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Sexe, Porsche et Ravensbrück : la vie et les mensonges de Madame Claude

Fernande Grudet, connue sous le nom de Madame Claude, a été à la tête d'un vaste réseau de prostitution de luxe dans les années 1960 et 1970. Morte samedi à l'âge de 92 ans, elle avait construit un mythe autour de son personnage. Portrait.

Article rédigé par Carole Bélingard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Fernande Grudet, alias Madame Claude, pose avant une émission de télévision à Paris, le 5 mai 1986. (MICHEL GANGNE / AFP)

"La solitude a toujours été une amie", aimait dire la plus célèbre des proxénètes françaises, Madame Claude. C'est donc seule que Madame Claude, de son vrai nom Fernande Grudet, est morte à Nice, samedi 19 décembre, à l'âge de 92 ans. Son nom évoque un empire de la prostitution de luxe, des secrets d'Etat, mais aussi beaucoup de fantasmes et de mensonges. 

"Elle vendait du sexe, mais elle détestait le sexe"

La beauté l'obsédait. De son propre aveu, Madame Claude se trouvait laide quand elle était jeune. Elle l'avait confié dans l'émission "Matin Bonheur" en 1994, un extrait repris en avril dans l'émission "Personne ne bouge" sur Arte.

Pour devenir Madame Claude, Fernande passe, dans les années 1960, entre les mains d'un chirurgien esthétique. La chirurgie, une étape d'ailleurs obligatoire pour ses "filles". Ambre, une ancienne prostituée qui travaillait pour Madame Claude, témoigne pour l'émission "Un jour un destin" diffusée sur France 2 en 2010 : "Un jour, j'ai rencontré une fille qui était un boudin. Quand je l'ai revue plus tard, elle était méconnaissable : opération du nez, des seins… C'était devenu une beauté."

Mais attention, pour la maquerelle, tout est question d'âge. "Elle estimait qu'à partir de 40 ans, les gens ne devaient plus faire l'amour parce qu'ils deviennent laids. Or l'amour ce n'est beau qu'entre jeunes gens", rapporte un ami, Jacques Harvey, invité de l'émission. Le sexe pour les autres, oui, mais pas pour elle. "Claude n'avait aucune attirance pour les hommes et les femmes. Elle vendait le sexe, mais elle détestait le sexe", ajoute-t-il.

L'exil et un mariage avec un barman homosexuel

Tout au long des années 1960 et 1970, le réseau de Madame Claude, c'est plus de 500 "filles" et quelques "garçons" destinés à une riche clientèle : John Kennedy, le shah d'Iran, mais aussi des politiques, des hommes d'affaires, des artistes français, dont Fernande Grudet taira toujours le nom, comme le rapporte L'Express. Ses escort-girls sont triées sur le volet. "On devait avoir l'air de bonne famille, confie Ambre. Quand on la rencontrait, elle nous faisait déshabiller pour voir notre poitrine. Elle a un don pour voir ce qu'elle peut tirer de quelqu'un." Madame Claude n'a qu'un objectif : faire toujours plus d'argent. "Elle aimait l'argent plus que tout", affirme Ambre.

Sa "coupable industrie" prospère. Mais dans les années 1970, les ennuis commencent. Madame Claude doit 11 millions de francs au fisc. Elle décide de fuir aux Etats-Unis. A Los Angeles, la solitude la rattrape. "Elle allait très mal, elle s'ennuyait. Elle était très seule", se rappelle, sur France 2, Sylvette Balland, qui l'a rencontrée là-bas. Loin de son quartier général du 16e arrondissement, Fernande Grudet vit dans un petit appartement. "Officiellement, elle était sans argent", ajoute Sylvette Balland, mais on pouvait la croiser au volant d'une Porsche blanche.

Pour rester sur le territoire américain, Madame Claude se marie avec un barman de vingt ans son cadet, et homosexuel. Mais les services de l'immigration ne sont pas dupes. C'est l'expulsion.

Vison, saumon et cellule avec salle de bain

Retour en France. Quand elle revient, en 1985, Madame Claude s'installe dans le Lot, à Cajarc, près de son amie Françoise Sagan. Elle est rattrapée par ses ennuis judiciaires. Arrêtée à la fin du mois de décembre 1985, Fernande Grudet est condamnée à quatre mois de prison.

La maison de Carnac (Lot), où a vécu Fernande Grudet, le 3 janvier 1986. (JEAN-PIERRE MULLER / AFP)

La vie reste assez douce pour Madame. Un ancien avocat, "Philippe Mercadier, se souvient qu'elle bénéficiait d'une cellule particulière, avec salle de bain, avec une femme de ménage à sa disposition, mais aussi de vrais repas sortis tout droit des cuisines du meilleur restaurant de l'époque", relate La Dépêche.

Madame Claude se balade dans les couloirs de la prison vêtue de son manteau en vison. "Elle était très coquette, très soignée", se rappelle un autre de ses avocats, Bruno Simonetta, interrogé sur France 2. Quand le menu ne lui convient pas, Fernande Grudet commande du saumon. "Elle avait un traitement de faveur", reconnaît l'avocat. 

Une déportation qui n'a jamais existé

Madame Claude a entretenu le mythe autour d'elle. En 1993, elle sort de son silence et écrit un livre, Madam, publié chez Robert Laffont en 1994. Un ouvrage censé lever le voile sur sa vie. A 70 ans, elle dit vouloir "mettre les pendules à l'heure". En réalité, Fernande Grudet s'invente une origine bourgeoise, comme le souligne Ouest France.

La proxénète raconte que ses trois frères ont été élevés chez les jésuites, et sa sœur et elle par les visitandines. Premier accroc dans sa jolie histoire provinciale. Fernande Grudet n'a jamais eu de frère. Sa sœur, Joséphine, est morte alors que Fernande n'avait qu'un an. Elle n'a jamais été non plus élève des visitandines, mais scolarisée à l'institution privée de l'Immaculée Conception à Angers.

Dans la légende que se construit Fernande Grudet, il y a aussi la guerre. Une guerre au cours de laquelle son père, résistant, aurait été fusillé. Alfred Grudet est en réalité mort en 1941 des suites d'un cancer du larynx, révèle l'émission "Un jour, un destin". Elle-même affirme avoir été déportée au camp de Ravensbrück (Allemagne) après des faits de résistance. Elle aurait même aidé la nièce du général de Gaulle à se sauver, grâce à l'amour que lui portait un médecin nazi dans le camp. Mais les archives sont formelles : aucune Fernande Grudet n'a été déportée.

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