une plate-forme propulsée par la pression de l'eau, reliée à la turbine d'un Jet-Ski par un long tuyau souple. Banco. Commercialisée en 2012, son invention, baptisée Flyboard, lui permet d'engranger 900 000 euros de bénéfices, selon 20 Minutes. Son entreprise Zapata Racing écoule des milliers d'exemplaires dans le monde entier. En 2013, les télespectateurs français écarquillent les yeux devant les prouesses de ce dou dingue qui participe à l'émission de M6 "La France a un incroyable talent".

"Il ne s'était pas soucié de l'aspect réglementaire"

Un engin certes impressionnant, mais pas encore complètement satisfaisant pour Franky Zapata. Il se lance donc corps et âme dans l'étape suivante pour créer un engin autonome, et sans flexible, quitte à payer de sa personne. "Il avait mis une planche avec plein de petits ventilateurs, explique Vincent Lagaf', mais celle-ci s'est envolée trop vite. En tentant de la rattraper, il a eu deux phalanges sectionnées, au majeur et à l'index. Il avait deux Knacki à la place des doigts". A trop tutoyer le ciel, Icare s'est parfois brûlé les ailes ; lui, ce sera les doigts.

Le Français voyage dans le monde entier et noue des partenariats avec de grandes marques, comme Breitling, Nissan ou Red Bull. Pourtant, il peine encore à décoller en France, en raison des lois et des interrogations de l'administration. "Il ne s'était pas trop soucié de l'aspect réglementaire, résume aujourd'hui un proche du dossier travaillant dans l'aviation. Ce n'est pas parce que Franky Zapata fait des choses merveilleuses qu'il faut dire oui à tout. Il faut essayer de trouver le juste milieu en prenant en compte l'intérêt général et la liberté, pour les créateurs, d'innover."

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En mars 2017, il est convoqué par les gendarmes de l'air. Ces derniers l'informent qu'il risque une mise en examen s'il continue ses vols, faute de disposer des autorisations nécessaires. "Je me suis retrouvé avec prise d'empreintes, photos et torse nu pour prendre en photo toutes mes cicatrices, écrit-il alors sur Facebook. Je vous laisse imaginer mon dégoût après avoir fabriqué 'made in France' plus de 10 000 Flyboard." Au même moment, les sollicitations continuent d'affluer. Boeing, armée américaine... De quoi envisager très sérieusement l'hypothèse d'un départ. "Il le vivait mal et me disait que son pays, c'était la France, se souvient Eric Diard. Mais il était payé royalement pour des exhibitions, à Dubai et ailleurs."

L'inventeur s'entête. Pour se conformer aux réglementations, et trouver un terrain d'entente avec la Direction de la sécurité de l'aviation civile (DSAC) et la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), Franky Zapata doit notamment remettre ses manuels techniques, communiquer des systèmes de redondances (les solutions bis quand un dispositif de sécurité tombe en panne) et fournir des éléments sur la sécurité. Le vent finit par tourner. Après de longues démarches, Franky Zapata obtient un "laisser-passer" pour son Flyboard, un sésame pour les machines qui ne disposent pas de certificat de navigabilité, à l'image des voitures qui ne sont pas produites par des constructeurs classiques.

Un appareil comme ça, ce n'est ni un ULM ni un hélicoptère. Ce n'est pas prévu dans les réglements spécifiques. Comme dans le cas des drones, cela pose la question de l'espace aérien.

Un proche du dossier dans l'aéronautique

à franceinfo

L'inventeur a également dû suivre une formation de pilote ULM, afin d'être au moins à l'aise avec le langage radio, quand il s'entraîne dans des aérodromes du coin. "C'est facile de travailler avec lui. Il a bon caractère et comprend vite", poursuit la source. Il lui faut également créer un aérodrome privé. Après plusieurs refus préfectoraux, il obtient le feu vert sur un promontoire du quartier de Boumandariel à Martigues, près de la mer – les essais doivent être réalisés au-dessus de l'eau, en cas de chute. La durée maximale des vols est limitée à deux heures par jour. "Je lui avais proposé ce lieu après avoir épluché la carte de la commune", se souvient l'ancien maire Eric Diard.

