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"Pourquoi m'a-t-il choisi moi ?" : au procès Barbarin, le témoignage glaçant d'une victime du père Preynat

Christian Burdet, 53 ans, a ému le tribunal en racontant comment il avait gardé pendant près de quarante ans le secret des actes sexuels que lui avait fait subir le père Preynat.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Christian Burdet, à la sortie de l'audience, le 8 janvier 2019 au palais de justice de Lyon. (ILAN CARO / FRANCEINFO)

"Monsieur, aviez-vous prévu de venir répondre aux questions du tribunal aujourd'hui ?" Lorsqu'il se dirige d'un pas mal assuré face à la présidente, Christian Burdet semble ne pas savoir s'il est obligé ou non de venir témoigner. "J'ai pensé que c'était une éventualité", répond-il d'une voix retenue. Puis il se lance : "J'ai 53 ans, je suis entré aux scouts à Sainte-Foy-lès-Lyon en 1976. J'avais 11 ans." Sobrement vêtu d'un pull gris, il se souvient du premier jour, du visage du père Preynat, qui avait dit à sa mère : "Ne vous inquiétez pas, on va bien s'occuper de lui !"

Il est déjà 19 heures passées. Les mines sont fatiguées par cette éprouvante journée d'audience au procès du cardinal Barbarin, lors de laquelle ont défilé avant lui à la barre quatre prévenus et six victimes. Mais le témoignage de Christian Burdet, 53 ans, plonge la salle dans une gravité jamais atteinte depuis lundi. Même le cardinal Barbarin, le plus souvent voûté sur sa chaise pendant les autres témoignages, se retourne pour l'observer parler.

"Il m'a serré de plus en plus fort contre lui"

Christian Burdet, qui ressemble à Monsieur Tout-le-Monde, puise loin dans ses ressources pour raconter l'indicible. Au cours d'un camp organisé à l'automne 1977, "nous avions monté les tentes, et le père Preynat m'avait demandé de venir le voir quand je serais en pyjama", se remémore-t-il. L'enfant s'exécute. Le prêtre l'attire dans sa tente. "Il m'a serré contre lui", raconte Christian Burdet, qui a encore la mémoire de cette odeur "de cigare froid" que dégageait "la respiration haletante" de son bourreau.

"Il m'a serré de plus en plus fort contre lui, poursuit-il. Il m'a embrassé sur la bouche. Avec la langue. Je me demandais ce qu'il m'arrivait." Christian Burdet ânonne ses phrases. Il laisse passer de lourds silences entre chaque groupe de quatre ou cinq mots. Comme si au-delà, la douleur devenait trop insupportable. Le récit se poursuit : le pyjama baissé, les masturbations, les fellations... "Je ne connaissais rien de tout cela",témoigne-t-il, encore ébahi.

Je me suis dit : 'ce n'est pas possible, j'ai couché avec le curé'.

Christian Burdet

devant le tribunal correctionnel de Lyon

Pendant trois ans, les faits se sont reproduits. "C'est notre secret à tous les deux", lui glisse le père Preynat, qui lui fait jurer de ne rien dire. Un secret que Christian va enfouir au plus profond de lui même pendant près de quarante ans, jusqu'à ce que l'affaire Preynat éclate au grand jour. "Ma femme, confie-t-il au tribunal, ne l'a appris qu'en janvier 2016." En quarante ans, Christian Burdet a eu le temps de gamberger : "Depuis toujours je me pose des questions auxquelles je ne trouverai jamais de réponse. Pourquoi m'a-t-il choisi moi ?"

"Mes souffrances auraient pu être abrégées"

Si Christian a fini par parler, c'est parce que les enquêteurs sont remontés jusqu'à lui. Dans leurs bureaux, le capitaine de police lui révèle que le dossier du père Preynat, saisi lors d'une perquisition à l'évêché, comporte deux lettres, dont l'une écrite par sa mère. La missive, qui date de 1991, est adressée au cardinal Albert Decourtray. Elle lui reproche d'avoir mis à l'écart ce père Preynat devenu un intime de la famille. Un homme qui n'aurait jamais pu se rendre coupable de tels agissements.

Il avait son couvert à la maison. Il venait souvent, il faisait partie de la famille. Mon père lui donnait même des chèques.

Christian Burdet

devant le tribunal

Puis Christian se tourne vers le cardinal Barbarin et les cinq autres prévenus. "Si je suis là aujourd'hui, dit-il, c'est pour comprendre comment ce système a pu se mettre en place. C'est comme si j'étais atteint d'une maladie incurable et qu'on ait rien pu faire pour moi." "Mes souffrances auraient pu être abrégées si des personnes, plus tôt, avaient dénoncé les faits. Peut-être que s'ils n'avaient pas été prescrits, j'aurais eu droit à un procès contre Preynat, poursuit-il. J'aurais aimé entendre pourquoi un tel pervers est resté si longtemps dans le circuit."

J'ai le sentiment aujourd'hui que beaucoup de personnes savaient mais qu'on se renvoie la balle, et qu'elle rebondit sans arrêt.

Christian Burdet

devant le tribunal

Christian en a fini avec son douloureux récit. Avant qu'il aille se rasseoir, la présidente du tribunal, Brigitte Vernay, visiblement touchée, le réconforte : "Comme vous êtes fort, monsieur, d'être allé jusqu'au bout de votre déclaration."

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