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Recycler certains déchets radioactifs ? "Une très mauvaise idée", selon le responsable du laboratoire de la Criirad

Alors que l'Etat entend proposer le recyclage de certains déchets faiblement radioactifs lors d'une consultation publique menée en mars prochain, l'ingénieur en physique nucléaire Bruno Chareyron évoque une "régression" et alerte sur les risques pour la santé humaine.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Des fûts contenant des déchets nucléaires entreposés dans un centre de stockage "faible et moyenne activité" de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, le 28 novembre 2005, à Soulaines-Dhuys. Illustration. (OLIVIER LABAN-MATTEI / AFP)

Recycler certains déchets faiblement radioactifs serait "une très mauvaise idée", a affirmé, dimanche 3 février sur franceinfo, l'ingénieur en physique nucléaire Bruno Chareyron. Pour le responsable du laboratoire de la Criirad (Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité), cette nouvelle orientation que l'Etat compte soumettre lors d'une consultation publique en mars prochain - en vue d'absorber notamment les quantités impressionnantes à venir de gravats faiblement radioactifs issus des centrales nucléaires qui seront démantelées dans les années à venir - reviendrait à "accepter de retrouver des éléments radioactifs dans l'acier qui va constituer les poussettes de nos enfants".

franceinfo : Est-ce une bonne solution de permettre de recycler certains des déchets les plus faiblement radioactifs pour faire face au problème grandissant des déchets nucléaires ?

Bruno Chareyron : Pour nous, c'est une très mauvaise idée. Ce serait une régression. Il faut rappeler qu'en matière d'exposition à la radioactivité, il n'y a pas de seuil d'innocuité : toute dose, même très faible, présente des risques pour la santé humaine, en termes d'augmentation de cancers en particulier. Et si on cède là-dessus, si on commence à autoriser le recyclage de substances radioactives dans des objets du quotidien, au fil du recyclage, ça veut dire qu'on va accepter de retrouver des éléments radioactifs par exemple dans l'acier qui va constituer les poussettes de nos enfants. Pour la Criirad, ce n'est pas acceptable et cela va en sens inverse de l'histoire.

Depuis trente ans que la Criirad existe, nous nous sommes battus pour dénoncer des situations de radioactivité tout à fait anormales dans des objets du quotidien. On a contribué à ce que les manchons de lampes à gaz pour le camping qui étaient fabriqués avec un élément radioactif ne soient plus fabriqués avec cet élément. On a obtenu qu'Isover, qui entendait recycler des déchets dans la laine de verre ne le fasse pas. Et on a réussi, grâce à une très forte mobilisation des citoyens et de nos adhérents, à ce que dans le Code de la santé publique en 2002 il soit clairement écrit que la règle en France soit l'interdiction de réutiliser des substances radioactives dans des biens de consommation. Donc il ne faut surtout pas revenir en arrière, sinon nous ouvrons la boîte de Pandore. La pression des industriels est très forte, compte tenu des projets de démantèlement qui vont arriver, et des quantités très importantes de ces gravats et de ces ferrailles radioactives qu'il va falloir traiter. Il ne faut pas revenir là-dessus.

Est-ce que quelqu'un sait quoi faire de ces déchets nucléaires ?

On ne sait pas quoi faire de ces déchets radioactifs, quels qu'ils soient. En France, on a plus de 50 millions de tonnes de résidus de nos anciennes mines d'uranium qui ne sont pas confinées de manière correcte et on ne sait pas comment les gérer dans la durée. On ne sait pas gérer non plus les déchets les plus dangereux, les déchets de très haute activité, et on ne sait pas non plus gérer les déchets de très faible activité qui vont être issus du démantèlement des centrales, donc on est clairement dans une impasse.

Ce qu'il faudrait, c'est que nos experts, qui contribuent à autoriser l'ouverture de nouvelles installations nucléaires, se posent la question de comment on va traiter les déchets radioactifs qui vont être issus du fonctionnement de ces installations. Les installations nucléaires aujourd'hui rejettent déjà de la radioactivité dans l'atmosphère et dans les milieux aquatiques, est-ce normal ? Est-ce normal aussi de rajouter de la radioactivité en diluant, dans notre quotidien, des déchets solides que l'on va retrouver ensuite dans des biens de consommation. C'est quelque chose qui pose des problèmes importants, il faut absolument que les citoyens se mobilisent là-dessus, car la pression des industriels est très forte.

Quand on entend que la radioactivité est proche de la radioactivité à l'état naturel, qu'est-ce que cela signifie ?

Malheureusement, dans nos maisons, il y a déjà une radioactivité naturelle, parce qu'il y a de l'uranium par exemple dans les corps terrestres et dans les matériaux de construction. Mais ce qui est important à comprendre, c'est que l'évolution des connaissances sur les risques liés à la radioactivité, y compris naturelle, fait que progressivement en France, on va réglementer la radioactivité naturelle dans les matériaux de construction. C'est-à-dire qu'on ne pourra plus construire certaines maisons avec des granit qui ont une radioactivité naturelle trop forte.

On va dans le sens de tout faire pour diminuer la radioactivité naturelle lorsque c'est possible. Accepter d'en rajouter à travers le recyclage de déchets nucléaires va complètement à l'envers de ce qu'il faut faire pour garantir la protection de la population à long terme et en particulier des enfants et des nourrissons qui sont les personnes les plus radiosensibles.

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