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Scandale de l'abattoir d'Alès : "Avec la cadence, on s'habitue à la maltraitance animale"

Selon un ancien responsable qualité d'une société d'abattage et de découpe de viandes, le cas de cet abattoir du Gard, fermé provisoirement mercredi après la diffusion d'images choquantes, est loin d'être isolé. 

Article rédigé par Vincent Daniel - propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
L'abattoir d'Alès (Gard), le 14 octobre 2015. (MAXPPP)

Après la diffusion d'une vidéo sur les conditions d'abattage des animaux, l'abattoir d'Alès (Gard) a été fermé "à titre conservatoire", mercredi 14 octobre. Sur les images, publiées par l'association de défense des animaux L214, on découvre les terribles conditions dans lesquelles sont tués cochons, vaches, chevaux ou encore moutons : des chevaux encore conscients au moment de la saignée, des vaches accrochées la tête en bas en train de se débattre avant de se vider de leur sang, des bêtes "maculées de matière fécale"...

Pour Pierre Hinard, responsable qualité d'une société d'abattage et de découpe de viandes, Castel Viandes, de 2006 à 2008, le cas d'Alès est "récurrent". Il est l'auteur d'Omerta sur la viande (Ed. Grasset, 2014). 

Francetv info : Etes-vous surpris par la vidéo de l'abattoir d'Alès ?

Pierre Hinard : Absolument pas. Dans les abattoirs, la souffrance animale est un non-sujet. Quand j'étais directeur qualité, cela a été mon premier combat. Car j'avais passé ma vie à développer la qualité de filières biologiques et durables. Dans ces filières, on se soucie d'abord du bien-être animal. Cette notion n'est pas prise au sérieux dans les filières traditionnelles. Dès mes premières heures de travail chez Castel Viande, j'ai été choqué car les salariés s'étaient habitués à la maltraitance.

Le patron peut régler la vitesse de toute la chaîne d'abattage puisque c'est vraiment une chaîne qui avance où terminent les carcasses suspendues. On ne fait pas les mêmes gestes quand on traite 30 ou 40 bêtes par heure. Quand le patron tourne le curseur pour faire 40 bêtes, il faut tout faire beaucoup plus vite. Cette pression fait qu'on s'habitue à ce que les gestes soient mal faits, que l'animal ne soit pas étourdi avec efficacité, avant d'être saigné suspendu par la patte au rail. C'est comme ça que l'on peut voir, comme à Alès, des animaux encore sensibles qui se débattent, suspendus à la chaîne... Je l'ai vu.

Comment les salariés des abattoirs peuvent-ils accepter de telles pratiques ?

Ce ne sont pas de mauvaises personnes. Ils étaient tout simplement assommés de boulot et n'avaient même plus conscience qu'ils avaient affaire à des êtres sensibles. Dans l'abattoir où je travaillais, les bêtes étaient assommées. Mais plus de 60% des animaux étaient encore conscients après cet étourdissement. Les salariés avaient pris l'habitude de vivre dans un univers violent. C'est le résultat de la pression de la rentabilité et de la cadence de la chaîne.

Selon vous, le cas d'Alès est-il rare ?

Non seulement, ce n'est pas rare, mais cela se développe. Avec la progression de l'abattage rituel, halal ou casher, c'est quelque chose qui se généralise. Non pas parce qu'il y a une augmentation de consommation de ce type de viande, mais parce que les industriels ont compris que cela pouvait leur permettre de faire des économies d'échelle importantes.

Pour le halal et le casher, il faut se passer de l'étape de l'étourdissement puisqu'il faut sacrifier les bêtes, c'est-à-dire les égorger directement. Les industriels utilisent ensuite généralement des morceaux de l'avant de l'animal, des pièces qui ont moins de valeur marchande. Ils récupèrent donc, au passage, les arrières, des pièces nobles, en se passant de l'étape de "l'assommage", ce qui représente un gain de temps, et donc une économie.

Par ailleurs, normalement, lorsque l'on fait de l'abattage rituel puis de l'abattage conventionnel, il faut arrêter toute la chaîne et nettoyer car les consommateurs de halal et de casher ne souhaitent pas qu'il y ait de contacts avec de la viande abattue de façon conventionnelle. Ce qui n'est pas fait. On trompe les bouchers, les consommateurs et on revient au Moyen-Age.

Saigner et suspendre des animaux qui n'ont pas été assommés, c'est purement et simplement interdit. Il y a seulement une dérogation spécifique et exceptionnelle pour l'abattage rituel, mais elle est totalement détournée. Plus rien n'arrête l'intérêt commercial. Pas même la souffrance animale ou la recherche du bien-être. 

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