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Ecole en prison : "Plus que les diplômes, l'important est de restaurer la confiance en soi des détenus", confie la réalisatrice d'un documentaire

Dans le cadre de l'émission "Infrarouge", la réalisatrice Cécile Tartakovsky a suivi le retour sur les bancs de l'école de quatre détenus de la maison d'arrêt de Nanterre.
Article rédigé par Isabelle Malin
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Immersion dans une école en milieu carcéral. (Capa press, France Télévisions)

Faire le pari de l'éducation pour lutter contre la récidive, tel est le défi de Sylvie Paré, directrice d'un centre scolaire pas comme les autres. Son école est située au cœur de la maison d’arrêt de Nanterre (Hauts-de-Seine). C'est là que la journaliste Cécile Tartakovsky a glissé sa caméra, parmi les 260 hommes, sur un millier de détenus, qui ont fait le choix de reprendre leurs études, la réalisatrice de Derrière les barreaux, l'école*, a choisi de suivre quatre d'entre eux durant un an, et livre à franceinfo ses impressions sur cette immersion.  

Franceinfo : Pourquoi avoir décidé de traiter ce sujet ?

Cécile Tartakovsky : En juin 2019, j'avais entendu à la radio Sylvie Paré, la directrice du centre scolaire de la prison de Nanterre, parler avec passion de ses écoliers un peu particuliers. Elle avait évoqué les élèves majeurs dont elle s'occupait, qui avaient fait le choix de profiter de leur détention pour passer des diplômes. En l'écoutant, je me suis dit que l'école en prison était un sujet plutôt méconnu, même si cela existe depuis plus de 20 ans, et qu'il y a un centre scolaire dans chaque prison de France.

Je l'ai donc contactée, et elle m'a convié deux jours plus tard à Nanterre. Elle m'a présenté les locaux, son équipe de professeurs et détaillé le profil de ses élèves : ceux, majeurs, qui viennent passer toutes sortes de diplômes, et les mineurs pour lesquels l'école est obligatoire. Après ce premier contact, je me suis dit qu'il fallait absolument que j'en fasse un documentaire. Avec le feu vert de Sylvie Paré, de la prison de Nanterre et enfin de l'administration pénitentiaire, l'aventure a commencé en 2020.

Evidemment, le Covid-19 a retardé le projet, même si nous avons réussi à tourner dix jours avant le premier confinement. Deux élèves avaient accepté de tourner à visage découvert, ce qui était particulièrement précieux. Puis, nous sommes revenus en mars 2022, et durant cette période, deux autres élèves se sont greffés au projet. Nous avons donc pu suivre quatre détenus au total. 

Est-ce que les professeurs ont une formation particulière pour enseigner en prison ? 

Oui, ils ont une formation qui leur permet d'enseigner en milieu carcéral pour des élèves compliqués. On ne peut pas passer, comme professeur, d'un milieu scolaire classique à la prison. Ils doivent d'abord faire une formation spécifique pour adolescents et adultes en difficulté d'apprentissage. Cela leur ouvre la possibilité d'enseigner soit au sein de classes Segpa [qui accueille les élèves qui présentent des difficultés d’apprentissage durables] au collège, soit dans les centres scolaires dans les prisons.

La chose importante que les enseignants doivent surtout faire avant tout, c'est de voir s'ils sont capables de supporter la détention, car ils doivent s'enfermer chaque jour avec les détenus. Ils laissent leurs biens personnels, leur téléphone et sac à main à l'extérieur. Ils rentrent dans une bulle dans laquelle ils sont coupés de tout, sauf des sons inhérents à l'univers de la détention : les bruits de clefs, de portes qui claquent, les détenus qui hurlent… Ils effectuent un stage afin de voir s'ils sont capables de supporter tout cela sur le long terme, et un certain nombre de professeurs n'y arrive pas du tout.

Est-ce que ces enseignants ont peur de la violence qui pourrait émerger ?  

Chez les jeunes hommes majeurs, la violence est très rare et n'est jamais dirigée vers les professeurs. Ils sont adultes et ont conscience de la chance qu'ils ont de pouvoir sortir de leur cellule et de passer du temps en classe. Ils sont plutôt matures, donc la violence n'est pas très présente.

