Eviter le tabou, valoriser les différences, s'adapter à l'âge... Cinq conseils pour parler du racisme avec vos enfants
Une journée spéciale par an, mais un apprentissage du quotidien. En 1966, les Nations unies ont fait du 21 mars la Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale. En France, le ministère de l'Education nationale organise chaque année une semaine d'éducation et d'actions, en partenariat avec la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah).
Comment parler à un enfant ou un adolescent des discriminations raciales ? Que faire pour s'assurer qu'il ne soit pas auteur de harcèlement raciste ? Que lui dire pour le prémunir contre d'éventuelles agressions ? Franceinfo a proposé à plusieurs spécialistes de formuler des conseils pour mener à bien cette discussion, redoutée ou soigneusement évitée par certains parents, mais incontournable pour d'autres.
1 Ne pas avoir peur d'en parler
Toutes les personnes interrogées sont d'accord : il est nécessaire pour les parents d'aborder le sujet du racisme avec leurs enfants. Et ce, qu'ils soient blancs ou racisés, c'est-à-dire perçus comme des personnes non blanches et donc objets de perceptions et comportements racistes. Pour ces derniers, l'objectif est de "leur donner des clés pour décrypter le racisme dont ils peuvent être victimes", souligne la journaliste et militante antiraciste Rokhaya Diallo.
Dans un livre intitulé Comment parler du racisme aux enfants, elle justifie ainsi : "Lorsque l'on vit dans un monde où le groupe – réel ou supposé – auquel on appartient est soit valorisé soit stigmatisé, comment peut-on se construire ? Si (...) les propos qu'on entend de-ci de-là peuvent donner le sentiment que les gens qui nous ressemblent sont ignorés, pointés du doigt ou vaincus, on peut difficilement construire une solide estime de soi, au risque de devenir un adulte en colère ou triste." Aborder le sujet avec des enfants qui ne sont pas susceptibles, a priori, d'être victimes de racisme permet "de leur donner des clés pour distinguer ce qui peut blesser leurs camarades", explique Rokhaya Diallo.
"Les parents n'ont pas forcément cette discussion avec leurs enfants, parce qu'ils estiment qu'ils sont trop jeunes", avance Sarah Zouak, cofondatrice et directrice de l'association féministe antiraciste Lallab, également mère d'un jeune enfant. "Un autre argument avancé, c'est : 'Nous, on ne voit pas les couleurs", ajoute-t-elle. Mais cette vision universaliste peut être contre-productive, selon elle : "Les enfants voient bien les différences physiques qui peuvent exister, donc cela leur donne l'impression qu'on ne peut pas en parler, que c'est tabou."
2 Examiner ses propres préjugés et s'informer
Avant d'entamer le dialogue, les parents peuvent "être attentifs à leurs propres préjugés et comportements", suggère la psychologue Yaotcha d'Almeida, autrice d'Impact des microagressions et de la discrimination raciale sur la santé mentale des personnes racisées. Elle incite à s'interroger : quels sont les stéréotypes auxquels je crois ? Les films et les livres que je montre à mon enfant reflètent-ils la pluralité de la société ? Est-ce que j'ai, dans mon entourage, des personnes d'origines diverses ?
"Il faut que les parents prennent vraiment la responsabilité de se documenter sur ce qu'est le racisme, en se donnant comme objectif d'avoir un niveau de connaissance plus important que celui de leurs enfants, pour être capables de répondre à leurs questions", appuie Rokhaya Diallo. A cette fin, il existe un grand nombre de ressources, pour les adultes comme pour les plus jeunes : livres, podcasts, expositions...
Yaotcha d'Almeida prévient au passage les parents qui ont eux-mêmes subi du racisme : les échanges à ce sujet peuvent "réveiller de profondes blessures". "Il faut faire le point sur ses propres émotions, pour éviter que son vécu n'interfère trop avec ce que l'on dit aux enfants."
3 Valoriser les différences et enseigner l'empathie
"Exposer les enfants à la pluralité, c'est déjà faire un travail antiraciste", estime Rokhaya Diallo. Elle conseille par exemple de recourir à des livres qui mettent en scène des personnages aux origines géographiques variées, ou qui se déroulent à l'étranger. La journaliste propose aussi d'ajouter au panthéon des personnages historiques enseignés aux enfants des hommes et femmes célèbres ayant lutté contre le racisme (Nelson Mandela, Rosa Parks, Martin Luther King...).
"Il ne faut pas avoir peur de dire que, puisqu'on a des origines géographiques différentes, nos peaux et nos cheveux se sont adaptés aux contextes variés. Mais qu'on a tous la même valeur en tant qu'êtres humains."
Rokhaya Diallo, journaliste et militante antiracisteà franceinfo
Un travail de représentativité d'autant plus important pour les enfants racisés. "C'est primordial de se sentir représenté et cela permet de construire de nouveaux imaginaires", assure Sarah Zouak, qui témoigne avoir pâti de n'avoir vu "les femmes musulmanes représentées dans les médias français qu'à travers l'image de la femme soumise". La psychologue Yaotcha d'Almeida encourage également les parents d'enfants racisés à s'assurer que ces derniers sont en contact avec des personnes qui leur ressemblent, notamment en cas d'adoption à l'étranger, ou si l'enfant grandit dans une zone très peu mixte.
