: Reportage "On ne va pas réviser sagement alors qu'il y a un massacre en cours" : à Paris, près de 300 étudiants réclament un cessez-le-feu à Gaza
Une banderole enroulée sur l'épaule, Manon, 21 ans, traverse rapidement la place de la Sorbonne à Paris. Dans son dos, sur le square pavé, des membres de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) ont installé vendredi 3 mai une "table de dialogue", proposant des discussions sur le conflit israélo-palestinien et la guerre qui fait rage à Gaza depuis plus de 200 jours. Mais l'horloge va bientôt afficher 14 heures et la jeune femme se presse pour rejoindre la place du Panthéon, à quelques centaines de mètres de là.
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Sur le parvis du monument historique, un rassemblement d'environ 300 étudiants prend forme progressivement pour réclamer la fin de la guerre dans la bande de Gaza. A l'appel de plusieurs organisations, les manifestants forment un rang compact au cri de "Pas de justice, pas de paix" ou encore "Nétanyahou, casse-toi ! La Palestine n'est pas à toi !" à l'encontre de l'actuel Premier ministre israélien.
"Nous faisons partie d'un mouvement mondial"
"Tout ce que l'on demande, c'est la paix et l'arrêt des massacres", assure Manon, qui a déployé son drapeau de l'Unef, syndicat étudiant classé à gauche. En marge de ses cours à l'université Lyon 2, l'étudiante originaire de Paris fait partie du bureau national du syndicat et s'est déplacée au Panthéon "pour demander un cessez-le-feu immédiat". Autour d'elle, certains arborent un keffieh ou une image de pastèque, emblème de la mobilisation pour la Palestine. "Nous faisons partie d'un mouvement mondial, qui se fait beaucoup entendre aux Etats-Unis, mais pas que", assure-t-elle.
Une semaine auparavant, un bâtiment de Sciences Po Paris a été évacué par la police alors que des étudiants l'occupaient. Des interventions similaires ont suivi quelques jours après à la Sorbonne et à Sciences Po Toulouse. L'UEJF et des voix au gouvernement évoquent un discours "antisémite" chez certains manifestants.
"Je ne connais personne autour de moi qui nie le fait que les attaques du 7 octobre sont un acte terroriste. Mais la réponse à cet acte est effroyable. C'est ça que l'on dénonce."
Manon, adhérente à l'Unefà franceinfo
Sur les réseaux sociaux, les critiques émises contre les occupations étudiantes et les manifestations propalestiniennes n'ont pas échappé à la jeune militante. "En nous traitant d'antisémites ou d'ignorants, on cherche à nous museler, estime-t-elle. C'est du même ordre que les évacuations policières. La jeunesse a toujours fait peur, car on sait qu'elle peut faire bouger les choses."
"On veut montrer que les jeunes sont là"
Pour Jean-Pierre, étudiant de 25 ans à la Sorbonne, se planter devant les grilles du Panthéon est une réponse aux nombreuses interventions policières dans des écoles ou des universités. "J'ai été choqué par ces images, et j'éprouve de la honte vis-à-vis de mon gouvernement", confie le jeune homme, qui se dit "politisé mais pas encarté". Au sein de sa fac, il a participé à plusieurs assemblées générales et suivi les débats "autant que les cours le permettaient".
"Aujourd'hui, on veut marquer le coup, montrer que les jeunes sont là", explique-t-il. C'est pour cette raison qu'il est venu avec trois amis. "Ce qu'il se passe à Gaza est une honte, comment les gens peuvent-ils voir les images de cette guerre et ne rien faire ?" se demande-t-il. Les accusations d'antisémitisme contre le mouvement propalestinien le laissent très irrité par ailleurs. "C'est l'amalgame habituel, une façon de réduire au silence celles et ceux qui demandent la paix", juge-t-il.
"On en avait marre de rester impuissantes"
Par petits groupes, les manifestants se faufilent entre les banderoles. Une étudiante étrangère en échange à Paris donne une interview en portugais à une télévision brésilienne. Les slogans scandés au mégaphone résonnent sous la voûte de l'entrée du Panthéon. Au milieu de la place, trois étudiantes rejoignent le groupe, toutes essoufflées.
"On est un peu en retard, mais on est là !" sourient Maëva, Samantha et Warda, 18, 19 et 23 ans, toutes les trois en licence d'histoire à la Sorbonne. Le rassemblement du jour n'est pas leur première action concernant la guerre à Gaza. "On a participé à des blocus et on suit les appels à manifester", détaillent-elles. "Je ne peux pas faire autrement, confie Maëva. On a des yeux, des téléphones, tout le monde suit en direct cette guerre." "On en avait marre de rester impuissantes", complète Warda.
Si elles ne se revendiquent d'"aucun parti politique précis", les trois camarades disent voir "d'un bon œil" le soutien de certaines formations à la mobilisation étudiante pour la Palestine. Après avoir appuyé des actions à Lille et Paris, des militants de La France insoumise ont rejoint à grand renfort de banderoles les manifestants du Panthéon. "Si un parti s'affiche avec nous, bien sûr que ça peut nous donner envie de voter dans leur sens", explique Samantha, à l'évocation des élections européennes prévues le 9 juin.
"Mais aujourd'hui, on veut surtout envoyer un signal au gouvernement, au président de la République, tranche Warda. Les messages sur Twitter, c'est quelque chose, mais on demande des actes et qu'il affiche une position claire." Pour les trois étudiantes, la position française sur le conflit est "beaucoup trop ambiguë".
"On ne peut pas soutenir l'armée israélienne et envoyer de l'aide humanitaire en même temps."
Warda, étudiante en licence d'histoireà franceinfo
L'étudiante dénonce notamment l'envoi d'équipements militaires à l'Etat hébreu – mais destinés à un usage "purement défensif", selon le gouvernement. Le groupe d'amies réclame aussi un changement de regard sur leurs actions. "Les gens ne nous voient que comme des étudiantes, bien assises dans nos amphis, regrette Samantha. Mais nous sommes les travailleuses de demain, et nous aussi nous avons notre mot à dire sur le monde."
"Je ne vais pas passer mes partiels pendant que Gaza est bombardée"
Moins d'une heure après le début de la mobilisation, une petite dizaine de militants de l'UNI, syndicat d'étudiants classé à droite, font irruption sur un coin de la place pour dénoncer le "fascisme" des manifestants propalestiniens. Selon eux, les protestataires n'ont pas le droit d'empêcher les cours et les examens au sein des établissements. Ils sont très rapidement exfiltrés par un important dispositif policier, sous les huées et les sifflets.
Mathis, 24 ans, déplore ces critiques. "Qu'est-ce qu'ils croient ? Que l'on va faire comme si de rien n'était ? On ne va pas réviser sagement alors qu'il y a un massacre en cours à Gaza", fulmine l'étudiant à Paris Cité, membre du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). "Je ne vais pas passer mes partiels et puis partir tranquillement en vacances pendant que des gens se font bombarder."
Pour le militant, l'objectif est "d'installer le sujet dans la société française". "On a vu qu'aux Etats-Unis, tout est parti des campus et notamment d'étudiants juifs qui ne voulaient pas que la guerre à Gaza soit lancée en leur nom", retrace-t-il. Avec comme première étape, hormis d'autres actions "et d'éventuels blocages" à venir, "la prise en compte de la guerre à Gaza dans les débats liés aux élections européennes".
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