"Et le tueur de lapins, tu l'as trouvé ?" : dans les Côtes-d'Armor, les autorités sur la piste d'un insaisissable "serial killer"
Une centaine de lapins ont été abattus en dix mois dans la commune de Minihy-Tréguier et quelques villages voisins.
Sur consigne des gendarmes, Eugène et Marie-Françoise L'Hévéder notent scrupuleusement les plaques d'immatriculation de toutes les voitures qui passent au pas devant chez eux, y compris celles de visiteurs annoncés. Des pancartes "propriété privée" viennent d'être installées pour marquer l'entrée de leur terrain. Depuis leur véranda, ce couple de retraités scrute la petite route de campagne qui mène à leur maison à Minihy-Tréguier, dans les Côtes-d'Armor. Depuis que leurs 20 lapins ont été tués dans de mystérieuses circonstances ces dix derniers mois, ils ne sont plus tranquilles.
Dans le Trégor, les morts mystérieuses de lapins s'accumulent : depuis mars, 62 lapins ont été tués à Minihy-Tréguier, commune de 1 200 habitants, et 60 autres dans cinq villages voisins. Après près de deux mois de répit, sept nouveaux cadavres ont encore été retrouvés à Minihy-Tréguier à la mi-décembre, ravivant le spectre d'un "tueur en série de lapins". L'enquête ouverte n'a pas encore porté ses fruits : elle n'a donné aucune certitude aux gendarmes, et aucune tranquillité d'esprit aux habitants.
Les cadavres des lapins laissés sur place
Tout commence en mars dernier, lorsque Eugène L'Hévéder voit deux de ses lapins morts à côté de leurs clapiers. En mai, il retrouve trois lapins morts. Début septembre, c'est cette fois une lapine et ses neufs petits qu'il découvre tués, disséminés aux alentours de sa propriété. "J'en ai trouvé devant le clapier, dans un hangar voisin appartenant à un agriculteur et sur la route devant chez moi", détaille-t-il.
Au début, le couple de retraités suspecte un animal. C'est un appel, début octobre, qui les pousse finalement à porter plainte : l'homme qui leur a vendu ses lapins souhaite savoir si leurs animaux vont bien, car plusieurs de ses clients ont subi des pertes inexpliquées. Une dizaine de jours plus tard, le tueur sévit à nouveau chez les L'Hévéder, et cette fois en pleine journée, entre 9 heures et 11 heures, lorsque les retraités sont partis faire leurs courses. A leur retour, Eugène et Marie-Françoise trouvent leurs cinq derniers lapins morts, étendus par terre.
Les gendarmes des Côtes-d'Armor publient alors un appel à témoins sur les réseaux sociaux. "Depuis la fin du mois d'août, un individu s'introduit dans des propriétés privées du secteur de Minihy-Tréguier dans lesquelles sont installés des clapiers. Les cages sont ouvertes, puis les animaux sont froidement tués et laissés sur place. La gendarmerie a ouvert une enquête judiciaire", explique le message.
"A chaque fois, le mode opératoire est le même", explique à franceinfo Jean-Yves Fenvarc'h, le maire de Minihy-Tréguier. "Quand on les observe, on s'aperçoit qu'ils ne saignent pas, ils n'ont pas de blessure."
Ils sont allongés morts. Ni mangés, ni saignés, ni triturés, juste posés, alignés par terre.
Jean-Yves Fenvarc'h, maire de Minihy-Tréguierà franceinfo
"Il n'y avait pas de traces de sang, rien du tout", se souvient aussi Jean-Yves Bénech. Il a retrouvé début octobre onze de ses lapins morts, étalés par terre devant leurs clapiers, alors qu'il allait leur donner à manger avant de partir au travail. Cet homme à la carrure solide est secoué de larmes quand il parle de ses "bestioles qui donnent le sourire".
"Il y a toujours un peu d'émotion qui traîne", s'excuse-t-il en évoquant ses deux lapines mortes alors qu'elles devaient avoir des petits quelques jours plus tard. Il a depuis installé un grillage autour de ses clapiers, pour protéger les lapins qui ont survécu au "massacre". Il avait bien pensé à installer les lapins survivants dans une chambre à l'intérieur de sa maison, pour les protéger, mais "madame a dit non". Alors, chaque matin, quand, armé de sa lampe torche, il traverse son jardin pour aller nourrir ses lapins, il est sur ses gardes.
Une "psychose permanente"
"Quand les gens viennent me voir en mairie ou que je les croise en campagne, on ne parle pas de météo. - 'Et le tueur de lapins, tu l'as trouvé ? - Non, toujours pas'", se désole Jean-Yves Fenvarc'h, maire de Minihy-Tréguier. "La psychose, aujourd'hui, est permanente et elle s'amplifie", affirme-t-il. Lui-même a consulté ses listes d'habitants, à la recherche d'un profil suspect. Mais "il n'y en a aucun qui pourrait être un serial killer", affirme-t-il.
Les conversations dans le village sont nourries par les multiples articles parus dans la presse locale, Ouest-France, Le Télégramme ou Le Trégor. "C'est sûr que si c'est titré sur les lapins, ça fait vendre", remarque le vendeur de journaux de la Maison de la presse de Tréguier.
Les médias nationaux s'intéressent aussi à l'affaire. Une criminologue et correspondante scientifique auprès de la gendarmerie nationale, Sylvia Bréger, interrogée sur M6, a même évoqué un risque d'escalade criminelle sur des humains : "A un moment donné, il est possible que cela ne suffise plus. Il peut alors s'en prendre à des humains : des enfants, des femmes, des hommes", abonde-t-elle dans Le Télégramme.
