Logement social : cinq questions sur la réforme qui pourrait pousser dehors les locataires devenus trop riches

Le ministre délégué au Logement, Guillaume Kasbarian, souhaite notamment mettre fin à ce qui est parfois décrit comme un droit aux HLM "à vie". Une déclaration à laquelle les bailleurs sociaux et la gauche ont vivement réagi.
Article rédigé par franceinfo
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Un immeuble HLM dans le 14e arrondissement de Paris, le 8 mars 2024. (RICCARDO MILANI / HANS LUCAS / AFP)

Des dizaines de milliers de ménages vont-ils être contraints de quitter leur logement social ? Le ministre délégué au Logement, Guillaume Kasbarian, a esquissé dans Les Echos, jeudi 11 avril, les contours d'un projet de réforme sur ce sujet, qui pourrait être intégré au projet de loi visant à favoriser le logement des classes moyennes. Il souhaite notamment que les locataires devenus trop riches quittent leur logement social.

"Quand on a 5,2 millions de logements sociaux en France et 1,8 million de ménages qui candidatent légitimement pour y entrer, est-il normal qu'ils soient empêchés de le faire alors qu'il y a des gens au sein du parc social dont la situation a largement changé depuis qu'ils se sont vus attribuer leur logement ?", s'interroge-t-il dans le quotidien économique. Franceinfo vous en dit plus sur ses propos et cette mesure qui ont provoqué de vives réactions parmi les associations du secteur.

1 Qu'est-ce qu'un logement social ?

Un logement social, ou habitation à loyer modéré (HLM), est un logement dont le loyer ne peut dépasser un certain montant par m2, rappelle le ministère de la Transition écologique (également chargé du logement). Son accès est conditionné aux ressources. L'objectif du logement social, dont les prémices remontent à la fin du XIXe siècle en France, est de permettre aux ménages modestes de bénéficier de loyers inférieurs à ceux du parc immobilier privé.

La gestion des HLM est confiée aux bailleurs sociaux. L'Etat leur verse une aide financière pour la construction, en échange du respect de règles formulées dans une convention signée par les deux parties. Il existe plusieurs catégories de logements sociaux, suivant le montant de l'aide accordée par l'Etat au bailleur. Plus celle-ci est importante, plus le bailleur devra, en contrepartie, proposer des loyers faibles.

La France compte actuellement 5,3 millions de logements locatifs sociaux (soit près de 16% du parc des résidences principales), qui permettent de loger 10 millions de personnes, selon le ministère de la Transition écologique. En moyenne, "les loyers du parc social sont deux fois moins élevés que ceux du parc privé". La location d'une HLM permettait d'économiser, en 2020 dans l'Hexagone, 225 euros par mois en moyenne par rapport au privé.

2 Quelles sont les règles pour y accéder ?

Pour accéder à un logement social, il faut en faire la demande et ne pas dépasser un revenu maximum, qui dépend notamment du nombre de personnes à loger et de la localisation. A Paris et en proche banlieue, le revenu annuel d'un couple (le revenu fiscal de référence noté sur l'avis d'imposition) ne doit pas dépasser 50 603 euros. Pour un couple avec deux enfants en région, ce montant maximum est de 57 069 euros. En outre-mer, une personne seule ne doit pas toucher plus de 26 491 euros pour bénéficier d'une HLM. Un simulateur permet de vérifier si vous remplissez les conditions d'accès.

Une fois constitué, le dossier du locataire est examiné par une commission d'attribution, qui vérifie, notamment, le plafond de revenus des demandes. Il est possible de refuser un logement proposé par un bailleur, mais la demande peut être considérée comme "moins prioritaire" si les refus sont répétés, souligne Action Logement. Pour continuer d'être valide, le dossier du demandeur doit être renouvelé chaque année. Il faut en général s'armer de patience : le temps d'attente pour une HLM, qui varie en fonction du profil du locataire et du lieu du logement demandé, peut aller de quelques mois à plusieurs années, relève un rapport du Sénat.

Le nombre de ménages en attente d'un logement social a atteint 2,6 millions en 2023, un chiffre record, en hausse de 7,5%, annonçait fin janvier l'Union sociale pour l'habitat (USH), citée par l'AFP. Parmi ces dossiers, 1,7 million de ménages candidats à un premier logement et 700 000 déjà logés dans le parc existant.

