Les atteintes à la laïcité à l'école sont très minoritaires mais en augmentation
Si un enseignant sur dix est confronté aux atteintes à la laïcité à l'école, dans 97% des cas, la situation est réglée par le dialogue. Bien que rares, ces situations sont cependant en augmentation, estiment 40% des répondants d'un sondage Ifop pour le Comité national d'action laïque.
Élèves voilées, élèves qui justifient les attentats islamistes ou qui nient que la Préhistoire ait jamais existé en se fondant sur la Bible : les "atteintes à la laïcité" se multiplient, c'est le sentiment des enseignants, selon un sondage Ifop pour le CNAL, le comité national d'action laïque, à la veille d'un colloque sur le sujet, que dévoile franceinfo mardi 12 juin.
Dans 97% des cas, la situation réglée par le dialogue
Un enseignant sur dix constate ce type de remises en cause d'ordre religieux, souvent dans un but de provocation et de perturbations des cours. Dans 97% des cas, la situation est réglée par le dialogue. Pourtant, les enseignants se disent préoccupés, même s'ils parviennent encore à maîtriser la situation, car ces atteintes, bien que rares, augmentent, estiment 40% des répondants. C'est particulièrement sensible en REP (réseau d'éducation prioritaire), où les discours islamistes radicaux séduisent parfois les adolescents, selon Jean-Paul Delahaye, président du CNAL : "Nos enseignants en éducation prioritaire voient la montée des communautarismes de toutes sortes, donc ils sont inquiets. Si la société, de son côté, ne fait pas effort, pour que les citoyens vivent ensemble, les enseignants auront de plus en plus de difficultés à faire passer les valeurs et les principes de la laïcité." Enfin, 74% des enseignants disent ne pas avoir bénéficié d'une formation pour enseigner le principe de laïcité, une lacune qui se fait sentir.
Définition de la laïcité
Pour 89% des répondants, la définition de la laïcité ne pose pas problème. En revanche, si plus de la moitié des enseignants répondant à l'enquête définissent la laïcité comme la "garantie par la République de la liberté de conscience de chacun" et "la neutralité de l'État par rapport aux religions", 26% considèrent qu'elle correspond à l'absence de religieux dans l'espace public, y compris la rue. Cette dernière vision contraste avec l'article 1 de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l'État qui pose en principe fondateur que "la République assure la liberté de conscience". Ces erreurs d'appréciation "sont créées par la confusion politique ou médiatique sur le sujet", note un formateur en école supérieure du professorat et de l'éducation (ESPE).
Pratique de la laïcité
Corolaire de ces questions de définition, 55% des enseignants considèrent que les élèves ne sont pas encouragés à prendre une part active dans la mise en pratique de la laïcité. C'est particulièrement le cas dans les écoles primaires (48%). Les parents semblent également trop peu impliqués : selon le rapport du CNAL, 92% des enseignants affirment que les parents d'élèves ne sont pas associés à des activités de formation à la laïcité dans l'établissement de leurs enfants. Les familles jouent pourtant "un rôle déterminant", soulignent les chefs d'établissement répondants à l'enquête.
82% des enseignants notent ainsi que la journée du 9 décembre, "journée de la laïcité", n'est pas mise à profit pour mener des actions spécifiques, sauf dans les lycées professionnels où le chiffre descend à 57%. Pourtant, 79% des enseignants considèrent que la transmission du principe de laïcité est intégrée dans les enseignements. Ce chiffre masque toutefois une disparité selon les types d'établissements : il atteint 86% dans les lycées polyvalents, pour seulement 61% dans les lycées professionnels. En revanche, il est le même dans les zones d'éducations prioritaires et dans les zones non prioritaires.