Après la diffusion de ce reportage, le maire de Minihy-Tréguier, en vacances en Espagne, a reçu des dizaines de SMS inquiets. "C'était le truc qu'il ne fallait pas dire", regrette-t-il. "Tout le monde y pense, mais personne ne veut l'entendre". Résultat, certains habitants craignent pour leur sécurité. "On n'est pas tranquilles, heureusement que j'ai mon chien", confie à franceinfo Monique, habitante de Minihy-Tréguier. "Ma mère, qui a 88 ans et vit seule, s'enferme à double tour au moindre bruit", poursuit-elle.
L'inquiétude est encore plus forte chez les habitants qui ont déjà perdu des lapins. "Arrivé à un certain âge, on commence à avoir peur, raconte Eugène L'Hévéder, qui va sur ses 81 ans. Je n'ai plus la réactivité de mes 50 ans, encore moins de mes 20 ans". Après avoir subi les visites du tueur de lapins à quatre reprises, il ferme systématiquement sa véranda et son portail à clé, ce qu'il ne faisait jamais avant. Jean-Yves Bénech, lui, ferme tous ses volets la nuit et a perdu l'habitude d'oublier ses clés de maison dans sa voiture.
Plusieurs victimes sont convaincues d'une intervention humaine. Albert Le Goff assure avoir vu la silhouette d'un homme détalant de sa propriété. "Je sortais mon petit chien de chasse avant d'aller me coucher. Avec les lumières du rond-point qui éclairent ma cour, j'ai vu une ombre passer au-dessus de ma barrière. Cela ne fait aucun doute que c'était une figure humaine", assure-t-il à franceinfo. Après cette curieuse rencontre, Albert Le Goff s'est précipité vers ses clapiers. Il y a trouvé quatre de ses lapins morts, leurs corps encore chauds.
"Les gens ont peur, se méfient énormément. Ils vivent reclus et craignent de rencontrer un personnage dans leur jardin", explique le maire de Minihy-Tréguier. "Certains m'ont même dit que s'ils voient quelqu'un sur leur propriété, ils n'hésiteront pas à tirer dessus [...] Il est temps, grand temps que cette enquête aboutisse."
Les gendarmes sur la piste d'un carnivore
Muets jusque-là, les enquêteurs se sont adressés à la presse locale, le 18 décembre, et ont déclaré que "les examens et l'autopsie pratiqués sur les lapins découverts morts ce week-end font ressortir que les lésions observées sont dues à des morsures par carnivore". Cela concerne les sept derniers lapins trouvés morts à Minihy-Tréguier. "C'est la toute première fois que l'on s'exprime publiquement sur cette affaire", souligne à franceinfo le major Dominique Flury, chef des gendarmes de Tréguier.
Le tueur en série serait-il donc un chien ? "Moi ça ne m'étonnerait pas, il y a beaucoup de chiens de chasse errants ici et ils sont plus intelligents qu'on ne le pense", note Bernard, un habitant de la commune voisine de Plougrescant. Mais dans le Trégor, cette déclaration des gendarmes sème le trouble et provoque un certain agacement. "On se moque de nous", estime Florence, une habitante de La Roche-Derrien, où le tueur a aussi frappé. Pour Jean-Yves Bénech non plus, l'hypothèse d'un chien qui aurait réussi à ouvrir ses clapiers ne tient pas debout. Comment aurait-il pu retirer les loquets ?
"Un ou des chiens sont parfaitement capables d'ouvrir seuls des clapiers et d'en extraire les lapins pour les tuer", écrit cependant à franceinfo le vétérinaire François Boulange, dont la clinique de Tréguier a été sollicitée à deux reprises pour réaliser des autopsies sur des cadavres de lapins. "Deux vétérinaires de la structure ont réalisé ces autopsies et, sans se concerter, ont conclu dans tous les cas à des morsures de chien", affirme le vétérinaire. François Boulange ajoute que "le fait d'abandonner les cadavres sur place est classique lorsque des chiens tuent plusieurs animaux".
Les vétérinaires sont affirmatifs et n'ont aucun doute sur la responsabilité de chiens errants.
François Boulange, vétérinaireà franceinfo
Pour en avoir le cœur net, les gendarmes ont installé chez un propriétaire qui a racheté des lapins une cage à côté des clapiers pour appâter et attraper tout chien tueur. Pour l'instant, la cage est restée vide. Pour autant, les enquêteurs n'excluent pas encore la piste d'une intervention humaine dans ces tueries. Ils ont demandé à tous les propriétaires de lapins du secteur de "renforcer le système de fermeture de leurs clapiers pour écarter ou affirmer une action humaine".
Le tueur, qu'il soit bipède ou quadripède, reste une ombre insaisissable qui rappelle une histoire similaire de lapins tués, vieille de 20 ans et qui s'est déroulée à 200 km de là, dans la commune de Férel (Morbihan). "Chez nous, cela s'est passé entre avril et octobre 1996. Il est venu trois fois et a tué une trentaine de lapins en tout [...]. On les a trouvés alignés devant les clapiers, du plus petit au plus grand", confie Chantal Bello, une victime de l'époque, au Télégramme. La gendarmerie de La Roche-Bernard, qui avait longuement enquêté sur cette affaire, n'est jamais parvenue à percer ce mystère.
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