3 Que propose le gouvernement ?

Le ministre délégué au Logement veut "réinterroger la pertinence à continuer à occuper un logement social" pour "ceux qui ont largement dépassé les plafonds de revenus" et "dont le patrimoine (...) a évolué". Selon lui, plus de 8% des locataires actuels de HLM ne seraient plus éligibles à un logement social de même type que celui qu'ils occupent, s'ils en demandaient un aujourd'hui. Contacté, le ministère de la Transition écologique n'a pas précisé l'origine de ce chiffre. En 2022, une enquête (en PDF) du ministère de la Ville avait néanmoins déterminé que, pour les logements étudiés, 8,1% des locataires dépassaient les plafonds de ressources autorisés, une part relativement stable depuis 2015.

Pour lutter contre ce phénomène, le ministre délégué veut réclamer aux bailleurs sociaux "une évaluation régulière et obligatoire" des locataires du parc social. "Cela permettra d'abord d'interroger le renouvellement du bail. Et ensuite d'interroger le niveau des loyers." Le projet de loi, qui sera présenté en mai au Conseil des ministres, doit aussi donner davantage de pouvoir aux maires dans l'attribution des logements sociaux, ou dans la décision d'en vendre, d'après Guillaume Kasbarian. Le ministre s'est également engagé à maintenir "les objectifs cibles de 20 à 25% de logements sociaux" dans les communes concernées par la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU).

4 Qu'est-ce que cela changerait ?

Difficile de le dire avec précision à ce stade. Les bailleurs sont déjà tenus d'effectuer régulièrement des enquêtes auprès de leurs locataires, afin de vérifier que le logement correspond toujours à leurs besoins. Ils examinent le nombre de personnes qui vivent dans le logement et les ressources financières du ménage. Si le logement est sous-occupé, le bailleur doit proposer un nouveau logement à son locataire. Selon le profil de celui-ci et le lieu du logement (zone tendue ou non), le refus de trois propositions peut entraîner la résiliation du bail. Les seules catégories protégées sont les personnes âgées de plus de 65 ans et celles en situation de handicap.

Si les revenus du ménage représentent plus de 1,5 fois le plafond fixé, et ce deux années de suite, le bailleur peut demander au locataire de quitter le logement. Là encore, certains locataires fragiles sont protégés. Enfin, si les revenus du locataire atteignent 1,2 à 1,5 fois le revenu maximum, celui-ci doit s'acquitter d'un supplément de loyer de solidarité (SLS), appelé surloyer. Cette règle ne concerne qu'une petite partie du parc de l'habitat social, explique sur franceinfo Emmanuelle Cosse, présidente de l'USH. Par ailleurs, "l'Etat a demandé à ce que ça ne soit pas appliqué", notamment "au nom de la mixité sociale". 

Le changement résidera donc davantage dans la présentation des résultats des contrôles menés par les bailleurs, estime Emmanuelle Cosse. Le projet de loi demandera aux bailleurs de formaliser "une synthèse de ces contrôles dans un rapport transmis au préfet tous les ans", explique l'ancienne ministre du Logement.

5 Comment la proposition a-t-elle été accueillie ?

Les propos du ministre délégué au Logement ont suscité l'indignation chez les bailleurs sociaux. Le "bail à vie (...) n'existe pas", a rappelé Emmanuelle Cosse, en référence au titre de l'article des Echos. Le ministère, contacté par franceinfo, assure que l'expression, bien que placée entre guillemets, est celle du journal et non de Guillaume Kasbarian. "On utilise cette expression 'logement à vie' pour faire polémique, alors que le gros sujet aujourd'hui, c'est qu'on ne construit pas assez de logements sociaux". Même son de cloche à la Confédération nationale du logement, qui a pointé sur X le "cynisme", selon elle, de la proposition. "Plutôt que produire du logement social, [Guillaume] Kasbarian préfère réduire le parc HLM (...) Opposer les classes populaires entre elles et épargner les plus riches et la spéculation immobilière", a-t-elle dénoncé.

A gauche, le sénateur communiste de Paris Ian Brossat a déploré sur le réseau social une "piteuse démagogie", rappelant que "seules les personnes âgées et en situation de handicap sont protégées" d'expulsion. L'eurodéputée LFI Manon Aubry a pour sa part dénoncé une "chasse aux pauvres".

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