Les contestations de la laïcité
38% des enseignants sont confrontés à des élèves qui contestent la loi du 15 mars 2004 encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. Un chiffre à nuancer : seulement 3% des répondants parlent de remises en cause régulières. Un enseignant en ESPE relève toutefois que "si les contestations directes sont rares, elles peuvent être radicales". Dans 23% des cas, les contestations sont épisodiques et dans 97% des cas, le dialogue permet de régler les problèmes. "La laïcité peut être perçue comme une opinion parmi d'autres, un synonyme d'athéisme, voire une idée d'extrême droite", avance une professeur interrogée par le CNAL.
La discussion permet donc de désamorcer les clichés. Le CNAL évoque aussi bien de fausses croyances, de l'ignorance, mais aussi une volonté de provocation qui conduisent ces élèves à contester la parole de l'enseignant. Dans les faits, la loi du 15 mars 2004 semble entrée dans les moeurs.
Les enseignements les plus contestés
38% des enseignants signalent également que leurs élèves tentent de se soustraire à certains enseignements en raison de leurs convictions religieuses. La proportion monte à 56% dans les établissement du réseau d'éducation prioritaire, contre 33% en dehors des REP. Dans plus d'un tiers des cas, ces contestations ont lieu lors des cours d'histoire et géographie, pendant les cours d'éducation physique et sportive et lors des moments de recueillement, notamment à la suite des attentats de janvier et de novembre 2015. Des professeurs ont par exemple signalé des élèves refusant de participer aux cours d'histoire abordant la préhistoire, période n'ayant pas existé selon la Bible. Un peu plus de 20% des cours sur les faits religieux, la laïcité, les sciences ou encore la mixité garçon-fille font également l'objet de rejet, selon les enseignants.
Résultat : 53% des enseignants de REP et 32% des enseignants hors REP disent s'autocensurer, ou au moins "peser leurs mots", pour éviter de possibles incidents. Pour les zones en REP, ils ne sont toutefois "que" 5% à surveiller leur parole régulièrement et 37% à la faire ponctuellement. Ce que regrette ce professeur qui a répondu à l'enquête : "On a peur d'aborder les questions socialement vives, peur d'autoriser les élèves à être des êtres pensants en classe. Il existe un tabou tacite à échanger sur des avis différents. On rechigne à accorder cette liberté à des enfants, de peur de se voir confronté à une déferlante impossible à endiguer."
Augmentation de l'intolérance
Si la laïcité reste globalement respectée par les élèves, les preuves d'intolérance, elles, se multiplient. 80% des enseignants relèvent des paroles ou des actes d'intolérance entre élèves. Le chiffre passe à 72% pour le racisme, 62% pour les pressions à l'égard des filles, 50% pour les revendications identitaires, 31% pour l'antisémitisme. Dans la majorité des cas, les enseignants indiquent que ces sont des actes ou des paroles "rares", et non pas "réguliers". Par ailleurs, 42% des répondants à l'étude du CNAL estiment que les contestations du principe de laïcité sont en augmentation ces dernières années, fortement influencées par l'actualité nationale et internationale. 44% les juges stables et seulement 14% en diminution.
Manque de formation
74% des enseignants disent ne pas avoir bénéficié d'une formation pour enseigner le principe de laïcité, une lacune qui se fait sentir. 53% juge la formation initiale qu'ils ont reçue sur le sujet "de mauvaise qualité". "Enseigner la laïcité est en un sens plus difficile que d'enseigner les mathématiques ou le français", précise un inspecteur interrogé par le CNAL. Le climat scolaire autour de la laïcité est tout de même jugé "apaisé" par 91% des enseignants. Les situations considérées comme "tendues" restent rares, selon le CNAL et la majorité d'entre elles se règlent par le dialogue. Les enseignants souhaiteraient toutefois pouvoir bénéficier d'une meilleure formation, notamment en formation continue, quasiment inexistante selon la majorité des répondants.
Méthodologie : l'enquête a été menée auprès d'un échantillon de 650 enseignants, représentatif de la population des enseignants du public, enseignants du primaire au lycée. La représentativité de l'échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, type d'établissement, statut ZEP ou non ZEP de l'établissement et académie). Les interviews ont été réalisées en ligne du 8 au 11 janvier 2018.
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