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Familles recomposées, homoparentalité : la justice y perd son latin

Les tribunaux doivent de plus en plus répondre aux demandes de parents souhaitant régulariser une situation en porte-à-faux avec le droit français. 

Article rédigé par Marion Solletty
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Les démarches d'adoption ne sont pas toujours simples pour les conjoints des parents biologiques. (LIESEL BOCKL / IMAGE SOURCE / AFP)

Un enfant peut-il avoir quatre parents ? Ou deux parents de même sexe ? Quel est son lien avec une femme qui en a payé une autre pour le porter ?

Ce type de questions, les tribunaux français y sont de plus en plus souvent confrontés. Face aux demandes des familles recomposées, à l'homoparentalité ou encore au tourisme procréatif, la justice doit trancher sur des cas mal encadrés par le droit français. Et a toutes les peines du monde à rester cohérente, comme le souligne une affaire jugée mercredi 16 mai devant la cour d'appel de Poitiers.

• Jean-Philippe et Adeline aimeraient avoir quatre parents 

L'histoire de Jean-Claude et Dominique est celle de beaucoup de Français : mariés, parents de deux enfants, Jean-Philippe et Adeline, ils se sont ensuite séparés et ont refait leur vie. Jean-Claude avec Martine, Dominique avec Philippe. Chacun des nouveaux conjoints a connu les enfants issus du premier mariage, les a fait siens... ou presque.

Désireux d'officialiser les liens existant dans cette famille recomposée, Philippe a adopté en 2000 les enfants de sa compagne avec le consentement de leur père, Jean-Claude. Dix ans plus tard, Martine a voulu faire de même en adoptant elle aussi les enfants, aujourd'hui adultes.

Objectif : donner aux trois enfants de la fratrie (Jean-Claude et Martine ont aussi élevé la fille de celle-ci issue d'une première union) les mêmes droits en termes de succession. "Je me suis occupée d'eux comme de ma propre fille. Nous formions, et nous formons toujours, une vraie famille, explique Martine à Sud Ouest. Mon mari et moi sommes à la retraite, il est temps de penser à la suite."

>> Des beaux-parents qui veulent des droits. Le hic ? L'article 346 du Code civil prévoit que "nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n'est par deux époux". Le tribunal d'instance de La Rochelle avait donné raison au couple, considérant que Martine devait pouvoir bénéficier des mêmes droits que Philippe. Mais le parquet a fait appel. La décision a été mise en délibéré au 27 juin.

Les affaires de ce type se multiplient. "Aujourd'hui, ce n'est pas inhabituel de voir des gens avoir deux, trois conjoints successifs", constate Nathalie Boudjerada, avocate au Barreau de Paris. Résultat, "le droit de la famille est en plein bouleversement. On a déjà évoqué par exemple dans le travail législatif le droit des beaux-parents à obtenir une visite [en cas de séparation]". 

Pour l'instant, ces dossiers sont toujours traités au cas par cas. Le projet de créer un "statut du beau-parent", porté en 2009 par Nadine Morano, a fait long feu. "C'était une bonne idée, car elle répondait à une demande nouvelle, mais dans la pratique, elle n'est pas pertinente, a expliqué au Figaro Claude Greff, secrétaire d'Etat à la Famille du gouvernement sortant. La délégation d'autorité parentale existe déjà dans la loi actuelle. Le statut du beau-parent est donc inutile."

• Valérie et Nathalie ont une fille, mais elle n'a qu'une mère

Le sujet de l'adoption par les conjoints est d'autant plus complexe qu'en filigrane pointe la question de l'homoparentalité. Le cas de Valérie et Nathalie, porté sans succès devant la justice, est emblématique. En couple depuis 1989, les deux femmes élèvent depuis 2000 Anaïs, née d'une insémination artificielle avec donneur anonyme pratiquée sur Nathalie en Belgique.

Valérie et Nathalie sont passées par tous les échelons de la justice française, et sont même allées devant la Cour européenne des droits de l'homme pour tenter d'obtenir l'adoption d'Anaïs par Valérie. En vain : en France, l'adoption est autorisée seulement pour des couples mariés (article 343 du Code civil) ou par des célibataires (article 343-1 du Code civil). Leur demande a été rejetée définitivement jeudi 15 mars.

>> L'homoparentalité interdite en théorie, (parfois) reconnue en pratique. Et pourtant... la justice reconnaît l'homoparentalité dans certains cas : le 8 juillet 2010, la Cour de cassation a ordonné la reconnaissance d'une adoption prononcée aux Etats-Unis (voir l'article du Monde à ce sujet) en faveur de deux femmes. Sans compter le cas d'homosexuelles ayant obtenu l'adoption en la demandant en tant que célibataire, comme celui d'Emmanuelle, rapporté par Libération.

Les associations de défense des droits des homosexuels dénoncent une hypocrisie, qui conduit la justice à entériner des situations nées d'un contournement de la loi tout en barrant la route légale aux couples ayant un projet d'enfant. Les choses devraient rapidement changer : François Hollande a promis dans son programme de légaliser le mariage homosexuel et l'homoparentalité.

• Léa et Isa, nées d'une femme qui n'est pas leur mère

Beaucoup plus délicat, le sujet de la gestation pour autrui (où une femme porte un enfant pour le compte d'un couple), lui, n'a pas fini de faire débat. Là aussi, la stricte interdiction en vigueur en France n'empêche pas la justice d'être régulièrement confrontée au cas d'enfants nés de mères porteuses. 

Parmi eux, les jumelles de Sylvie et Dominique Mennesson, Léa et Isa. Nées d'une Américaine rémunérée par le couple pour porter leurs enfants (la pratique est légale aux Etats-Unis), elles ont un acte de naissance américain, mais qui ne peut-être, selon la justice, traduit dans l'état civil français. La Cour de cassation a rejeté le 6 avril 2011 leur dernier recours.

Dominique et Sylvie Mennesson avec leur avocate, Nathalie Boudjerada, au palais de justice de Paris, le 6 avril 2012, après l'examen de leur pourvoi par la Cour de cassation. (BERTRAND GUAY / AFP)

Conscient d'avoir construit son projet parental hors des limites du droit français, le couple met en avant l'intérêt de l'enfant pour défendre sa position. "Les jumelles resteront toujours des fantômes et elles sont privées de tous les droits associés à un état civil français", expliquaient-ils au Monde au moment de la décision. 

>> Un cadre légal n'est pas à l'ordre du jour. Beaucoup débattue au moment de la révision des lois de bioéthique, en 2010-2011, la gestation pour autrui reste illégale dans la loi adoptée en juin 2011. Il faut dire que le sujet divise la classe politique, y compris à gauche. Certains élus socialistes ont défendu la mise en place d'un cadre légal pour cette pratique en France, dont Najat Vallaud-Belkacem et Aurélie Filippetti, pressenties pour le futur gouvernement. D'autres sont farouchement contre, dont le nouveau Premier ministre, Jean-Marc Ayrault.

Dans ce contexte, un cadre légal semble peu probable dans un avenir proche. Nathalie Boudjerada, qui a défendu le couple Mennesson, se dit pourtant persuadée que "le droit va à un moment devoir s'adapter". "Je suis sûre qu'il y aura une évolution, c'est inévitable."

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