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Comment l'Eglise s'occupe-t-elle de ses prêtres pédophiles ?

Alors qu'un scandale de pédophilie et d'agressions sexuelles sème le trouble dans le diocèse de Lyon, francetv info a enquêté sur la manière dont les évêques gèrent ces dossiers problématiques.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
La basilique Notre-Dame-de-Fourvière, à Lyon, le 4 novembre 2015. (ALEXEI DANICHEV / RIA NOVOSTI / AFP)

En attendant son procès pour agressions sexuelles, le père Bernard Preynat se fait discret dans un couvent de la banlieue lyonnaise. L'abbé Jérôme Billioud, accusé d'attouchements, a lui aussi été prié de quitter précipitamment sa paroisse du 3e arrondissement. Quant au prêtre condamné il y a une dizaine d'années pour agressions sexuelles dans l'Aveyron et muté à Lyon, le diocèse lui a également demandé de "prendre un temps de retrait".

Le schéma est classique au sein de l'Eglise catholique. Dès qu'un scandale de pédophilie, comme celui du diocèse de Lyon, éclate, le prêtre incriminé est mis à l'écart, éloigné de ses victimes présumées. Mais que devient-il après ? Francetv info a mené l'enquête pour savoir ce que les évêques font de leurs curés pédophiles.

Une "tolérance zéro" à géométrie variable

"Un évêque ne peut ni ne veut rester passif, encore moins couvrir des actes délictueux (…) Les prêtres qui se sont rendus coupables d’actes pédophiles doivent répondre de leurs actes devant la justice." Telle fut la déclaration solennelle faite par la conférence des évêques de France, en 2000, après la retentissante condamnation pour non-dénonciation de l'évêque de Bayeux, Pierre Pican. Une posture officielle qui rejoint la ligne décrétée par le pape François : la "tolérance zéro".  

L'évêque de Bayeux, Pierre Pican, patiente dans la salle d'audience du palais de justice de Caen, le 14 juin 2001.  (MEHDI FEDOUACH / AFP)

"L'Eglise a pris la mesure du problème et les règles sont relativement strictes", assure la théologienne et médecin Marie-Jo Thiel, parmi les premières à alerter l'épiscopat au tournant des années 2000. "Quand ils ont connaissance des faits, les évêques doivent signaler le prêtre à la justice, en encourageant les victimes à porter plainte, en demandant au fautif de se présenter aux policiers, voire en le dénonçant eux-mêmes", détaille la spécialiste. 

Le Vatican leur demande en outre d'engager une procédure canonique en parallèle de la procédure civile. Si les faits sont avérés, la sanction peut aller jusqu'au renvoi de l'état clérical : l'homme d'église redevient simple laïc. Voilà pour la théorie.

En pratique, les évêques arbitrent. "Tout dépend de la gravité des faits", souligne Marie-Jo Thiel. Certains prêtres condamnés sont ainsi seulement affectés à une autre paroisse, un autre diocèse ou bien se voient confier une mission d'encadrement, afin de ne plus être au contact d'enfants.

"Les évêques ont tendance à croire un prêtre quand il leur dit que ce n’est arrivé qu’une seule fois, il y a longtemps et que cela ne se reproduira plus", regrette le prêtre Stéphane Joulain, fort de son expérience de thérapeute au Canada. 

Peut-être y a-t-il une méconnaissance de la part de nombreux évêques de la dimension compulsive de cette pathologie.

Stéphane Joulain

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Une "cellule de veille" au rôle limité

En 2002, l'épiscopat a publié une brochure intitulée "Lutter contre la pédophilie". Rédigée grâce aux conseil de professionnels, elle pose ces principes juridiques et donne des conseils pratiques aux prêtres pour ne pas se mettre en danger. Tiré à 100 000 exemplaires, le fascicule a été réactualisé et réédité en 2010 et le sera à nouveau prochainement, assure Stanislas Lalanne, évêque de Pontoise. 

