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Les coachs en séduction sont-ils tous d'affreux misogynes ?

La vidéo de l'un de ces formateurs attrapant des Japonaises par le cou et poussant leur tête vers son entrejambe a fait scandale cette semaine. 

Article rédigé par Vincent Matalon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
En France, de nombreux sites proposent aux hommes des séances de coaching pour aborder les femmes. (NULLPLUS / E+ / GETTY)

"A Tokyo, si vous êtes un homme blanc, vous pouvez faire ce que vous voulez. Au début, je n'osais pas, mais après, j'ai compris que je pouvais les attraper par la tête..." Dans un extrait vidéo de l'une de ses conférences devenu viral lundi 3 novembre, le Suisse Julien Blanc, coach en séduction, incite un public d'Occidentaux vivant au pays du Soleil-Levant à agripper les Japonaises dans la rue pour les aborder. Après avoir distillé ses conseils, on le voit à l'œuvre dans une vidéo, où il attrape des femmes par le cou et pousse leur tête vers son entrejambe.

Les réactions n'ont pas tardé : alertés par de nombreux internautes scandalisés, deux hôtels australiens qui devaient accueillir des conférences de l'entreprise du formateur ont annoncé l'annulation des événements.

Julien Blanc n'est pas le seul à se proclamer "expert en séduction". En France, de nombreux sites proposent aux hommes des séances de coaching dans ce domaine. Apprennent-ils tous pour autant, comme Julien Blanc, à forcer la main aux femmes ?

"Non, je n'apprends pas ce genre de choses à mes élèves"

Nicolas Dolteau, qui propose ses services sur CoachSéduction depuis cinq ans, répond tout net. "Comme tout le monde, j'ai trouvé la vidéo de Julien Blanc très choquante. Mon métier et le sien portent la même appellation, mais nos façons de travailler sont complètement différentes", explique ce trentenaire et "ancien timide, comme la plupart de [ses] clients", à francetv info. "Je n'apprends pas du tout ce genre de choses à ceux qui suivent mes formations, et qui sont d'ailleurs pour la plupart tellement timides que l'idée d'agripper quelqu'un pour l'aborder ne leur traverserait même pas l'esprit."

"Snipe", autre coach en séduction contacté par francetv info, s'agace lorsqu'on évoque avec lui la vidéo qui fait polémique. "Parmi mes clients, qui ont entre 18 et 50 ans, un bon tiers n'a jamais connu de relation avec une femme. Certains payent même pour avoir une relation sexuelle, raconte-t-il. Je ne cautionne pas ce que fait Julien Blanc, mais parler d'abus sexuel me semble excessif, et les articles qui qualifient ainsi ce que l'on voit dans la vidéo contribuent à faire peur à ces hommes-là, qui sont tétanisés à l'idée d'aborder une femme !"

Les deux coachs l'assurent : jamais ils ne conseillent à leurs "élèves" d'insister devant un refus. "L'idée de mon approche, c'est de créer les conditions d'un dialogue détendu, continue Nicolas Dolteau. J'apprends à mes clients à se mettre en valeur et à briser la glace avec une fille sans être lourd ou tenter de l'intimider. Je leur demande de ne jamais parler à quelqu'un de son physique par exemple, car on tombe très vite dans le cliché du mec relou." "On fait du relooking, des exercices de socialisation... Mais je leur donne surtout des conseils pour avoir davantage confiance en eux", ajoute "Snipe".

"Sur internet, il existe une surenchère entre coachs"

Reste que sur leurs sites internet respectifs, les deux coachs ne donnent pas toujours l'impression d'entrer dans une démarche où les femmes ont leur mot à dire. Nicolas Dolteau apparaît ainsi dans une vidéo promettant d'obtenir le numéro d'une inconnue en deux minutes, "Snipe" se met carrément en scène sur YouTube sous le titre : "Technique pour embrasser une fille en une minute." 

Simple technique de marketing, répond le dernier : "Il faut distinguer le buzz sur YouTube et le contenu des formations ! Sur internet, il existe une surenchère entre les coachs. Chacun cherche à montrer qu'il a les meilleurs résultats, et à se crédibiliser en ayant l'air irrésistible. Mais il suffit de regarder la vidéo pour comprendre que je discutais avec la fille en question depuis de longues minutes, et qu'elle n'était pas réticente." 

"Oui, les notions de domination sont omniprésentes"

Les cours, assurent les coachs contactés par francetv info, consisteraient donc principalement en des ateliers de remise en confiance pour grands timides persuadés d'être incapables de plaire. Docteure en anthropologie sociale et auteure d’une thèse sur la "Communauté de la séduction", Mélanie Gourarier réfute ce point de vue. "Je n'ai jamais assisté à des scènes aussi extrêmes que ce que l'on peut voir dans la vidéo de Julien Blanc durant mes travaux. En revanche, la violence, la domination et la question du pouvoir sont omniprésentes lors de ces séances [de coaching] et constituent un enjeu de l'apprentissage de la séduction", explique la chercheuse. Certains sites n'hésitent ainsi pas à proposer des "techniques" qui promettent d'apprendre aux hommes à "'débrancher' le cerveau de la fille grâce au pouvoir du langage", ou encore à "l'exciter à mort pour qu'elle ait envie de sexe, là, tout de suite".

Selon elle, la séduction enseignée par les "experts" aux "élèves" ne place jamais les femmes sur un pied d'égalité avec les hommes. "Il s'agit à chaque fois d'amener l'autre sur son territoire. J'ai vu certains hommes apprendre à d'autres à séduire selon des clichés coloniaux : la femme d'origine africaine est considérée comme vénale, et l'objectif va alors être d'arriver à en profiter sans payer." Et d'obtenir ainsi les félicitations du coach et des autres élèves pour avoir surmonté sa timidité.

Car au final, explique Mélanie Gourarier, l'objectif pour les apprentis séducteurs serait moins de trouver l'amour que d'obtenir l'approbation de leurs pairs. "Les clients sont pour la plupart des jeunes gens qui se pensent en déficit de masculinité, et qui jugent que devenir un 'vrai homme' passe par l'apprentissage de la séduction, précise Mélanie Gourarier. Le jugement des femmes finit par leur importer assez peu, seule compte l'appréciation des autres hommes, qui les congratulent en fonction du nombre de personnes abordées au cours d'une soirée ou de numéros de téléphone récoltés." Pour le romantisme, on repassera.

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