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Tribune Non, la photographie amateur n'est pas "un filon commercial"

Des marques achètent des photos à des amateurs talentueux... Mais les rémunèrent-elles vraiment à leur juste prix ? Le point de vue d'Erwan Balanant, photographe et réalisateur.

Article rédigé par franceinfo - Erwan Balanant
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Une femme prend une photo avec son smartphone, à New York, le 11 juin 2013.  (SHANNON STAPLETON / REUTERS / X90052)

Erwan Balanant est photographe et réalisateur. Il s'exprime ici librement.

Je suis photographe, et je suis en colère. Ce qui m'a mis en colère ? Un sujet diffusé sur francetv info, lundi 2 mars, sur les relations entre les marques et les photographes amateurs. Une mise au point d'emblée : il n’est pas question pour moi d’opposer la photographie amateur à la photographie dite "professionnelle". Les contours artistiques qui bordent ces deux univers sont devenus aujourd'hui bien trop flous et participent d'ailleurs à la richesse du média photographique.

Nous connaissons tous des photographes amateurs produisant de magnifiques clichés qui n'ont parfois rien à envier au travail des professionnels. Et nous connaissons aussi des artistes photographes brillants s'exprimant avec leur téléphone portable.

Ne pas opposer les amateurs et les photographes

Oui, de belles photographies peuvent être réalisées avec un simple téléphone portable. Oui, des sessions photos peuvent être ratées avec un appareil moyen format à plusieurs milliers d’euros. Que des amateurs puissent médiatiser leur travail et le valoriser, c’est également une très bonne nouvelle. Les nouveaux outils issus d’internet et les médias sociaux offrent à la diffusion des images des champs nouveaux infinis permettant l’expression du plus grand nombre. C’est une bonne nouvelle pour la photographie et pour tous les photographes. Et tant mieux si Instagram a avantageusement remplacé les longues soirées diapositives et stimulé l'innovation dans tout l'univers de la création d'images.

Ce qui me dérange profondément, ce n'est pas la photographie amateur. C'est le fait qu'on valorise l'idée que ce "passe-temps" devienne un "filon commercial". Que des amateurs deviennent des pros, pourquoi pas ?  Bienvenu dans le monde 2.0 et cela serait une très bonne nouvelle... si les blogueurs en question étaient rémunérés au juste prix. Mais ce n'est pas le cas : ils sont payés en cadeaux. En cadeaux... Cette pratique n'est pas éthique et elle déséquilibre les rapports entre prestataires et clients. Elle participe à une culture du gratuit (ou du faussement gratuit) terriblement destructrice pour une économie et une profession déjà fragilisées.

Qu'il soit professionnel ou amateur, le photographe rémunéré doit l'être dans le cadre d'un contrat éclairé entre deux partenaires commerciaux. La production de contenu gratuit conduit irrémédiablement, sur le long terme, à un appauvrissement des contenus. Laisser en suspens la question autorise à penser le téléspectateur que tout est normal dans cette situation : "Chéri ! Viens, on va publier les photos du week-end pour pouvoir partir en vacances, il y aura notre nom sur la photo et on va devenir célèbre !"

Les photographes amateurs se font arnaquer

Non, ce n'est pas valorisant d'avoir son nom au bas d'une photographie. C'est juste la loi sur la propriété intellectuelle ! Le véritable nom de cet "échange", c'est une arnaque. Deux "photographes amateurs" se font arnaquer par des marques qui ne leur payent pas leur production au prix du marché, parce que ces amateurs méconnaissent leurs droits et les prix du marché. Si on leur proposait d'acheter une photo à 200 euros, je doute qu'ils préférent être rémunérés par des goodies ou leur nom en bas de la photo...

Il est plus que temps de reconnaître la valeur ajoutée de la création photographique, de construire une confiance et un rapport équitable entre les acheteurs et les producteurs de contenus. Permettre aux photographes et à tous les créateurs d'exprimer une diversité créative, et par-delà en vivre décemment, c'est aussi une voie pour donner corps à la liberté d'expression.

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