Ce dernier est responsable de la "cellule de veille" créée en 2015 par la conférence des évêques de France. Une initiative "modeste mais réelle", insiste-t-il. Celle-ci n'a cependant ni locaux, ni équipe dédiée et se limite à un numéro de téléphone communiqué aux diocèses. Les évêques appellent s'ils le souhaitent pour demander de l'aide et sont mis en relation avec des avocats ou des thérapeutes susceptibles de les conseiller. Mais "ensuite, c'est à l'évêque de prendre ses responsabilités", tranche Stanislas Lalanne. Ainsi, le dossier ne sort pas du diocèse.

Les évêques ont l’impression qu’ils font quelque chose, mais ce n’est pas du tout à la hauteur de ce qu’il faudrait.

Stéphane Joulain

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La thérapie par l'éloignement

Une fois la page judiciaire tournée, l'Eglise se trouve confrontée à l'aspect médical du problème. Et là encore, "chaque évêque est seul avec son cas de conscience", dénonce le prêtre et thérapeute Stéphane Joulain. 

"Il y avait traditionnellement des monastères pénitentiels, où étaient envoyés les abbés qui avaient fait des choses pas très catholiques", relate-t-il. "Les évêques demandaient à des communautés monastiques d’accueillir leurs prêtres fautifs. Les bénédictins avaient leur sympathie. Cela a existé jadis et l'Eglise en a gardé la culture. Parfois, un prêtre se retrouve à vivre avec de vieilles religieuses dans un couvent et à leur dire la messe."

Un journaliste filme l'écriteau indiquant l'annulation des messes dans une église de Lyon, le 15 mars 2016, après le départ du prêtre de la paroisse, mis en cause dans une affaire d'agression sexuelle. (JEFF PACHOUD / AFP)

"Le problème", souligne Stéphane Joulain, "c'est que ce ne sont en aucun cas des lieux de traitement, mais des endroits où vivre dans la pénitence pour se repentir de ses péchés. Beaucoup dans l’Eglise pensent encore que le jeûne, la solitude, la prière vont aider les prêtres à mobiliser les ressources nécessaires pour guérir leurs pulsions. Il est vrai que le choix du passage à l’acte est une question d’éthique et de morale, mais elle se double d'une problématique de santé mentale." 

"Le gigantesque scandale de pédophilie qui a éclaté aux Etats-Unis au début des années 2000 nous a pourtant appris que l’éloignement des prêtres pédophiles est inefficace. Cela ne fait pas justice aux victimes et ne garantit pas que les prêtres ne récidiveront pas", proteste-t-il.

Des consultations discrètes chez le psychiatre

Désormais, les évêques font volontiers appel à des psychothérapeutes, reconnaît Stanislas Lalanne. "Il y a quelques grands noms, mais ces spécialistes exercent souvent dans des services hospitaliers. De nombreux évêques sont réticents et préfèrent quelque chose de plus discret, comme une consultation en cabinet où, pensent-ils, on risque moins de les reconnaître. Quitte à sortir du diocèse et trouver un thérapeute plus loin", observe Stéphane Joulain.

Roland Coutanceau est l'un de ceux-là. Psychiatre, criminologue et expert auprès des tribunaux, il a été consulté à plusieurs reprises sur des cas de prêtres pédophiles, mais toujours dans un contexte judiciaire. "Les prêtres sont comme tous les autres hommes par rapport à ce trouble. Il y a toutes les nuances", expose-t-il. "Certains sont travaillés par le remords, éprouvent un profond sentiment de culpabilité et sont capables de comprendre les dégâts qu’ils ont causés. D’autres reconnaissent les faits, partiellement ou en totalité. D'autres les minimisent, voire nient en bloc. D’autres encore sont sur la défensive au point de se fermer complètement."

