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"C'est un peu la rentrée tous les deux ou trois mois" : comment l'école se pratique-t-elle en prison ?

Dans le système pénitentiaire français, les détenus mineurs ont une obligation de scolarité tandis que les majeurs sont près de 20% chaque année à suivre des enseignements sur la base du volontariat.

Article rédigé par franceinfo - Adeline Mullet
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Publié Mis à jour
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Des détenus dans la cour de la maison d'arrêt de Nanterre (Hauts-de-Seine), le 22 juillet 2010.  (MIGUEL MEDINA / AFP)

La rentrée, son lot de stress et d'excitation. Après deux mois de pause estivale, les élèves ont finalement repris le chemin de l'école, lundi 2 septembre. Les salles de classe se sont de nouveau remplies, les professeurs ont retrouvé leur quotidien et les cours ont doucement commencé à résonner. Mais comment se passe la rentrée derrière murs et barreaux ?

Dans chacune des 186 prisons bâties sur le territoire français se trouve une école. Sylvie Paré fera sa dix-neuvième rentrée dans l'une d'elles. D'abord "enseignante ordinaire" en école primaire, elle a rejoint l'équipe pédagogique de la maison d'arrêt de Nanterre (Hauts-de-Seine) en 2000 et est désormais responsable locale d'enseignement (RLE). Autrement dit, elle est directrice du centre scolaire. 

"En prison, la première particularité de la rentrée est qu'elle s'étale dans le temps, car on rencontre tous les nouveaux arrivants, en individuel, et on les teste pour savoir dans quelle classe les mettre", explique l'enseignante, dont l'expérience a donné naissance au livre L'Ecole en prison (éd. du Rocher), co-écrit avec Cécile De Ram, une collègue.

"On est sur un enseignement très individualisé" 

Les cours démarreront donc plus tard, entre le 9 et le 16 septembre. "Généralement, il y a un premier repérage de l'illettrisme par l'administration pénitentiaire", complète Daniel Menoud, proviseur de l'unité pédagogique régionale Grand Ouest, qui regroupe 24 établissements pénitentiaires. "Et une fois l'illettrisme détecté ou non, les enseignants développent un positionnement pédagogique adapté."

En prison, il y a moins le côté cérémonial et rituel d'une première journée d'école.

Daniel Menoud

à franceinfo

La constitution des classes et l'organisation des emplois du temps se relèvent ensuite un véritable exercice d'équilibriste. A la maison d'arrêt de Nanterre, par exemple, sept professeurs travaillent à plein temps et quinze vacataires sont également présents pour assurer les enseignements de 250 détenus. Il faut donc composer avec tout le monde. "De toute façon, on est sur un enseignement très individualisé, un peu comme dans la classe unique au début du XXe siècle", souligne Daniel Menoud.

Pascale Le Goff, responsable locale d'enseignement à la maison d'arrêt de Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor), insiste d'ailleurs sur cette notion de personnalisation : "Depuis le 26 août, j'ai rencontré 38 détenus arrivés cet été. Une trentaine d'entre eux souhaite intégrer l'école et, comme pour les autres, ça sera à la carte. Chacun aura sa pochette avec des exercices en fonction de ses besoins et de ses projets."

"C'est un peu comme dehors finalement"

En prison, l'école est obligatoire pour les détenus mineurs et ouverte aux majeurs – qui étaient, selon le bilan annuel de l'enseignement en milieu pénitentiaire (PDF), 21,7% à être scolarisés au 1er décembre 2017. "On a d'un côté [les majeurs] des personnes qui viennent à l'école de leur plein gré et qui, pour y accéder, doivent se tenir correctement, ne pas avoir de rapport d'incidence. De l'autre [les mineurs], on n'est pas sur une démarche volontariste, c'est donc à nous d'aller les conquérir, et ce dès la rentrée", analyse Sylvie Paré. La loi prévoit 12 heures de cours par semaine minimum pour les détenus mineurs.

Distribution du matériel, des emplois du temps, signature d'un contrat type règlement intérieur… "Sur le déroulement, c'est un peu comme dehors finalement", confesse Sylvie Paré. "En général, on étudie la charte de la laïcité. C'est important que l'école soit déterminée à ce niveau, pour déminer le sujet tout de suite et expliquer qu'on respecte tout le monde", poursuit-elle. Celle qui a quasiment passé vingt ans devant les détenus insiste sur l'importance de la rentrée pour se positionner tout de suite comme professeur.

L'école est un peu un sanctuaire dans la prison. Ils deviennent ou redeviennent élèves et il y a tous les codes de respect et de cadre qui vont avec.

Sylvie Paré

à franceinfo

"Je ne sais jamais vraiment qui seront mes élèves"

Sauf qu'en prison, avec les entrées et les sorties permanentes, la gestion du temps est différente. "En moyenne, les personnes détenues restent six mois, ce qui est très court pour former quelqu'un", explique Daniel Menoud. Et de conclure : "En gros, c'est un peu la rentrée tous les deux ou trois mois !" Pascale Le Goff est confrontée à ce turnover à la maison d'arrêt de Saint-Brieuc. "Je ne sais jamais vraiment qui seront mes élèves et combien ils seront", confie-t-elle.

De son côté, Sylvie Paré ne peut s'empêcher de sourire quand on lui demande comment sont les tout nouveaux élèves : "Ils ont cette espèce de truc un peu impressionné comme les enfants, c'est fou !" Et puis, exactement comme dans une salle de classe, les personnalités se dessinent avec "les anciens qui font un peu leurs 'kékés' et les nouveaux plus timides". Mais l'ambiance reste studieuse : 

Les détenus travaillent beaucoup et ont souvent d'excellents résultats aux examens et diplômes.

Sylvie Paré

à franceinfo

Et pour cause, selon le bilan annuel de l'enseignement en milieu pénitentiaire, le taux de réussite aux examens des personnes détenues scolarisées a avoisiné les 75% pendant l'année scolaire 2017-2018. A noter que les diplômes obtenus ne font pas apparaître l'état de détention.

"Les rentrées ne se ressemblement jamais"

Comme pour les autres professeurs, les enseignants en prison ont réalisé une pré-rentrée lors de laquelle ils ont retrouvé le proviseur de l'UPR où ils enseignent afin qu'il leur donne les directives du ministère. "Comme pour tous les collègues, souligne la directrice du centre scolaire de Nanterre, la seule différence, c'est qu'en prison, on traite parallèlement du primaire, du collège, du lycée et plus."

Aussi, comme le définit le Code de procédure pénale, l'organisation de la scolarité est propre à chaque établissement pénitentiaire et évolue en fonction du public. Composées d'environ douze élèves, les classes en prison sont thématiques ou composées en fonction du niveau. "Pour cette rentrée à Nanterre, on a par exemple plusieurs classes d'alphabétisation, car il y a beaucoup de jeunes originaires du Maghreb qui parlent français mais ne le lisent pas et ne l'écrivent pas", précise Sylvie Paré.

A la maison d'arrêt de Saint-Brieuc, les groupes ne sont pas encore constitués. Mais "l'année dernière, on avait notamment un groupe d'alphabétisation, un groupe de français langue étrangère, un niveau début collège, un niveau CAP, un niveau DAEU", résume Pascale Le Goff. Et à côté des cours, sont souvent organisés des ateliers, de littérature ou de criminologie à Nanterre, de théâtre ou de journalisme à Saint-Brieuc. "On est toujours sur quelque chose de nouveau, souffle finalement Sylvie Paré, les rentrées se succèdent et ne se ressemblent jamais."

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