Cette installation ne fait pas que des heureux dans le voisinage. A l'automne 2018, des habitants du lotissement dénonçaient "la forte odeur de kérosène et un bruit d'enfer" dans le journal La Provence"On ne peut même pas discuter, déplorait notamment une habitante. Quand je lui ai parlé du bruit, il a rétorqué que de toute façon, dans dix ans, j'aurais un sonotone et je pourrais baisser le son". La puissance des réacteurs est en effet synonyme de décibels. "A environ 10 ou 15 mètres, il n'y a plus besoin d'avoir un casque sur les oreilles mais cela reste plus bruyant qu'une moto", concède un bon connaisseur du dossier.

Franky Zapata lors de sa première démonstration en public du Flyboard Air, le 30 avril 2016 à Sausset-les-Pins (Bouches-du-Rhône).  (MAXPPP)

En parallèle, Franky Zapata demande, en 2017, un financement auprès de l'armée, qui s'intéresse de près au projet. Un mois après avoir présenté sa création aux côtés des forces spéciales, lors du Forum Innovation Défense de novembre 2018, sa société obtient un financement de l'armée à hauteur de 1,3 million d'euros, pour développer une nouvelle turbine fabriquée en impression 3D. Contactée par franceinfo, la Direction générale de l'armement évoque des "perspectives de développement (...) intéressantes" et ajoute que le ministère des Armées "réfléchit aux usages, aux types de missions qui pourraient être envisagés avec ce type d’aéronef".

En l'état, le Flyboard Air n'a aucun emploi opérationnel, notamment parce qu'il est limité en autonomie, peu discret et exigeant à piloter. Ce n'est pas un prototype pour le ministère des Armées (qui ne l'a pas financé), on pourrait plutôt le comparer à un concept car : il préfigure des usages nouveaux, civils comme militaires.

Communication de la DGA

à franceinfo

Par ailleurs, Franky Zapata et son équipe ont développé un autre modèle, nommé Ezfly, muni de barres de maintien et plus facile à prendre en main. C'est ce modèle, davantage que l'autre, qui pourrait représenter une opportunité pour l'armée.

Quand il n'essuie pas les plâtres de ses créations, Franky Zapata trouve encore le moyen de repartir d'un séjour au ski avec le bassin fracturé et huit côtes et deux vertèbres cassées, en début d'année. Casse-cou, fou de vitesse et gouailleur, le Marseillais fonctionne parfois à l'arrache. "Je l'ai vu utiliser un couteau thermique pour couper un câble sans se rendre compte qu'il était sur son sac de kérosène", se souvient Vincent Lagaf', qui souligne le contraste avec la propreté de son atelier.

Son truc ressemble à une clinique, car il ne faut pas que les poussières entrent dans les composants électroniques.

Vincent Lagaf'

à franceinfo

Franky Zapata en convient lui-même : le Flyboard Air "est un prototype. Il sera commercialisé à terme, mais pas dans cette version-là." Pour continuer à convaincre les autorités et séduire le grand public, il espérait bien prendre la relève de l'aviateur Louis Blériot, 110 ans après sa traversée de la Manche. "J'ai utilisé 3% des capacités de la machine alors que pour la Manche, j'aurai besoin de 99,9%, expliquait-il au Parisien avant sa première tentative infructueuse. Ce n'est pas du tout gagné d'avance, j'ai 30% de chances d'y arriver." 

Et pas question pour Franky Zapata de se reposer sur ses lauriers après avoir réussi son défi de traverser la Manche. Interrogé par franceinfo, il assurait avoir "développé des voitures volantes qui fonctionnent." Mais chut. Pour le moment, c'est encore un secret de l'atelier du Rove.

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