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Violences conjugales : comment fonctionne le bracelet anti-rapprochement, expérimenté en France à partir de demain ?

Ce dispositif, déployé à partir de ce vendredi 25 septembre, ressemble à un bracelet électronique. Il permet de géolocaliser les conjoints ou ex-conjoints violents et déclenche un système d'alerte lorsque ces derniers s'approchent de leur victime.

Article rédigé par franceinfo
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Un bracelet anti-rapprochement, le 1er février 2010, à Paris. (JOEL SAGET / AFP)

Un bracelet électronique pour tenir éloignés les conjoints ou ex-conjoints violents. Le bracelet anti-rapprochement pourra désormais être officiellement ordonné dans cinq juridictions à partir du vendredi 25 septembre, après plusieurs mois d'atermoiements. Réclamé depuis des années, il a notamment fait ses preuves en Espagne. Le bracelet anti-rapprochement était l'une des mesures phares annoncées lors du Grenelle contre les violences conjugales, à l'automne 2019. Près d'un an plus tard, le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, a détaillé le dispositif, jeudi 24 septembre, au tribunal judiciaire de Pontoise (Val-d'Oise).

Comment fonctionne le bracelet anti-rapprochement ?

Ce dispositif fonctionne à l'aide d'une technologie GPS qui permet de géolocaliser les conjoints ou les ex-conjoints violents et de déclencher un système d'alerte lorsque ces derniers s'approchent de leur victime. "Une communication est établie entre le système d'information et chacun des appareils déployés, via le réseau privé et sécurisé interne à la justice. Il n'y a pas d'accès à internet", précisait le 31 août à France Inter Isabelle Rome, haute-fonctionnaire à l'égalité entre les femmes et les hommes au ministère de la Justice. Chaque appareil est doté d'une batterie, dont l'autonomie est de 48 heures et que l'auteur est tenu de charger. "À défaut, il se met en infraction", assure Isabelle Rome.

Ce bracelet noir pourra être ordonné sur décision d'un juge, à la fois dans le cadre d'une procédure pénale, pour accompagner un contrôle judiciaire, et en tant que condamnation. Mais aussi – et c'est là la nouveauté – en procédure civile, par un juge aux affaires familiales, dans le cadre d'une ordonnance de protection d'une femme qui dénonce des violences et que l'on estime en danger.

Dans ce cas, il faudra alors demander l'accord au conjoint avant la pose du bracelet. S'il refuse, le juge pourra saisir le parquet pour qu'il ouvre une enquête pénale. La victime recevra, de son côté, un boîtier qu'elle devra toujours avoir sur elle. Émetteur et récepteur seront ensuite géolocalisés et l'auteur de violences devra respecter une "distance d'alerte" définie par le juge. S'il entre dans le périmètre interdit, il sera immédiatement contacté par la plateforme de télé-assistance qui gère 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 le dispositif. S'il ne répond pas ou ne rebrousse pas chemin, les forces de l'ordre seront alertées.

Où va-t-il être déployé ?

Environ 1 000 bracelets sont d'ores et déjà disponibles, selon le ministère de la Justice. Mais ils ne devraient être délivrés que très progressivement, au cas par cas dans des dossiers de violences conjugales. Il sera accessible dans cinq premières juridictions : Angoulême (Charente), Bobigny (Seine-Saint-Denis), Douai (Nord), Pontoise (Val-d'Oise) et Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Puis il sera généralisé à l'ensemble du territoire au 31 décembre, selon le ministère de la Justice.

En revanche, "le nombre de bracelets délivrés dépendra des décisions rendues par les juges et des situations de violences conjugales qu'ils auront à examiner dans ce cadre", souligne Isabelle Rome. En novembre, "ce sera au tour d'un site par ressort de cour d'appel de pouvoir le faire (excepté sur certains territoires ultra-marins nécessitant des tests complémentaires)", ajoute la haute-fonctionnaire à France Inter.

A-t-il fait ses preuves à l'étranger ?

L'Espagne, modèle européen en matière de protection des femmes victimes de violences conjugales, utilise depuis 2009 cet outil de géolocalisation. Le bracelet transmet sa position en temps réel à un boîtier en possession de la victime et aux forces de l'ordre. Cet outil anti-récidive part du constat que "ces crimes et délits se produisent par séries" avec "une progression de la gravité" des agressions, explique à l'AFP Marisa Soleto, directrice de la Fondation Mujeres, l'une des principales organisations féministes du pays.

Jusqu'ici, aucun féminicide n'a été commis par un homme ainsi surveillé électroniquement en Espagne. "Cela a permis de freiner des tentatives d'homicides d'agresseurs qui avaient outrepassé la zone d'exclusion (...) et ces franchissements ont été rares", a conclu la criminologue Lorea Arenas García dans une étude publiée en 2016. Plus de 8 000 de ces bracelets ont été utilisés depuis 2009 en Espagne, dont 2 000 sont actifs actuellement, d'après les données du ministère de l'Égalité actualisées fin août.

Pourtant, malgré son efficacité, les organisations féministes soulignent les limites de cette technologie. "C'est une mesure partielle", qui concerne seulement "quelques cas suffisamment graves pour qu'il faille protéger la victime mais pas graves au point de devoir placer l'agresseur en prison", nuance Marisa Soleto. Ces bracelets anti-rapprochement ne représentent ainsi que 4% des ordonnances de protections policières pour les violences faites aux femmes et moins de 1% de leurs plaintes déposées en 2019.

En France, comment la mesure est-elle accueillie ?

Depuis plusieurs années déjà, la présidente du tribunal de Pontoise, Gwenola Joly-Coz, et le procureur Eric Corbaux réclamaient, sans succès, d'expérimenter ce dispositif. En avril 2019, tous deux avaient pris publiquement la parole pour réclamer au gouvernement un "changement de réponse" face à ces dizaines de femmes tuées par leur conjoint, un phénomène "que la France n'arrive pas à enrayer". "Notre parole a eu un poids", a réagi auprès de l'AFP Gwenola Joly-Coz. Elle est aux côtés du garde des Sceaux ce jeudi, puisque Eric Dupond-Moretti se déplace dans son tribunal pour lancer le dispositif.

"C'est une bonne mesure, qui a fait ses preuves et répond à un besoin identifié : celui de protéger les femmes, les sécuriser. Mais ça fait un an qu'on l'attend, il y a urgence", ajoute de son côté Floriane Volt, de la Fondation des femmes. Pour elle, il faudra être "vigilant" sur sa mise en place car "si ces juridictions ne s'en saisissent pas et les laissent dans un placard, ça ne marchera pas".

"C'est une promesse tenue de notre gouvernement qui se concrétise en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes", se félicite pour sa part Elisabeth Moreno, la ministre déléguée auprès du Premier ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances.

Ce n'est pas l'avis d'Aurélien Pradié, à l'origine de la loi. Très critique envers le gouvernement pour sa "lenteur", le député LR regrette qu'il n'y ait que "1 000 bracelets disponibles". "Nous avons voté une loi pour généraliser ce bracelet et on a une expérimentation dans cinq juridictions, soit 2% du territoire", déplore-t-il auprès de l'AFP.

"Il faut se réjouir de la mise en place de ce dispositif mais ne pas oublier l'accompagnement des victimes bénéficiaires de cette protection", rappelle, dans un communiqué consulté par franceinfo, la Fédération France victimes. Cette fédération accompagne déjà des victimes dans le cadre du dispositif Téléphone grave danger (TGD).

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