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Christiane Taubira peut-elle réussir sa réforme de la justice ?

La garde des Sceaux a promis, dimanche, une réorganisation massive du système judiciaire. Une réforme souhaitée par les Français, mais accueillie avec méfiance par les professionnels.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Christiane Taubira, le 9 janvier 2014, au côté du premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, lors de la séance solennelle de rentrée de la Cour des comptes, à Paris. (  MAXPPP)

Elle a placé la barre très haut. La garde des Sceaux, Christiane Taubira, a annoncé, dimanche 12 janvier, dans un entretien au Parisien, la réforme de la justice "la plus ambitieuse depuis 1958", année de naissance de la Ve République. En l'espace de quelques mois, elle veut "repenser le système judiciaire dans sa globalité : améliorer son fonctionnement, son efficacité et, finalement, le service rendu au citoyen". Chiche ? Peut-elle réussir ? Francetv info évalue ses chances.

Oui, les Français sont pour

Christiane Taubira peut compter sur le soutien des Français, demandeurs d'une telle réorganisation. Selon une étude du ministère, présentée vendredi et relayée par Le Monde, 87% des personnes interrogées estiment que la justice, trop lente et trop complexe, a besoin d'être réformée. Plus de la moitié d'entre elles jugent qu'elle fonctionne mal, même si les trois quarts des justiciables se disent satisfaits de la décision rendue dans leur dossier.

Oui, les pistes existent

Après des mois de réflexion et quatre rapports sur le sujet, la ministre de la Justice a convié le monde judiciaire à un grand colloque, en fin de semaine, à Paris. Les groupes de travail ont accouché de 268 propositions, prévoyant notamment des démarches simplifiées pour les justiciables, la transformation de certains délits en contraventions, et le développement massif du numérique, réclamé par les Français.

Certaines propositions relèvent de simples consignes, comme l'effort réclamé aux magistrats pour qu'ils rédigent leurs jugements de manière plus accessible. D'autres annoncent de plus gros chantiers, à l'image de "la création d'un guichet universel, qui recueillera toutes les démarches entreprises par le justiciable, quelle que soit la juridiction".

Attachée à sa méthode de consensus, qu'elle a déjà éprouvée pour sa réforme pénale, Christiane Taubira a confié à deux magistrats la mission de soumettre des pistes de réforme à des assemblées générales dans chaque juridiction, pour recueillir les avis des professionnels sur le terrain. De là commencera, en mars, un travail de synthèse, avant la remise, en avril, de propositions à la ministre, qui espère de premières actions en juin.

Non, la méthode ne convainc pas

"Le colloque [de la semaine précédente] a été extrêmement fumeux", regrette Christophe Régnard, président de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), joint par francetv info. Esquissant les pistes de sa réforme, la ministre a peiné à convaincre les participants. "On est dans l'expectative, dubitatifs voire inquiets, prévient le chef de l'USM. Cela se jouera dans les AG dans les juridictions, mais les personnels sont tellement submergés qu'ils ne vont pas pouvoir bien travailler dessus." 

Cela se jouera surtout au cabinet de la ministre. "Au final, c'est la garde des Sceaux qui tranchera, en fonction de ce qui est possible techniquement, juridiquement, et budgétairement, indique à francetv info Dominique Le Bras, l'un des deux magistrats chargés de la réforme. Cela relèvera de sa responsabilité politique."

Non, la question des moyens se pose toujours

Tandis que Christiane Taubira fait appel à "l'intelligence collective" pour sa réforme, certains redoutent une institutionnalisation du système D. "La justice va très mal depuis des années, et toute réforme restera embryonnaire si on n'avance pas sur le terrain budgétaire", s'obstine Christophe Régnard.

Le magistrat se dit "trop habitué aux gardes des Sceaux qui veulent tout changer puis s'en vont avec des réformes minuscules ou pas financées". La ministre ne s'est pas engagée sur ce sujet, et a insisté sur la motivation des troupes, citant Antoine de Saint-Exupéry. 

"Cette réforme ne sera pas forcément coûteuse, défend Dominique Le Bras. Ma cour d'appel, à Rouen, dépense 700 000 euros par an en frais postaux, pour envoyer des notifications en recommandé. Un plus grand recours à l'informatique réduirait la facture." Comme toujours, l'annonce d'une réforme suscite des espoirs puis des désillusions. Surtout avec une telle ambition affichée, accueillie avec scepticisme par une juge présente au colloque.

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