Par contre, chez les mineurs, c'est plus compliqué. (…) L'adolescence est une période plutôt explosive. Ils viennent souvent de familles dans lesquelles cela ne va pas du tout, ont parfois des problèmes psychiques, psychologiques… Les contraindre à aller dans une salle de classe, alors qu'ils ont des rapports hyper conflictuels avec un milieu scolaire dans lequel ils ne se sentaient déjà pas intégrés à l'extérieur, peut créer des situations de violence.

Sylvie Paré explique d'ailleurs que les enseignants doivent toujours garder en tête qu'ils sont face à des jeunes qui peuvent à tout moment exploser. Il faut qu'ils sachent gérer ce genre de situation si elles sont amenées à se produire. Par ailleurs, il y a toujours un surveillant à proximité qui peut intervenir. Si ces professeurs avaient peur au quotidien, ils ne pourraient pas venir enseigner. Mais ils n'oublient jamais où ils sont : ils restent aux aguets et en hypervigilance. 

A Nanterre, il n'y a jamais eu de drames ? 

Non. Des enseignants ont déjà eu peur à cause de radiateurs arrachés des murs et utilisés comme projectiles, d'ordinateurs qui volaient, mais il n'y a jamais eu de réelles agressions. Pourtant, pendant très longtemps, les enseignants étaient enfermés à clefs par les surveillants dans les classes avec les élèves, pour éviter que ces derniers ne s'échappent. Cela créait une ambiance très particulière et générait du stress pour les profs. Maintenant, les portes sont ouvertes, c'est plus confortable pour eux, mais il arrive que certains élèves en profitent pour se faufiler dans une autre classe pour régler leurs comptes avec d'autres écoliers. 

Est-ce que ces professeurs ont des retours sur les détenus diplômés, une fois sortis de prison ?

Il y a trois cas de figure. Il y a d'abord les détenus qui reviennent en prison après avoir été libérés. Ils continuent leur cursus, mais forcément, les enseignants se disent que c'est un échec, même s'ils gardent espoir et se disent que [leur démarche] donnera peut-être un jour quelque chose de positif.

Il y a ensuite ceux dont ils n'entendent plus du tout parler, et enfin ceux qui viennent les remercier. Pendant le tournage, justement, un ancien élève a attendu Sylvie Paré sur le parking pour lui offrir des fleurs et la remercier, car grâce à elle, il avait trouvé un travail.

Plus que les diplômes, la réussite ou le fait de continuer d'étudier à l'extérieur, l'important est de restaurer leur confiance en eux, qu'ils puissent se dire qu'ils valent quelque chose, qu'ils peuvent tenter leur chance ailleurs que dans la délinquance. C'est l'essence même du travail de ces enseignants. 

Qu'est-ce qui vous a le plus marqué ? 

Je craignais au départ de rendre trop sympathiques à l'écran des hommes qui avaient tout de même commis des délits et des crimes. Finalement, ce sentiment a disparu, j'ai décidé de totalement occulter leurs méfaits. Les enseignants font d'ailleurs la même chose, et ne veulent pas connaître les forfaits de leurs élèves, car cela changerait forcément le regard qu'ils posent sur eux. Les détenus sont suffisamment jugés par ailleurs. Les profs sont à l'écoute si l'élève a besoin d'en parler, mais cela s'arrête là.

J'ai donc fait pareil, et j'ai choisi de concentrer le film sur leur démarche et les raisons qui les ont poussés à franchir le seuil de ce centre scolaire. Et puis au fil du temps, j'ai découvert des hommes qui avaient envie d'apprendre, qui avaient de l'humour, du recul, qui ne cherchaient pas à se victimiser, qui assumaient leur peine. Ils étaient conscients d'avoir commis quelque chose de mal, et voulaient mettre à profit ce temps d'arrêt dans leur vie et d'en faire quelque chose de constructif pour l'avenir. J'ai trouvé cela rassurant de voir ces hommes venir s'enfermer chaque jour dans une classe pour apprendre. 

* Le documentaire "Derrière les barreaux, l'école", réalisé par Cécile Tartakovsky, est diffusé dans le cadre de l'émission "Infrarouge", mercredi à 22h45 sur France 2 et sur france.tv.

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