Portrait de Civitas, entre coups d'éclat et intégrisme en ligne
Quelle est cette organisation à l'origine de la manifestation contre l'"homofolie" qui a dégénéré à Paris ? Un simple mouvement traditionaliste ou un groupuscule extrémiste ? Un lobby marginal ou une force politique en puissance ? Radiographie de Civitas, ses origines, ses membres, ses moyens d'action et ses ambitions.
Les origines de l'organisation
À la rubrique "Qui sommes-nous ? " de son site internet, il est écrit : "L'institut CIVITAS est une œuvre de reconquête politique et sociale visant à rechristianiser la France. Il mène ses propres actions, mais il soutient également toute initiative qui va dans le sens des valeurs chrétiennes et de l'ordre naturel ". Mais encore. Joint à Bruxelles où il exerce le métier bouquiniste, le président de l'organisation, Alain Escada, avec une voix très calme et un phrasé appliqué, explique que son mouvement politique est né il y a dix ans, assume d'être "catholique traditionaliste ", mais surtout "pas intégriste ", se défend de toute "croisade " et se dit simple lobbyiste pacifique attelé à défendre le christianisme et les valeurs de la famille.
Pourtant, son passé politique en Belgique est clairement ancré à l'extrême droite, il s'y est présenté aux législatives sur une liste baptisée Zut. Et l'Institut Civitas (association loi 1901) est directement inspiré de la Cité catholique, mouvement de laïcs intégristes créé par Jean Ousset, ancien du régime de Vichy.
Combien sont-ils ?
L'Institut revendique 1.250 adhérents et 170.000 "sympathisants " - Alain Escada explique qu'il s'agit là du nombre d'abonnés à sa mailing list. "On est loin de ce que Civitas ambitionne ", relativise pourtant Jean-Yves Camus, politologue, spécialiste de l'extrême droite. "Si l'on s'en tient au nombre de manifestants réunis ce dimanche, évalue-t-il (18.000 selon Civitas, 9.000 selon la police), on peut dire que le mouvement est marginal ".
Cette manifestation "nationale " rappelle Jean-Yves Camus, montre que Civitas "reste cantonnée aux milieux traditionalistes, intégristes de l'extrême droite, soit quelques dizaines de milliers de personnes en France. Pas plus " . Pour autant, prévient Marie-Cécile Naves, sociologue, blogueuse et co-auteure du Dictionnaire de l'extrême droite , "il faut toujours se méfier de ces mouvements radicaux, parce qu'ils sont anti-républicains et anti-démocratiques ".
Les faits d'armes de Civitas
Si l'organisation était presque inconnue avant 2011, elle multiplie depuis un an les coups d'éclat. L'oeuvre d'Alain Escada ? Dans Le Figaro en décembre 2011, il explique avoir été nommé pour apporter au mouvement "vigueur et visibilité ". C'est même ce qui fait la spécificité de ce mouvement, sa présence médiatique.
Rappel de ces coups qui ont défrayé la chronique :
L'oeuvre Piss Christ vandalisée en avril 2011 au musée d'AvignonLa pièce Sur le concept du visage du fils de Dieu de Romeo Castellucci, perturbée en pleine représentation, au Théâtre de la Ville, en octobre 2011. Puis objet de manifestations à Rennes quelques jours plus tardManifestation encore contre une autre pièce Golgota picnic jouée au Théâtre du Rond-Point en décembre 2011Enfin, le rassemblement contre l"homofolie" dimanche à Paris
Lire notre article Mariage gay : les catholiques intégristes de Civitas sont descendus dans la rue
Ses accointances politiques
Alain Escada n'aime manifestement pas évoquer ses liens avec l'extrême droite radicale. Est-il proche du GUD, le Groupe Union Défense, connu pour ses actions ultra-violentes et à qui on prête l'agression des Femen dimanche ? "Affirmation typiquement ridicule ", tranche-t-il posément. Pourtant, des membres du GUD comptent toujours parmi les acteurs des coups d'éclat de Civitas.
Civitas est-il "lefebvriste" du nom de Mgr Lefebvre, fondateur de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X ? "On n'a pas besoin de gourou ", s'agace-t-il. Dans Slate cependant, Christian Terras, le rédacteur de chef de la revue catholique de gauche Golias, avance que "Civitas tient ses ordres de la fraternité intégriste Saint-Pie-X. Alain Escada n'est qu'un porte-parole ".
En outre, "ses liens avec le FN sont très compliqués , selon Marie-Cécile Naves, faits d'inimitiés personnelles ". Quant à d'éventuelles relations ou sympathies avec la classe politique, le président de Civitas reste évasif. La revue Golias vient de publier pourtant un ouvrage intitulé Mariage Gay : la croix et la bannière, qui insiste sur la parenté -au moins rhétorique- entre Civitas et une certaine droite classique, incarnée notamment par la Droite Populaire, courant de l'UMP.
Objectif : les municipales de 2014
Parmi ses 1.250 adhérents revendiqués, Civitas en tout cas affirme qu'une vingtaine sont des élus locaux, indépendants ou appartenant à "l'éventail de la droite, de l'UMP au FN ", précise Alain Escada sans plus de détail. Mais l'organisation entend bien aller plus loin, pour atteindre les 300 élus en 2014, et recréer ainsi des "îlots de chrétienté"...
L'objectif est affiché, voire revendiqué, mais l'Institut avance paradoxalement avec une certaine discrétion, favorisant "l'implantation dans les petites communes, où il est possible de se présenter sans étiquette ". Pas question d'imprimer des bulletins siglés Civitas. Ces élus ne sont que des "mandataires " de la cause. Mais la machine est en marche : l'Institut organise déjà des réunions de travail pour former les futurs candidats et leur enseigner "les ficelles ".
Civitas "essaie d'essaimer par capillarité , analyse le politologue Jean-Yves Camus, d'influer, via ces candidats, sur la société ". La sociologue Marie-Cécile Naves pourtant souligne l'ambigüité de cette démarche : "Comment entrer dans le jeu démocratique quand on est profondément anti-républicain ? ", interroge-t-elle.
Un lobby particulièrement efficace sur le web
Pour la sociologue et blogueuse, si l'influence de Civitas demeure limitée sur le terrain, dans la rue, elle est redoutable sur internet. "Ce mouvement , explique-t-elle, comme d'autres groupes d'extrême droite, a fait du web son terrain de jeu, d'expression, en investissant les réseaux sociaux, les forums, les blogs et les commentaires d'articles sur les sites d'information".
Un phénomène mesuré également par Matthieu Ponzio et Guilhem Fouetillou dans Politicosphère , leur blog d'observation du web politique. Selon eux, l'extrême droite monopolise le débat en ligne sur le mariage pour tous : deux tiers des posts sur la question lui reviennent. Et Civitas n'est pas en reste, avec son site France jeunesse Civitas. Ces publications, mais plus encore ces commentaires radicaux, virulents, parfois hors-la-loi, qui émaillent les débats en ligne, ont eux une influence très inquiétante, pour Marie-Cécile Naves, car ils contribuent à banaliser les idées d'extrême droite.
> Lire notre article Les appels à la dissolution de Civitas se multiplient
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