Vrai ou faux N'utilise-t-on vraiment que 10% des capacités de notre cerveau ?

Article rédigé par Léa Deseille
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
L'idée reçue selon laquelle l'être humain n'utiliserait que 10% de ses capacités cérébrales est un "neuromythe", une croyance erronée au sujet du cerveau. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)
Cette idée reçue, selon laquelle le cerveau humain serait sous-exploité, trouve depuis des années un certain écho auprès du grand public et dans la culture populaire. Mais elle ne repose sur aucune base scientifique.

Nous n'utiliserions que 10% de notre cerveau... c'est le slogan d'une publicité pour une célèbre enseigne de supermarchés. Avec ce petit dixième, l'être humain aurait maîtrisé le feu et l'électricité, inventé la locomotive et l'intelligence artificielle... Dix pour cent déjà bien employés, donc. "C'est une grosse fake news", assure Christophe Rodo, neuroscientifique et vulgarisateur. L'auteur du podcast "La Tête dans le cerveau" y voit "l'une des plus vieilles théories liées à la santé". Cette idée reçue, qui fait désormais partie de la culture populaire, ne repose en réalité sur aucune base scientifique.

Cette thèse s'est nourrie d'interprétations erronées ou exagérées de véritables études, précise Christophe Rodo. La technique a depuis longtemps permis aux scientifiques d'observer que l'humain utilise bien la totalité de son cerveau. "C'est prouvé depuis des années via les techniques d'imagerie cérébrale, les électrodes, les techniques magnétiques", souligne Catherine Del Negro, chercheuse en neurosciences à l'université Paris-Saclay. Ces méthodes permettent de voir que chaque cellule de notre cerveau est utilisée, même si toutes les zones de celui-ci ne sont pas actives au même moment. 

Un "neuromythe" à la vie dure

Certaines régions du cerveau sont en effet sollicitées pendant des activités précises, expose le Muséum national d'histoire naturelle. "Certaines zones sont dédiées à la parole, la lecture, l'écriture", liste Catherine Del Negro. "Si toutes les zones du cerveau étaient stimulées en même temps, cela provoquerait une crise d'épilepsie totale", relève la chercheuse. Aucune étude sur cette géographie du cerveau n'évoque cependant l'idée d'un seuil maximum de 10%. Et le fait que certaines zones soient plus actives ne veut pas dire qu'elles sont les seules à être utilisées.

"Lors de ces activités, le reste du cerveau n'est pas éteint pour autant, il est toujours possible de capter de l'activité cérébrale dans ces zones."

Catherine Del Negro, chercheuse

à franceinfo

Autre piste d'explication de la théorie : les cellules gliales. Elles soutiennent, protègent et isolent les neurones. Ces dernières ont longtemps été considérées comme inactives. D'où la théorie selon laquelle une grande partie de notre cerveau est inutilisée ? Une étude publiée dans la revue scientifique Médecine/sciences en janvier 2021 vient contredire cette idée. Elles sont "l'un des éléments majeurs du système nerveux central" dévoilent les auteurs. Les considérer comme une partie inactive du cerveau est par conséquent incorrect.

L'étude des patients qui présentent des lésions cérébrales est un autre moyen de dissiper le mythe. "Lorsqu'une personne a subi un AVC, il arrive souvent qu'elle ait des lésions cérébrales avec des séquelles physiques, par exemple une incidence sur la parole, la vue", remarque Christophe Roto.

"Des milliers d'études sur des personnes avec des lésions cérébrales ont démontré qu'aucune zone du cerveau n'était inutile."

Christophe Rodo, neuroscientifique

à franceinfo

Cette idée selon laquelle nous n'utiliserions que 10% de nos capacités cognitives constitue ainsi ce qu'on appelle un "neuromythe", une croyance erronée au sujet du cerveau humain. Sa source est ancienne et il est difficile de retrouver son origine exacte. "Certains l'associent à Albert Einstein, d'autres à William James, l'un des pères fondateurs de la psychologie", constate Christophe Rodo. Mais on a beau chercher dans les écrits des deux hommes, on ne trouve aucune trace de cette théorie. Pour Catherine Del Negro, elle pourrait trouver son origine dans les lobotomies frontales pratiquées dans les années 1950. "Les patients à qui l'on avait effectué cette opération n'avaient aucune lésion au premier abord, c'est pourquoi certains ont cru qu'une large partie du cerveau était inutile", raconte-t-elle. "Pourtant, les patients avaient bien des séquelles, concernant l'aspect social notamment."

Une théorie entrée dans la pop culture

Même si elle est fausse, cette idée est entrée dans la culture populaire et elle est largement diffusée et amplifiée par des films comme Lucy de Luc Besson. Cette théorie reste vague et avec les années plusieurs variantes se sont développées : Christophe Rodo en distingue trois. Certains pensent que l'humain n'utilise que 10% de nos cellules cérébrales et que les 90% restants seraient inactifs. D'autres, que nous ne pouvons utiliser que 10% de notre cerveau en même temps. La troisième version, la plus mystique, postule que nous utilisons toutes les zones de notre cerveau, mais seulement 10% de son potentiel et qu'en réalité, notre organe cérébral serait capable de bien plus. C'est cette idée qui est reprise dans le film LucyNous nous transformerions alors en super-héros, capables de déplacer des objets par la pensée, parler plusieurs langues sans même les apprendre, avoir tout le savoir du monde à notre portée... Cette connaissance illimitée nous serait inaccessible à cause d'une barrière mentale. 

"Il est facile de considérer le cerveau comme une bibliothèque dans laquelle on accumule des informations, en créant de nouvelles connexions neuronales", et donc d'imaginer pouvoir le remplir le plus possible, jusqu'à repousser des limites, convient Catherine Del Negro. "Ce n'est pas de cette manière que le cerveau fonctionne. Il se transforme au fil de la vie, mais il est toujours entièrement utilisé", balaye-t-elle.

"Cette théorie est une caricature du cerveau, qui est un organe très complexe."

Catherine Del Negro, chercheuse

à franceinfo

La popularité de cette thèse est sans doute due à l'idéal qu'elle fait miroiter. "Les 'neuromythes' promettent quelque chose d'enviable : que l'on peut devenir meilleur", explique Christophe Rodo. "Un 'neuromythe', c'est comme un bon horoscope, ça doit être assez flou dans sa formulation pour que chacun puisse lui donner une interprétation qui lui convienne." Alors, une chose est sûre : vous pouvez continuer à développer vos connaissances, mais vous ne deviendrez pas un super-héros pour autant... Vous utilisez déjà 100% de votre cerveau. 

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