Roalnd Coutanceau, psychiatre, criminologue et expert auprès des tribunaux, le 5 juillet 2004. (AURELIE AUDUREAU / MAXPPP)

Il y a cependant une spécificité dont le psychothérapeute se sert. "Chez les prêtres, il y a une forme poussée de spiritualité. Cette foi réelle est un atout pour la thérapie. On va essayer de l'interpeller pour casser les réflexes de protection et utiliser la vocation comme moteur de la thérapie, afin de soigner la partie problématique de leur être : la non-maîtrise de la sexualité."

Cela ne marche pas à tous les coups. En 2007, à Nantes, un prêtre a été arrêté par la police dans un cybercafé où il regardait des images pédopornographiques. Il sortait d'une consultation chez son psychiatre. Quatre ans plus tard, c'est à Lyon qu'il a été interpellé. Il demandait à un garçon de 12 ans de lui montrer ses fesses sur internet. 

Aux Etats-Unis, un établissement de la banlieue de Washington qui soignait à l'origine les prêtres alcooliques a adapté ses thérapies aux religieux pédophiles. Rien de comparable en France. "La France manque de professionnels formés à la prise en charge des auteurs de violences sexuelles et de structures spécialisées", déplore Stéphane Joulain.

La thérapie de groupe par la parole a démontré sa capacité à aider les délinquants sexuels à mettre un terme à leurs abus.

Stéphane Joulain

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Une pathologie qui complique la tâche de l'Eglise

"Les pédophiles sont souvent des gens qui s’isolent, se replient sur eux-mêmes et essaient d’éviter le contact avec les enfants. La peur du stigmate social est énorme. A qui parler de son attirance pour les enfants ? C'est un tel tabou social. Il y a une sorte de fatalisme chez eux", explique le psychologue Olivier Vanderstukken, qui travaille notamment dans les prisons du Nord de la France et participe à l'un des centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles, des structures régionales où s'informer, se former, voire entamer une thérapie.

La pédophilie est une maladie qui se soigne. Il existe des guides de prise en charge internationaux très clairs. Lorsqu’on les met en pratique, le risque de passage à l’acte s’effondre.

Olivier Vanderstukken

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Etre pédophile et prêtre renforce à la fois le symptôme et le risque de passage à l'acte, estime le psychothérapeute. "La pédophilie est le trouble le plus corrélé à la récidive. Quant à la solitude affective, c'est un facteur de risque de récidive. Et chez les prêtres, s'ajoutent à cela l’interdit de la sexualité et de l’attirance sexuelle, ainsi que la condamnation très forte de la transgression." 

Il y a parfois de mauvaises raisons qui motivent à devenir prêtre. Certains utilisent l’engagement religieux pour mettre entre parenthèses ou fuir une sexualité atypique.

Roland Coutanceau

francetv info

"Il y a une problématique commune à tous les délinquants sexuels", renchérit Stéphane Joulain. "Il est très rare qu’ils cherchent de l’aide avant leur passage à l’acte. Cela fait partie de leur pathologie. Parfois, ils se confient sur leurs pulsions à un médecin, voire à un prêtre en confession. Le confesseur reçoit ça en pleine figure, il ne peut pratiquement rien faire, mis à part encourager à consulter." 

Un homme se confesse à un prêtre dans une église parisienne, le 6 mars 2010. (FRED DE NOYELLE/GODONG / PHOTONONSTOP / AFP)

En Allemagne, une campagne de sensibilisation a ainsi été mise en place pour inciter les pédophiles à se faire aider. Les spots s'adressent directement à eux.

"La motivation au changement est cruciale", conclut le psychologue Olivier Vanderstukken. "Le succès d'une thérapie dépend de la volonté du patient à se faire violence pour se soigner. Cela vaut aussi pour une institution : être obligé de ou avoir intérêt à, ce n’est pas la même chose que vouloir." Alors, l’Eglise fait-elle réellement quelque chose pour aider ses prêtres pédophiles à se soigner ? "C'est très difficile à savoir", conclut Stéphane Joulain. "C’est lié à la nature de la bête."

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