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Jeunes recrues, scouts et "méthode écolo" : comment l'AS Monaco est devenue la "machine à cash" du foot français

Article rédigé par Simon Gourmellet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Les joueurs de l'AS Monaco victorieux en quart de finale de la Ligue des champions face à Dortmund, le 19 avril 2017 à Monaco.  (BENJAMIN CREMEL / AFP)

Le club du Rocher a déjà amassé plus de 170 millions d'euros en vendant cinq joueurs. Et la star Mbappé pourrait s'arracher à 180 millions d'euros.

Derrière celui de Neymar, c'est l'autre record de ce mercato estival. Depuis l'ouverture de la période des transferts, vendredi 9 juin, l'AS Monaco a amassé un sacré pactole : déjà 173 millions d'euros récupérés grâce à la vente de cinq joueurs. Et c'est loin d'être terminé. La cagnotte pourrait encore gonfler, voire exploser, si jamais Kylian Mbappé, courtisé par le Real Madrid et le PSG, venait finalement à quitter le club. Sans oublier Lemar ou encore Fabinho…

Si le club de foot peut se targuer de bons résultats la saison dernière, avec une élimination en demi-finale de la Ligue des champions et un titre de champion de France, ce n'est pas la première fois que ses dirigeants accumulent les millions en revendant leurs meilleurs joueurs. Franceinfo vous explique la méthode du club pour transformer ses pépites en sommes astronomiques.

Un changement de stratégie

Si Monaco s'est transformé en "machine à cash", comme l'écrit France Football, ce n'était pas dans les plans initiaux de son propriétaire, le très discret millionnaire russe Dmitri Rybolovlev. A son arrivée en 2011, le club du Rocher est alors au fond du trou, empêtré en Ligue 2. Mais une fois l'élite retrouvée, l'homme d'affaires sort son carnet de chèques pour se payer les services de stars comme Radamel Falcao, James Rodriguez, n'hésitant pas à débourser 105 millions d'euros pour les deux Colombiens.

James Rodriguez et Falcao à l'entraînement à Monaco, le 8 août 2013.  (MAXPPP)

Des stars pour briller, mais dont le passage au sein du club sera éclair. En 2015, les règles du fair-play financier mises en place par l'UEFA, les recettes du stade limitées en raison de la faible affluence monégasque, et la perspective d'un divorce coûteux –  son ex-femme a obtenu 3,3 milliards d'euros en première instance –forcent Rybolovlev à "redimensionner son projet". Résultat : James est vendu 75 millions au Real Madrid et Falcao file en prêt à Manchester. 

Une "base de données" des jeunes joueurs

Plutôt qu'empiler les stars, le club cible désormais les meilleurs espoirs du football, en pariant sur leur marge de progression pour ensuite les revendre au prix fort. Pour mener à bien cette politique, le club s'adjoint les services d'une pointure en la matière : Luis Campos, un acharné du recrutement à qui Monaco doit notamment l'arrivée de Bernardo Silva et l'éclosion de Kylian Mbappé. "Si je travaille autant, c’est parce que je veux que ma 'database' soit actualisée en permanence, explique-t-il. Parce que si les joueurs progressent tout le temps, je dois moi aussi toujours progresser". Cette "database" (base de données) dont il parle n'est pas qu'une formule. Lorsqu'il débarque sur le Rocher, il apporte avec lui un mystérieux logiciel très sophistiqué, pour la recherche et le suivi d'éventuelles recrues. "Seuls un ou deux clubs au monde le possèdent", se vante Monaco auprès du JDDsans en dévoiler davantage. 

Et pour que la base de données soit efficace et à jour, il faut des yeux partout. Dans le jargon, on les appelles les "scouts", des éclaireurs qui repèrent les talents, capables pour certains d'assister à trois matchs par jour en Ecosse, en Espagne et au Portugal, rapporte RMC Sport"Nous avons en moyenne de 14 scouts, qui voient chaque semaine une quinzaine de matchs environ (sur le terrain ou en vidéo) c’est-à-dire 210 matchs analysés par semaine, pour identifier des joueurs intéressants (soit 840 matchs par mois, 10 080 à l’année)", explique Antonio Cordon, le successeur de Campos au site lainformacion.com (en espagnol) .