Les spécialistes interrogées conseillent aussi de valoriser toutes les particularités physiques ou les habitudes culturelles qui peuvent faire l'objet de remarques racistes : complimenter la couleur de la peau de l'enfant, ses cheveux crépus ou ses vêtements traditionnels. "Il faut donner confiance à l'enfant : lui dire qu'on l'aime, qu'il est important et qu'il est issu d'une culture immense, qui a la même valeur que les autres cultures", détaille Fatma Bouvet de la Maisonneuve, psychiatre et autrice de Une Arabe en France – Une vie au-delà des préjugés.
Il est également recommandé de stimuler l'empathie. "Il faut inviter les enfants à se mettre à la place de l'autre, en ayant recours à des exemples concrets : comment se sentirait-il s'il était moqué à cause de la couleur de ses cheveux ?", expose Yaotcha d'Almeida, qui salue les cours d'empathie dispensés dans les écoles scandinaves et qui doivent être généralisés en France à la rentrée prochaine. Lors de ces échanges, le questionnement des enfants pour les aider à construire une réflexion sur le sujet est préférable à l'injonction, qui risque de susciter le rejet, souligne la psychologue.
4S'adapter à l'âge de l'enfant
L'exposition à la diversité et l'apprentissage du respect peuvent commencer dès le début de la vie de l'enfant, estime Yaotcha d'Almeida. Pour autant, il est nécessaire "d'utiliser des mots simples et adaptés à leur âge". Pour les plus jeunes, des exemples de la vie quotidienne, des histoires ou des jeux, aident à expliquer ce qu'est une différence, et à présenter le racisme sous le prisme d'une injustice, une notion compréhensible pour les plus petits.
A partir du collège, il est possible de contextualiser politiquement et historiquement les concepts expliqués, assure Julie Mauve, responsable du pôle éducation populaire de SOS Racisme, qui intervient régulièrement auprès d'élèves. "Les ados sont traversés par des préjugés racistes et en font beaucoup de blagues. On leur apprend d'où viennent les stéréotypes qu'ils utilisent – 'les noirs sentent mauvais', 'les Arabes sont des voleurs'..."
Des concepts plus complexes comme la "race" – comme notion sociologique, et non biologique –, le caractère systémique du racisme, ou son instrumentalisation peuvent aussi être abordés lors de débats avec les adolescents. "On n'est pas là pour les convaincre : on leur explique ce qu'on pense et pourquoi on le pense, et on leur apprend à exercer leur esprit critique", précise Julie Mauve.
"L'objectif de parler du racisme aux enfants n'est pas uniquement qu'ils comprennent le monde complexe dans lequel ils vivent, mais qu'ils puissent être préparés pour agir pour plus de justice sociale", ajoute Sarah Zouak. "On minimise trop souvent la capacité des jeunes à s'engager", renchérit Julie Mauve, évoquant de nombreux projets que des élèves ont souhaité développer après leurs ateliers avec SOS Racisme (projection d'un documentaire sur le racisme, exposition à propos de personnes racisées oubliées de l'Histoire...).
"On peut dire aux enfants racisés qu'ils ont une marge de manœuvre pour agir, et qu'ils peuvent s'en saisir s'ils le souhaitent", confirme Yaotcha d'Almeida. Elle appelle néanmoins à ne pas "rendre les personnes discriminées responsables de trouver des solutions aux discriminations qu'elles subissent".
5 Réagir si mon enfant est auteur ou victime d'une discrimination raciste
Malgré toutes les attentions mises en place, votre enfant aura peut-être un jour un comportement raciste, ou il sera peut-être, à l'inverse, la victime ou le témoin d'une discrimination. "Ce n'est pas parce qu'un enfant fait état d'un préjugé raciste qu'il adhère à une idéologie raciste, souligne Julie Mauve. Mais il ne faut pas pour autant banaliser cette parole-là." Elle conseille d'interroger l'enfant sur le comportement problématique : "Où as-tu entendu ça ? Es-tu d'accord avec ces propos ? Est-ce que tu aimerais qu'on te traite de cette manière ? Le but est d'expliquer pourquoi c'est violent et grave, sans stigmatiser l'enfant."
Si l'enfant est la victime, il est important de le rassurer sur le fait qu'il est maintenant en sécurité, mais aussi de l'aider à mettre des mots sur ce qui lui est arrivé et sur son ressenti. "Il faut lui dire qu'il a le droit d'éprouver toutes ces émotions, et lui rappeler que ce qu'il s'est passé est injuste et que l'autre n'avait pas le droit de faire ça", détaille Yaotcha d'Almeida. Dans le cas où l'incident est survenu à l'école, la psychologue conseille de prévenir l'équipe pédagogique et rappelle que des dispositifs existent en cas de harcèlement. Pour les cas les plus graves, il est possible de se tourner vers les autorités et de solliciter l'aide d'un psychologue spécialiste des questions liées au racisme.
Pour que les enfants osent signaler les agressions racistes dont ils feraient l'objet, Sarah Zouak conseille de leur apprendre à parler aux personnes de confiance et de rappeler que les adultes n'ont pas toujours raison. "Je leur dis d'aller en parler à un adulte jusqu'à ce que quelqu'un les croie et les défende."
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