Paille humide et bataille plus vraie que nature : à Waterloo, les grognards amateurs refont l'histoire
Les passionnés de l'épopée napoléonienne ont rejoué, vendredi et samedi, la dernière bataille de l'empereur, collant au plus près à la réalité historique. Reportage.
S'il n'y avait les hordes de visiteurs et les avions qui décollent de l'aéroport de Bruxelles et survolent le champ de bataille, on jurerait avoir remonté le temps. C'est justement ce que recherchent les quelques 5 000 passionnés de l'épopée napoléonienne qui participent aux gigantesques reconstitutions de la bataille de Waterloo, à une vingtaine de kilomètres au sud de Bruxelles, du jeudi 18 au samedi 20 juin, à l'occasion du bicentenaire du dernier combat livré - et perdu - par Napoléon.
Ces "reconstitueurs" veulent vivre l'histoire au présent et ne jurent que par le respect de la vérité historique, jusque dans les moindres détails de leurs uniformes. Et n'hésitent pas à porter un regard critique sur leur performance.
Frites, gaufres et souvenirs pour tout le monde
Comme le dit Jérôme, imposant officier mamelouk qui parle avec l'accent du Nord, "Waterloo, c'est le Saint-Graal". Alors pour les 200 ans de la bataille, un événement "immanquable", les "reconstitueurs" sont les premiers visiteurs.
A peine arrivé, on croise des Russes en uniformes napoléoniens qui montent au sommet de la Butte du Lion, pendant qu'au pied, deux élégants en costumes Empire se prennent en photos. Les bus déversent leurs flots de touristes, parmi lesquels des voltigeurs et des grenadiers de Napoléon, fatigués de la marche à pied. Leurs ennemis attendent, eux, leur tour à la buvette ou à la friterie, sabre et baïonnette à la ceinture.
La reconstitution c'est aussi du tourisme et des anachronismes #Waterloo200 pic.twitter.com/TZq7ELaKok
— Benoît Zagdoun (@BenoitZagdoun) 20 Juin 2015
Il y a ceux qui, comme en pèlerinage, déposent une gerbe de fleurs sur la stèle commémorant la mort de leurs "aïeux" au champ d'honneur au bord d'un chemin terreux, entre deux champs, non loin du bivouac des Alliés. Ce dernier est planté dans un champ devant la ferme fortifiée de Hougoumont, où les hommes du duc de Wellington ont repoussé les assauts des Français commandés par le général Jérôme Bonaparte, le frère de l'empereur, au prix de milliers de vies.
D'autres font leurs emplettes dans les boutiques souvenirs qui ne désemplissent pas à l'entrée du bivouac anglo-hollando-prussien. Waterloo est aussi l'occasion pour certains "reconstitueurs" de parfaire leur panoplie dans les boutiques d'uniformes et d'accessoires d'époque napoléonienne.
Lits de camp, douches et toilettes pour les grognards
Dans les bivouacs, installés sur des prairies vallonnées fraîchement fauchées, les tentes blanches de campagne sont impeccablement alignées. Les hommes, regroupés par régiment ou bataillon, ont disposé leurs fusils en faisceaux et se reposent entre deux batailles. Par endroit, des bûches brûlent, répandant chaleur et odeur de feu de bois alentour.
Les "reconstitueurs" adeptes d'histoire vivante, comme Michael, le fantassin polonais de l'armée impériale, dorment à la belle étoile, sur un lit de paille. Et qu'importe la pluie qui s'abat sur le campement pendant la nuit. Les moins radicaux, comme Daruk et ses amis, autres soldats polonais de l'Empire, dorment sous la tente, sur des matelas de paille. D'autres se soucient de leur confort, après des années à batailler d'une reconstitution à une autre : Andreas, soldat allemand dans l'infanterie de Brunswick, dort sur un confortable lit de camp. Mais, comme la cigarette qu'il fume, il le cache pour la photo.
