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Trappes : "Seule la culture peut sauver la banlieue"

Alain Degois, créateur du Déclic Théâtre, une compagnie d'improvisation qui a formé Jamel Debbouze, analyse pour francetv info les violences survenues dans sa ville ce week-end. 

Article rédigé par Catherine Fournier - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Alain Degois, directeur de la compagnie d'improvisation de Trappes, Declic Theatre, et Jamel Debbouze, au Jamel Comédie Club à Paris, le 31 janvier 2013.  (DESSONS /JDD / SIPA)

Jamel Debbouze, Sophia Aram, Arnaud Tsamere… c'est lui. Alain Degois, alias "Papy", a créé voici vingt ans à Trappes (Yvelines) le Déclic Théâtre, une compagnie d'improvisation. Depuis, l'auteur de Made in Trappes (Kero, 2013) a repéré et formé les talents de la ville, devenus des humoristes incontournables. Il revient pour francetv info sur les violences survenues dans le quartier des Merisiers ce week-end, après le contrôle d'identité d'une femme intégralement voilée, jeudi 18 juillet.  

Francetv info : Pourquoi ce contrôle d'identité a-t-il suffi à mettre le feu aux poudres, selon vous ? 

Alain Degois : C'est une étincelle. On est en plein ramadan, il fait chaud, les jeunes sont plus vite énervés. Mais les facteurs sont multiples, bien sûr. Cela va de l'échec scolaire aux associations pas assez soutenues, en passant par la condition des femmes dans les quartiers. Trappes est une poudrière, comme toutes les banlieues.

Rien n'a changé depuis les émeutes de 2005 dans cette ville ?

On a refait le décor, c'est tout. A l'époque, on nous avait parlé de plan Marshall des banlieues. Il y a eu un travail de fait sur l'urbanisation, les habitants sont satisfaits. Mais il n'y a eu aucun travail de fond, en lien avec les associations, pour offrir autre chose que des immeubles refaits aux jeunes. Il est urgent de se mettre autour de la table pour parler des vrais problèmes.

Le climat d'islamophobie dénoncé par certains en fait-il partie?

Le discours actuel d'une certaine droite décomplexée constitue une violence verbale, mal vécue. Mais la question de la place du religieux dans la République doit être posée, à Trappes comme ailleurs. Moi, je suis un profond républicain, laïque et athée. Il y a une loi qui dit qu'on n'a pas le droit de se cacher le visage, il faut la respecter. D'autant que le port du voile intégral est une négation de la femme qui m'insupporte.

Après, il n'y a pas que des musulmans à Trappes, loin de là. La ville compte une importante communauté portugaise et plus de 90 nationalités différentes. Mais les gens modérés ne parlent pas aux médias, parce qu'ils en ont assez d'être stigmatisés.

Si l'urbanisme ne suffit pas, que préconisez-vous pour Trappes ?

La même chose qu'en 2005 : au lieu d'envoyer des CRS, il faut envoyer des brigades d'artistes ici et créer un pôle d'investigation culturelle. Seule la culture peut sauver la banlieue. Au lieu d'investir dans les stades de foot, on aurait pu mettre un peu d'argent dans des bibliothèques. 

L'économie et l'emploi ne sont-ils pas prioritaires ?

Cela fait vingt ans qu'on ne nous parle que de cela. Mais voyez, un Jamel Debbouze est bankable, plus que rentable. On peut créer une économie à partir des talents dans les banlieues. Mais les pouvoirs publics rechignent à investir. Le maire de la ville n'est jamais venu dans nos locaux, il habite juste en face. J'ai été fait Chevalier des arts et des lettres par la ministre de la Culture, mais ma compagnie n'est pas reconnue par le ministère. Il faut aller chercher les financements dans le privé.

Pourtant, il y en a des pépites à Trappes. Des artistes comme Sophia Aram ou Omar Sy marquent culturellement le pays. Et voilà, en une ou deux nuits, tout ce boulot est fichu. J'ai mal à ma ville.

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