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Enquête Aux Mureaux, la religion facteur d'homophobie ?

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ENQUÊTE / Aux Mureaux, la religion facteur d'homophobie ?
ENQUÊTE / Aux Mureaux, la religion facteur d'homophobie ? ENQUÊTE / Aux Mureaux, la religion facteur d'homophobie ?
Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
France Télévisions
Le 28 septembre 2022, un adjoint au maire des Mureaux a démissionné, se disant la cible de menaces et insultes homophobes. L'homosexualité est-elle taboue aux Mureaux ? L'Œil du 20H heures a enquêté.

Le 28 septembre 2022, Boris Venon – qui a passé 14 ans aux Mureaux, dans les Yvelines – a démissionné et quitté la ville, victime, dit-il, de menaces de mort, menaces physiques et insultes homophobes. En l'absence de témoins, sa plainte a été classée sans suite. L'homosexualité ne serait-elle pas la bienvenue aux Mureaux ? "L'Œil du 20 heures" a rencontré habitants, victimes et militants associatifs.

Située à une quarantaine de kilomètres à l'ouest de Paris, la ville des Mureaux est une cité populaire de 33 000 habitants. Dans le centre-ville, la démission récente de l'élu fait encore beaucoup parler : "Pourquoi lui faire des problèmes ? Il a fait son boulot. C'est dégueulasse", dénonce une sexagénaire. "Les Mureaux, ça a changé, c'est tout ce qu'on peut dire", déplore une autre habitante.

"Les homosexuels, ils se cachent, aux Mureaux."

Une habitante des Mureaux

à France 2

Plus loin, ces autres passantes l'assurent : "Les homosexuels, on ne les voit pas, de toute façon. On les voit pas ici." "C'est sûr, ils se cachent aux Mureaux. Pourquoi ? La honte."

La plupart des habitants interrogés ce jour-là reconnaissent que l'homosexualité est un sujet quelque peu tabou aux Mureaux. Beaucoup refusent d'en parler face à notre caméra. Nous allons donc poser les mêmes questions en caméra discrète.

Dans cette zone commerciale, à l'heure du déjeuner, pour ces hommes d'une vingtaine d'années assis à la terrasse d'un café, le discours sur l'homosexualité est tout autre et assumé : "L'homosexualité, ça me dérange. Peut-être parce que j'ai grandi ici, aux Mureaux, c'est cette mentalité que j'ai. Et personnellement, c'est péché."

Le rejet de l'homosexualité pour des raisons religieuses, voilà ce qu'invoque cet autre homme : "En tant que musulman, l'homosexualité, chez moi, elle est interdite. Pour moi, il y a les valeurs religieuses puis les valeurs de la République. La priorité pour moi, c'est les valeurs religieuses." 

"Je me suis interdit d'en parler"

Le poids de la religion, Mehdi, 25 ans, souhaite en parler mais sous couvert d'anonymat. Il est musulman, a grandi aux Mureaux, et est homosexuel. Il ne l'a jamais dévoilé mais a bien voulu nous conter son histoire : "Je me suis interdit d'en parler parce qu'on ne sait jamais comment la personne en face peut réagir. Ça peut partir du simple rejet, viré de chez moi, ou alors ça peut, peut-être, aller sur des coups. Les Mureaux sont une ville avec une population très maghrébine, africaine. Des Turcs, des Sénégalais, Marocains, Algériens, et c'est pas dans les coutumes de ces pays-là, l'homosexualité."

Mehdi reconnaît que la clandestinité serait aujourd'hui pour lui la seule façon de ne pas se renier. "Musulman et gay, c'est un peu contradictoire, mais en vrai, il n'y a rien qui l'empêche."

"J'ai fait le choix de ne pas choisir. De vivre ma religion tout en vivant ma vie de mec homosexuel en France."

Mehdi, habitant des Mureaux

à France 2

La religion serait-elle un facteur de rejet de l'homosexualité ? Contacté à plusieurs reprises, l'imam de la principale mosquée des Mureaux n'a pas souhaité répondre à nos sollicitations. La Grande Mosquée de Paris nous déclare quant à elle "qu'en islam, l'homosexualité est clairement interdite, considérée comme un péché parmi d'autres péchés". Elle précise également "réprouver toute forme de mise à l'écart et de violence à l'égard des homosexuels".

En juin 2019, une étude Ifop pour le compte de la Fondation Jasmin Roy et la Dilcrah (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT) indiquait que 63% des musulmans interrogés percevaient l'homosexualité comme "une maladie" ou "une perversion", 14% des catholiques pratiquants et 10% chez les "sans religion". 21% de ces personnes étaient issues des banlieues populaires, 16% des centres-villes et 11% des communes rurales.

"L'homophobie prend sa source de partout"

Cette homophobie donne parfois lieu à des agressions violentes. Des images relayées sur les réseaux sociaux par certaines associations, comme Stop Homophobie, qui tente de sortir de leur isolement les homosexuels issus des quartiers populaires. Elle les encourage, notamment, à déposer plainte systématiquement contre ce délit passible de sanctions pénales.

Terrence Katchadourian, secrétaire général de Stop Homophobie, le déplore : "On avait mis en place des structures comme à Gennevilliers, un petit bureau. Mais les gens n'osaient pas le franchir, c'était s'afficher." Si elle se heurte à l'omerta, l'association insiste sur le fait que l'homophobie dépasse largement le cadre des religions et existe dans tous les milieux sociaux : "L'homophobie prend sa source de partout. Ça peut être n'importe quoi. Les gens qui insultent ou qui sont homophobes, ils se cachent peut-être derrière l'argument de la religion, on les a mal élevés, etc. et c'est leur façon de pouvoir se déculpabiliser", insiste Terrence Katchadourian.

Le maire des Mureaux se refuse à tout commentaire sur la démission de son adjoint, Boris Venon. Car selon lui, l'homophobie est une question qui se pose au niveau national et pas spécifiquement dans sa ville.

Parmi nos sources (liste non exhaustive) :

Le 28 septembre dernier, à l'issue du conseil municipal (filmé), Boris Venon, élu socialiste des Mureaux, a présenté sa démission. Il s'expliquait.

Les atteintes "anti-LGBT+" enregistrées par les forces de sécurité en 2021 : à  l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre I'homophobie et la transphobie du 17 mai, Ie SSMSI publiait son étude annuelle sur les atteintes "anti-LGBT+".

L'étude lfop pour le compte de la Fondation Jasmin Roy et la Dilcrah, du 26 juin 2019 et intitulée : "Le regard des Français sur l'homosexualité et la place des LGBT dans la société". 

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