Michael Polonais a dormi à la belle étoile sous la pluie sur la paille. Il fait toujours comme ça. #Waterloo200 pic.twitter.com/WiImkB7Anz
— Benoît Zagdoun (@BenoitZagdoun) 20 Juin 2015
Au petit matin, certains "reconstitueurs" en chemise et pantalon blancs, se débarbouillent à la brosse dans un baquet d'eau froide et se cachent derrière une haie pour se soulager. D'autres, comme au camping, se lavent dans des cabines de douches transportables et se brossent les dents dans des lavabos collectifs. Dans le bivouac français, les sanitaires sont cachés dans un sous-bois pour plus de discrétion.
A l'heure du déjeuner, le cochon rôtit sur sa broche, le chaudron de soupe bouillonne et la marmitte de ragoût frémit.
Darret à gauche vient de Hollande avec ses deux canons de la Royal Dutch Horse Artillery #Waterloo200 pic.twitter.com/xxEEyD9PMc
— Benoît Zagdoun (@BenoitZagdoun) 19 Juin 2015
Dans le bivouac allié, on surprend un Allemand de l'artillerie britannique en train de téléphoner. Le "capitaine Christian Willering" en plaisante en allemand, alors que la plupart de ses camarades ne rallumeront leurs téléphones qu'après la fin des reconstitutions. Son téléphone "est d'époque", rigole-t-il, "c'est un iPhone première génération". "Reconstitueur" depuis neuf ans, il s'autorise ce petit écart de conduite qui ne l'empêchera de faire feu quelques heures plus tard avec les canons de la King's German Legion.
Chutes de cheval et bataille plus vraie que nature
L'issue de la bataille de Waterloo est connue depuis 200 ans. Dans un premier temps, Napoléon a bien cru gagner après une journée entière de combats acharnés et indécis. Jusqu'à ce que le maréchal prussien Blücher ne déboule avec le gros de ses troupes et donne un avantage décisif à son allié anglais le duc de Wellington.
Ça, c'est dans les livres d'histoire. En reconstitution, il peut y avoir quelques variantes. Pour le bicentenaire, les Alliés, bien plus nombreux que les Français, leur ont donné du fil à retordre dès le début de la bataille et ont voulu accélérer la déroute dans le champ légèrement vallonné de Mont Saint-Jean où le blé encore jeune montait jusqu'à la taille.
Au lendemain de la reconstitution, le bivouac français refaisait le match, un brin amer. Patrick et Jean-Claude regrettent que leur unité de grenadiers n'aient pas pu jouer son rôle. "Ils étaient trop avancés. On est restés sur la crête. On a jamais réussi à descendre dans le vallon", déplorent-ils. Ils se sont tout de même vaillamment battus. Le fusil du premier a pris un coup de sabre de cavalerie qui lui a entaillé le canon.
Même constat de Patricio, alias le "sergent Figo" du 1er régiment d'infanterie de ligne napoléonien. "On devait gagner. On s'est fait dominer. On s'est fait déborder par les Prussiens. On a reculé. On essaiera de mieux faire", concède-t-il, quasi aphone après avoir hurlé ses ordres sur le champ de bataille. L'humidité de la nuit n'ayant rien arrangé. Sa seule satisfaction : "Le principal c'est qu'il n'y a pas de blessé. C'est exceptionnel sur une grande reconstitution."
Alors qu'il chevauchait avant la bataille, l'infortuné cavalier est passé par dessus sa monture et a chuté lourdement. Il a dû être hospitalisé. Poignet cassé, clavicule cassé en plusieurs points, côtes fracturées...
Je vous en parle depuis ce matin, le voici : le maréchal Ney alias Franky Simon (dans le camp anglais) #Waterloo200 pic.twitter.com/TKQhCs3Rb2
— Benoît Zagdoun (@BenoitZagdoun) 20 Juin 2015
Un coup dur pour Franky Simon, général en chef organisateur de la reconstitution, qui attendait ce bicentenaire depuis des années. Mais la passion a été plus forte que la raison. L'homme a quitté l'hôpital avec une décharge et la promesse d'une opération prochaine. Et il est remonté à cheval pour rejouer son glorieux Waterloo.
L'avocat-empereur, Frank Samson-Napoléon a salué la bravoure de son ami. "On a eu très peur pour Franky", confie tout de même l'empereur attablé dans sa tente impériale. Là où il avait établi son dernier quartier général il y a exactement 200 ans, sur la route de Charleroi.
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