Une méthode à la portugaise

Mais cette machine à recruter copie sans vergogne les exemples portugais. "L'ASM applique avec succès des recettes utilisées depuis plusieurs années par des clubs comme le Benfica Lisbonne et le FC Porto, explique à L'Express Christophe Lepetit, économiste au Centre de droit et d'économie du sport de Limoges. Elles reposent sur une grosse prise de risque, car ces équipes connaissent le talent des joueurs qu'ils vendent et leur prix sur le marché, mais elles n'ont évidemment pas l'assurance que leurs successeurs atteignent le même niveau et leur permettent de se qualifier en Ligue des champions. Or, participer à cette compétition est nécessaire pour leurs finances." Une stratégie complètement différente de celles du PSG ou de Manchester City, qui veulent des joueurs prêts, et bons, dès le lendemain de leur arrivée.

Anthony Martial après son premier but sous les couleurs de Manchester United, le 12 septembre 2015 à Manchester (Royaume-Uni).  (OLI SCARFF / AFP)

Anthony Martial est sans conteste sa plus belle réussite. Acheté cinq millions d'euros à Lyon, il est revendu deux ans plus tard 80 millions à Manchester United, un record pour un si jeune joueur. Si la somme est énorme, le procédé n'est pas nouveau. "C’est ce que je faisais déjà à Auxerre, rappelle Guy Roux dans Le Figaro. On formait les joueurs comme Eric Cantona et Basile Boli ou on les recrutait ­jeunes, comme Lilian Laslandes. Puis on les vendait à 22, 23 ou 24 ans. Et avec l’argent, on achetait les biftecks pour les plus petits." 

Pour autant, toutes les prises ne sont pas forcément bonnes et un grand nombre de recrues ne parviennent pas à percer. Mais au final, ces échecs, listés par So Foot, sont vite éclipsés par les sommes folles récupérées avec la vente des pépites. 

Jardim à la baguette

Recruter c'est bien, mais sans bonifier, ça craint. Si l'ASM s'appuie dans un premier temps sur la formation française, en allant chercher chez ses voisins des joueurs comme Tiémoué Bakayoko (Rennes), Benjamin Mendy (Marseille), Thomas Lemar (Caen) et Djibril Sidibé (Lille), elle a depuis longtemps misé sur son centre de formation. Une structure qui a fait ses preuves et qui a vu éclore certains des plus grands champions français comme Emmanuel Petit, Thierry Henry, David Trezeguet ou encore Lilian Thuram. Résultat, l’effectif du club monégasque, avec ses 25,2 ans de moyenne, était la saison passée le deuxième plus jeune de la Ligue des champions, derrière le Bayer Leverkusen. Et comptait surtout, d'après une étude de l’observatoire du football CIES, le plus de joueurs formés au club, derrière le FC Barcelone et le Real Madrid.

Puis arrive Leonardo Jardim, l'entraîneur intello du Rocher. Marié à une psychologue, ce Portugais de 42 ans est un meneur d’hommes.

Leonardo Jardim pose avec la mascotte du Sporting Clube, lors d'un match amical contre l'AS Monaco, le 22 juillet 2017 à Lisbonne (Portugal).  (DPI / NURPHOTO / AFP)

A l’écoute de ses joueurs, il cherche à les mettre dans les meilleures dispositions pour jouer et les préparer à prendre la relève de ceux, plus âgés, qui seront vendus. "Nous essayons de consolider progressivement ces enfants pour être préparés dans le cas où d'autres partent", explique le coach au site anglais FourFourTwo. Et pas question pour lui de transformer ses joueurs en leur imposant des séances de musculation ou en multipliant les tours de terrain. Lui préfère la "méthode écologique" "Cela ne m'intéresse pas d'avoir un athlète qui est très explosif, mais qui tue ses qualités en pensant qu'il est également important qu'il devienne musclé et fort. Cela peut tuer le système d'un joueur, et aussi le système de l'équipe. C'est la même chose que de vouloir changer le pH d'une rivière – vous pouvez finir par éliminer tout un écosystème." 

Mais pour qu'écosystème il y ait, encore faut-il ne pas changer l'eau tous les ans. En mai dernier, le vice-président du club se targuait dans un entretien à CNN (en anglais) de ne pas avoir besoin de vendre de joueurs. Surtout pas son prodige Mbappé : le conserver était alors une "priorité". "Que certains joueurs partent, ça fait partie de notre modèle, mais nous sommes beaucoup plus forts économiquement qu'il y a deux ans", expliquait alors Vadim Vasilyev. Pourtant, trois mois plus tard, l'appât du gain a déjà largement amputé l'effectif.

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