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Pourquoi est-il impossible, en l'état, d'interdire les listes communautaires aux élections ?

Plusieurs personnalités politiques s'inquiètent de voir des listes communautaires présentées aux prochaines municipales, en mars 2020. Ils s’étonnent que la loi ne les interdise pas.

Article rédigé par Audrey Morellato
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Les professions de foi des listes en présence pour les élections européennes de mai 2019  (LAGAIN AURELIE / FRANCE BLEU BREIZH IZEL / RADIO FRANCE)

A quatre mois des élections municipales, la question des listes communautaires monte dans le débat politique. Le président de la région des Hauts-de-France Xavier Bertrand présente, mardi 12 novembre, au ministre de l'Intérieur ses pistes pour les interdire aux élections. Christophe Castaner reçoit également Bruno Retailleau. Le patron des sénateurs Les Républicains a mis la question de ces listes sur la table mi-septembre, demandant au gouvernement de prendre des dispositions pour les municipales de mars.

Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des Comptes publics s'en inquiétait dès le mois de juin, après les élections européennes : "Je pense qu'il faut que la République se défende", avait-il lancé. À l'époque, l'Union des démocrates musulmans français (UDMF) avait présenté une liste et ses scores préoccupaient Gérald Darmanin. L'UDMF prévoit de présenter d'autres listes aux prochaines élections municipales. L’entourage d’Édouard Philippe reconnaît même que "c’est un problème" et Matignon réfléchit à des mesures contre ces listes.

La Cellule Vrai du Faux vous explique pourquoi l’interdiction de ces listes n’est pas possible pour l’instant.

Parce qu’un élu n’est pas soumis à l’obligation de neutralité

Contrairement aux agents publics, soumis à un devoir de neutralité politique, philosophique ou religieuse, les élus (et donc les candidats) peuvent revendiquer ou manifester une appartenance à une religion. D’ailleurs, de nombreuses personnalités religieuses ont siégé comme parlementaires. Parmi elles, l'abbé Pierre, député de Meurthe-et-Moselle de 1945 à 1951 qui venait à l'Assemblée en soutane, et le chanoine Kir, député de la Côte-d'Or de 1945 à 1967.  

"Normalement, les candidats se présentent pour des convictions politiques avant de se présenter pour des convictions religieuses, explique Nicolas Cadène, rapporteur général de l'Observatoire de la laïcité auprès du Premier ministre, même s'ils ont le droit de les mettre en avant. Vous avez des partis qui mettent en avant un aspect confessionnel comme celui de Christine Boutin et Jean-Frédéric Poisson [le Parti chrétien démocrate]. Vous avez aussi des partis protestants évangéliques et puis vous avez, depuis plus récemment, des partis musulmans".

Cependant, il y a quand même des limites à cette liberté de manifester sa religion lorsqu’on est élu. "Quand l'élu exerce un service public, il doit être neutre, précise Nicolas Cadène. Par exemple, un maire est officier d'état-civil et lorsqu'il célèbre un mariage, sa fonction n'est plus politique mais publique. Et lorsque vous représentez une administration municipale, régionale ou départementale, vous représentez l'administration publique et vous devez être neutre."

Parce que la religion d’un candidat n’a "pas d’incidence sur la liberté de choix des électeurs"

Ce n’est pas la première fois que la question religieuse affichée par un candidat s’invite dans le débat public. Lors des élections régionales de 2010, le Nouveau parti anticapitaliste avait créé la polémique en présentant une femme voilée sur l’une de ses listes. Le Conseil d’État avait été saisi et avait confirmé la validité de sa candidature"Considérant que la circonstance qu'un candidat à une élection affiche son appartenance à une religion est sans incidence sur la liberté de choix des électeurs et ne met pas en cause l'indépendance des élus ; qu'aucune norme constitutionnelle, et notamment pas le principe de laïcité, n'impose que soit exclues du droit de se porter candidates à des élections des personnes qui entendraient, à l'occasion de cette candidature, faire état de leurs convictions religieuses" (…) annuler cette candidature sur le seul motif de son voile serait une discrimination envers la candidate puisque rien n'est illégal dans ses propositions, conclut le Conseil d'État.

La revendication d’une religion ne passe d’ailleurs pas uniquement par des signes visibles. Lors de la campagne pour la dernière élection présidentielle, en 2017, le candidat Les Républicains François Fillon avait lui aussi mis en avant sa religion catholique à de multiples reprises. Il lui avait notamment consacré tout un chapitre de son livre Faire, en 2015.  "Les électeurs votent en connaissance de cause", conclut Nicolas Cadène, rapporteur général de l'Observatoire de la laïcité auprès du Premier ministre.

Parce qu’ils sont soumis aux mêmes règles que les autres candidats

Une personne qui affiche sa religion et veut se porter candidate à une élection est donc soumise aux mêmes règles que n’importe quel autre citoyen. Cela veut aussi dire qu’elle doit respecter les mêmes limites à la liberté d’expression.

"Si la loi n'interdit pas en tant que tels les partis à caractère confessionnel, en revanche, elle fixe un cadre dans lequel peuvent s'exprimer les opinions, précise Nicolas Cadène. Du coup, il n'est évidemment pas possible pour ces partis d'inciter à la haine, de faire du négationnisme, de diffamer, d'appeler à une quelconque transgression de la loi." Ils tomberaient alors sous le coup de la loi et pourraient être poursuivis.

Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur, assurait sur France Inter le 7 octobre qu'il "n'existe pas de listes communautaires, personne ne se revendique ainsi". Et il ajoutait que "le fait d'avoir une religion ne vous empêche pas de faire de la politique, y compris à des élections municipales. Par contre, si dans le cadre de ces campagnes, il y a le moindre acte, la moindre parole qui met en cause les fondements de la République, je serai le premier à les interdire."

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